Depuis 2015, les signalements ont augmenté de près de 80 %, pour atteindre un rythme supérieur à 4 000 par an en 2021.
Dans son rapport d’activité publié le 3 novembre, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), récemment placée sous contrôle du ministère de l’Intérieur après une sensible baisse de moyens, alerte sur l’explosion des signalements de dérives sectaires.
La Miviludes, rescapée d’une tentative de dissolution aux moyens minimes
La lutte contre les dérives sectaires en France est née d’initiatives parlementaires. Depuis les années 1990, des parlementaires de tous bords ont mené des commissions d’enquête et rédigé des rapports sur différents mouvements sectaires actifs sur le sol français.
Scientologues, Témoins de Jéhovah, anthroposophes ont été parmi les premiers mouvements à faire l’objet de cette attention. C’est le suicide collectif de l’Ordre du Temple solaire qui amène le sujet sur le devant de la scène et provoque la création de l’ancêtre de la Miviludes en 1998.
Depuis, des soupçons d’entrave des actions de la Miviludes ont régulièrement été émis.
Avec la multiplication d’attentats islamistes sur le sol français, et la focalisation politique sur le sujet, l’attention portée aux mouvements sectaires passe au second plan. Le budget de la Mission diminue, jusqu’à tomber à 500 000 € par an en 2018, avant que la Mission ne soit quasi dissoute au sein du ministère de l’Intérieur en 2020.
Lors de la même année 2018, Serge Blisko, discret président de la Mission depuis 2012, part en retraite. Il ne sera remplacé que deux ans plus tard, dans le cadre de la fusion de la Miviludes avec d’autres organes, chargés notamment de la lutte contre l’islamisme.
La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, connue pour ses liens avec l’anthroposophie, aurait, semble-t-il, ajouté pendant cette période de latence une censure gouvernementale des rapports de la Miviludes au problème de sa restructuration.
Après être allé jusqu’à couper les liaisons téléphoniques de la Miviludes, le gouvernement rétropédale en 2021, devant la résurgence importante des dérives sectaires pendant la pandémie. Marlène Schiappa annonce en avril une forte hausse des moyens de la mission, qui est notamment dotée d’une cheffe de service en la personne de la magistrate Hanène Romdhane.
Après l’obtention de ces renforts, l’organigramme de la Miviludes compte 12 noms, cheffe de service incluse, pour traiter plus de 4 000 signalements par an, sans pouvoir d’enquête.
La pandémie, terreau fertile pour les médecines alternatives
Dans ce qui est son premier rapport annuel depuis la tentative de dissolution qui a frappé la Miviludes, celle-ci interpelle sur une multiplication des phénomènes sectaires en France.
Une bonne partie d’entre eux poussent à renoncer à la médecine conventionnelle pour s’orienter vers différentes médecines dites « alternatives », représentant de véritables dangers pour la vie de personnes sous emprises et manipulées par ces mouvements sectaires.
La Miviludes alerte sur la bonne réputation dont jouissent les « médecines douces » en France. D’après un sondage Harris en 2019, 86 % des Français-es ont une bonne image des « médecines douces » et près de 10 % les jugent efficaces même pour des affections graves. Sur ce fond entretenu de sympathie voire de foi dans ces pratiques, les pseudos professionnels de santé sans aucune formation académique — « thérapeutes », « conseils », « coachs », « psychosomatothérapeutes » — se multiplient.
Certaines pratiques conduisent à des risques graves pour les patients. La doctrine Hamer ou « médecine nouvelle germanique » prétend ainsi ne traiter les cancers que par la psychothérapie.
Ces pseudo médecines bénéficient de relais maîtrisant parfaitement les réseaux sociaux, tel le naturopathe Thierry Casasnovas, comptant plus de 80M de vues sur ses vidéos YouTube, qui fait l’objet de plus de 50 signalements pour avoir poussé ses patient-es à arrêter leurs traitements et à se nourrir exclusivement de fruits.
