Jean-Michel Blanquer a annoncé l’éventualité d’un retour des mathématiques dans le tronc commun au lycée général. Épilogue de plusieurs semaines durant lesquelles acteurs éducatifs et sociétés savantes ont alerté sur les chiffres de l’abandon des mathématiques. Cette annonce, si elle se concrétisait par des actes, marquerait un aveu d’échec important du ministre et de sa réforme du lycée.
Une réforme qui a dynamité l’enseignement des mathématiques
Pour comprendre la polémique actuelle, un regard dans le rétroviseur s’impose. Printemps 2018. L’Assemblée nationale vote l’adoption de la loi réformant le baccalauréat. 1 an plus tard, et malgré l’opposition de la communauté éducative, la mobilisation des lycéennes et lycéens et la « grève du bac » historique des professeurs, les élèves de première sont les cobayes de la réforme.
Le cœur de la réforme consistait en la suppression des filières littéraire (L), économique et sociale (ES) et scientifique (S) au profit du libre choix par les élèves d’un panier de 3 spécialités « à la carte ». Les mathématiques disparaissent alors du tronc commun pour les élèves de première. On tente d’y substituer un « Enseignement scientifique » hebdomadaire de 2 heures, mêlant Physique, Chimie, SVT et mathématiques. Les mathématiques n’y sont pas enseignées directement, mais peuvent être mobilisées sur des sujets précis.
Dès la présentation de cette réforme, syndicats et sociétés de mathématiques avaient dénoncé cette suppression de l’enseignement des mathématiques du tronc commun. Ceux-ci affirmaient la nécessité des enseignements des mathématiques, pensés comme un langage à part, amenant à une manière de construire sa pensée différente et complémentaire de celle enseignée dans les disciplines littéraires ou les sciences sociales. Les débats autour de la pandémie et, avant elle, le flot de chiffres, graphiques et statistiques auxquels sont exposés les jeunes chaque jour, ont depuis bien montré la nécessité d’une formation au traitement des données mathématiques. Les apports des mathématiques dans la construction de citoyennes et citoyens libres et éclairés avaient alors été mis en avant.
Enfin, la nécessité des mathématiques dans nombre de formations (psychologie, médecine, sciences de l’ingénieur…) avait été pointée du doigt, et un abandon précoce de la discipline était déjà perçu comme susceptible de fermer trop tôt les portes de certaines formations aux élèves. Pourtant, au contraire de cette vision d’un enseignement des mathématiques ouvert à tous, partie prenante de la formation du citoyen et du futur travailleur, le gouvernement a opté pour une vision élitiste de cette discipline.
« Soit tout, soit rien »
C’est ainsi que Sébastien Planchenault, président de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP), résume le choix laissé aux élèves concernant l’enseignement des mathématiques. En effet, si les mathématiques ont été supprimées du tronc commun, l’enseignement de celles-ci au sein de la spécialité « mathématiques » (à choisir parmi 12 autres en première) s’est attaché à une conception experte de la discipline.
Quelques semaines après la rentrée 2019 déjà, l’APMEP alertait sur un enseignement trop lourd et exigeant. Son président exprimait alors ses craintes, pointant du doigt le risque de « dégoûter des élèves qui avaient encore un peu d’appétence pour la matière ». En cause, des programmes extrêmement lourds, avec un grand nombre de notions à brasser, laissant peu de temps aux phases de révision et d’entraînement.
Résultat, plébiscitée par les élèves de première à la rentrée 2019, la spécialité mathématique connaît une chute de 5 % dans le choix de la promotion suivante. Amenés à abandonner une de leurs trois spécialités à l’entrée en terminale, les élèves abandonnent massivement la spécialité « mathématiques », la jugeant trop difficile (40 % d’abandon).
Élitisme
L’enseignement des mathématiques reste alors réservé à une minorité d’élèves, capables de suivre des cours extrêmement exigeants, mais demeure inaccessible à la grande majorité des jeunes. Conséquence de Parcoursup, cet enseignement est en effet pensé comme un enseignement préparatoire à l’enseignement supérieur, afin de coller au mieux aux « attendus » des formations sur la plateforme de sélection. Il s’agit alors d’opérer en amont une sélection sociale, faisant abandonner les élèves ne disposant pas des ressources nécessaires aux études de médecine ou encore d’ingénierie.
Pour Isabelle Gallagher, professeure de mathématiques à l’université de Paris et à l’ENS Paris, directrice de la Fondation Sciences Mathématiques de Paris, le choix fait par le gouvernement d’investir dans un enseignement des mathématiques « d’excellence » au détriment d’un enseignement populaire et ouvert à tous symbolise bien le rapport de la France à cette discipline :
« Si on compte la médaille Fields (“Prix Nobel des maths”, ndlr), on est au même niveau que les États-Unis avec 12 médailles, par contre, on est les derniers en Europe concernant le niveau de mathématiques des élèves à l’école » explique l’universitaire.
Et c’est alors que la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer révèle au grand jour l’ambition politique et le projet d’Emmanuel Macron : une éducation d’excellence réservée à celles et ceux disposant de toutes les ressources, économiques, scolaires et culturelles — les enfants de la bourgeoisie — au détriment de l’ambition d’apporter une instruction à chaque élève de la République. À ce jeu-là, les filles semblent sortir les grandes perdantes.
Nous vous invitons à lire la suite sur les inégalités filles-garçons et les mathématiques.