Certaines pratiques en vogue jouent clairement avec la limite entre spiritualité et pseudo médecine. La méditation de pleine conscience, sans être intrinsèquement sectaire, attire l’attention de la Miviludes. Le néo-chamanisme, notamment dans son incitation à l’utilisation de stupéfiants ou au passage dans un état second dans des huttes de sudation, inquiète l’administration.
Avec la vague de complotisme autour de vaccination qui a marqué la période de pandémie, ces pseudo médecines qui grandissent par le rejet de la méthode scientifique et de la médecine conventionnelle ont semble-t-il gagné du terrain.
Des « multinationales de la spiritualité » en pleine croissance
Les « multinationales de la spiritualité », que sont, selon les mots de la Miviludes, l’Église de Scientologie et les Témoins de Jéhovah inquiètent l’administration. Le nouveau siège de la scientologie à Saint Denis sera une immense vitrine pour ce mouvement sectaire pendant les Jeux olympiques.
La Miviludes s’inquiète d’ailleurs d’une « stratégie de reconquête à grande échelle » engagée par le mouvement sectaire. Le laxisme du gouvernement quant à l’implantation de son nouveau siège interroge d’ailleurs sur la volonté de lutter réellement contre cette organisation.
Les Témoins de Jéhovah, un mouvement qui repose sur la conviction que l’Armageddon est proche et qu’il est du devoir de chaque membre de la secte d’en avertir son prochain, sont l’objet de nombreuses inquiétudes. En matière sanitaire, leurs croyances mettent en danger leurs membres, en leur interdisant par exemple le recours à la transfusion sanguine. En matière judiciaire, l’administration s’inquiète d’une organisation qui semble avoir sa propre cour de justice religieuse (les « Anciens »), ses propres lois et ses propres sanctions.
L’anthroposophie, une contre-société de l’école aux pharmacies
L’anthroposophie, doctrine spirituelle de Steiner, un occultiste autrichien qui siégeait en bonne place dans la bibliothèque d’Himmler, implante sans aucune contestation apparente ses sociétés en France.
Les écoles Steiner-Waldorf seraient une vingtaine à ce jour en France, éduquant des enfants dans « une sorte d’atmosphère incestuelle permanente pouvant rapidement faire perdre la tête à tout le monde » selon le témoignage de Grégoire Perra, ancien enseignant anthroposophe.
La médecine anthroposophique bénéficie elle de la couverture de la multinationale Weleda, groupe de 23 sociétés dont la Société Anthroposophique est l’actionnaire majoritaire.
Si l’entreprise souffre de l’heureux déremboursement de l’homéopathie depuis 2020, elle génère tout de même des centaines de millions d’euros de chiffres d’affaires, en s’appuyant notamment sur un réseau de praticiens prétendant guérir toutes sortes de maladies (dont le cancer) par des injections d’extrait de gui blanc.
Des « stages de virilité » en forêt poussant aux violences intrafamiliales
Si la Miviludes dénonce l’émergence du masculinisme, théorie fondamentalement violente et réactionnaire prétendant que les hommes devraient se défendre dans une société dorénavant dominée par les femmes, l’administration considère qu’elle ne relève pas, dans le cas le plus général, de son champ d’action.
Certaines formes d’action pourraient cependant coupler masculinisme et dérives sectaires.
Dans le viseur de la Miviludes, le ManKind Project (MKP), qui organise des stages en forêt « d’initiation à la masculinité », d’où les participants, privés de tout contact avec l’extérieur, contraints à des confessions publiques, privés de sommeil, de nourriture, de vêtements, reviennent, selon les signalements de plusieurs femmes de leur entourage, avec une volonté de tout contrôler et une disparition brutale d’empathie envers conjointes et enfants.
Face aux dérives sectaires, construire le progrès social, promouvoir la culture scientifique
Dans une telle situation de crise du capitalisme, l’alerte annuelle d’une mission interministérielle est aussi nécessaire qu’infiniment insuffisante. L’État bourgeois est dans une drôle de position quand il semble s’inquiéter de voir grandir les pires aspects de l’exploitation et de la désagrégation sociale qu’il est chargé de protéger.
Face au renouveau incessant des sectes, de l’anti-science, des manipulations de masse les plus réactionnaires, la tâche immédiate est la construction d’une société alternative, le socialisme, qui ne pourra venir à bout des sectes qu’en proposant à l’ensemble de la classe travailleuse d’aller rationnellement à la conquête d’un monde meilleur sur Terre, ici et maintenant.
DROIT DE RÉPONSE
La rédaction est contrainte par la loi de publier ci-dessous le droit de réponse de l’Eglise de Scientology, puisqu’elle est mentionnée dans l’article. Nous tenons à dire que l’auteur de l’article n’a fait qu’informer nos lecteurs du contenu d’un rapport interministériel de lutte contre les dérives sectaires, notamment en citant celui-ci. Nous ne partageons pas le texte qui suit, et nous savons que nos lecteurs sont capables de réfléchir par eux-mêmes, de faire leurs propres recherches et de lire les nombreuses enquêtes journalistiques réalisées par nos confrères sur la Scientologie. Ils peuvent également lire le rapport interministériel pour se forger un avis. Enfin, nous souhaitons dire que nous prenons cette demande de droit de réponse comme une pression exercée sur un journal écrit bénévolement par et pour les jeunes, aux moyens modestes, et qui n’a jamais cherché à tromper ses lecteurs.
« L’article intitulé “L’inquiétante montée des dérives sectaires” et publié le 16 novembre 2022 sur le site www.lavantgarde.fr à l’adresse suivante : https://www.lavantgarde.fr/linquietante-montee-des-derives-sectaires a pour sujet la publication du rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
L’Eglise de Scientology y est qualifiée péjorativement de “mouvement sectaire” et de “multinationale de la spiritualité”, étant ainsi assimilée, puisqu’il s’agit du thème du rapport, à une “dérive sectaire”.
Elle peine à saisir les raisons objectives qui pourraient motiver sa mention dans ce document et considère qu’il s’agit d’un acharnement de la MIVILUDES à son égard.
Le terme “multinationale” a une connotation économique qui contredit la véritable nature de la Scientology. Les modes de financement de l’Eglise de Scientology ne diffèrent pas de ceux des Eglises anciennement établies. Tous les flux financiers de l’Eglise ont d’ailleurs été examinés de façon extrêmement minutieuse par le fisc américain (IRS) et par d’autres administrations dans le monde. Ils en ont conclu que l’Eglise est un organisme à but non lucratif, que les dons reçus sont utilisés pour les seuls besoins de la religion de Scientology et qu’aucun dirigeant n’en profite personnellement.
Puisque le rapport se place sur un terrain international, il y a lieu de rappeler que l’Eglise de Scientology est reconnue comme un mouvement religieux dans de nombreux pays tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Suède ou encore les États-Unis ou l’Australie, pour n’en citer que quelques-uns. En France, au cours des 60 ans d’existence de l’Eglise, plusieurs décisions de justice l’ont également constaté.
Pour conclure, l’Eglise ne mène pas une prétendue “stratégie de reconquête à grande échelle”. Cette présentation, faite sur un ton qui se voudrait alarmiste, est purement et simplement fausse : depuis sa création en France en 1959, l’Eglise de Scientology a connu un développement continu, lequel se manifeste par sa future installation dans “le nouveau siège” à Saint-Denis.
Il serait donc temps de mettre fin à la diffusion de ces allégations pour l’Eglise et ses membres, citoyens français, qui sont en droit de s’attendre à un minimum de respect de la part du service public : “La France est une République laïque… elle respecte toutes les croyances” (Constitution, article 2). »