Dans un contexte de répression des aspirations du peuple kurde qui s’étend de la Turquie à la France, Agit Polat, porte-parole du Conseil Démocratique Kurde en France (CDKF) a accordé un entretien à l’Avant-Garde. Il revient pour nous sur le lancement de la campagne internationale pour la libération d’Abdullah Öcalan, mais aussi sur la coopération du gouvernement français avec les autorités répressives du gouvernement turc.
À travers le monde, les organisations kurdes ont lancé une campagne pour la libération d’Abdullah Ocalan, 25 ans après son entrée en détention. Quel espoir représente-t-il pour le peuple kurde ?
Une campagne a été lancée partout dans le monde depuis le 10 octobre 2023, dans plus de 100 pays à la fois. Elle n’implique pas que les Kurdes, mais différentes organisations syndicales, politiques, écologistes, féministes, des ONG, des personnalités connues, des artistes qui y prennent une part active.
Le 10 octobre est une date symbolique, car le complot inter-étatique a débuté le 10 octobre 1998 et a fini par la mise en geôle d’Öcalan le 15 février 1999. Depuis plus d’un quart de siècle, Öcalan vit en isolement carcéral sur l’île-prison d’Imrali et cela fait 38 mois qu’il est à l’isolement total et que nous n’avons aucune nouvelle de lui.
Öcalan représente l’espoir pour le peuple kurde et pour l’ensemble des peuples du Moyen-Orient qui souffrent des dictatures, des guerres, de la barbarie. Il est la clé de voûte de la paix. Il est l’architecte d’un paradigme jinéologique (science faite par les femmes pour les femmes), écologique et démocratique. Il a réussi à sauver un peuple condamné à la disparition par des génocides physiques, ethniques et culturels menés par des États qui ne sont rien d’autre que des colonisateurs d’un Kurdistan divisé en quatre entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie.
Öcalan est le leader légitime du peuple kurde, la voix des millions de kurdes, ce peuple qui est toujours sans statut. Il a fait renaître la cause kurde qu’il mène depuis plus de 50 ans. Dans un monde où des obscurantistes tels que Daesh veulent terroriser le monde entier, Öcalan est celui qui a donné une âme à la lutte menée par les femmes kurdes avec le slogan Jin, Jîyan, Azadî, Femme, Vie, Liberté.
Il est détenu injustement depuis plus de 25 ans. À travers sa détention, c’est le déni et la négation de l’existence du peuple kurde que les États colonisateurs du Moyen-Orient, à commencer par la Turquie, membre de l’OTAN, veulent faire perdurer. C’est pourquoi nous disons qu’il est temps de libérer Öcalan et de reconnaître l’existence du peuple kurde via une solution politique dans laquelle seul Öcalan est l’interlocuteur légitime du peuple kurde.
Ces dernières semaines, plusieurs militants kurdes ont été extradés de la France vers la Turquie. Le gouvernement français se rend-il complice du pouvoir turc ?
La France a participé dans le passé à la division du Kurdistan avec les accords Sykes-Picot et le traité de Lausanne signé entre les vainqueurs de la Première Guerre mondiale et l’État turc en 1923. Depuis, le peuple kurde n’a plus aucune existence officielle et fait l’objet de massacres et de génocides, dont le dernier a été commis contre les Yézidis par Daesh en 2014.
Par ailleurs, la Turquie fait partie de l’OTAN dont la France est également membre. Via sa situation géographique, la Turquie utilise plusieurs éléments de chantage contre l’Europe, y compris le terrorisme de Daesh. Il ne faut pas oublier que tous les terroristes de Daesh qui ont commis des attentats en Europe sont passés par la Turquie. La Turquie utilise également la question de l’immigration et les conflits allant de la Libye à la Syrie et l’Ukraine. Les intérêts économiques viennent s’y ajouter.
Pour faire plaisir au dictateur islamo-fasciste Erdogan, la France se sert du prétexte suivant : le PKK est sur la liste des organisations terroristes, à la demande de la Turquie via ses alliés américains. Or, suite à un long conflit judiciaire et politique, le PKK est reconnu par la justice belge comme une organisation qui prend part dans un conflit armé, et pas comme une organisation terroriste. La Turquie veut à tout prix empêcher que le PKK soit retiré de la liste des organisations terroristes.
Ainsi, dans le cadre des coopérations bilatérales avec la France, les militants kurdes qui se sont réfugiés en France font l’objet d’extraditions vers la Turquie alors qu’ils y sont condamnés à des peines de prison seulement pour avoir défendu leurs droits culturels et leur identité kurde. Il est désolant de voir une telle attitude du pays des Droits de l’Homme. Il s’agit des mêmes kurdes que l’on a acclamés comme des héros et avec qui l’État français coopère en Syrie et Irak, mais qui sont taxés de terroristes une fois arrivés en Europe pour faire plaisir à l’islamo-fasciste Erdogan.
Les élections municipales en Turquie ont été beaucoup commentées, notamment sous le prisme d’un affaiblissement de l’AKP. Pensez-vous qu’une fenêtre s’ouvre pour des conquêtes démocratiques et sociales ?
Les élections ont vu le paysage politique changer en Turquie. L’économie de guerre menée par Erdogan et la coalition AKP-MHP afin d’éradiquer totalement le peuple kurde a engendré une corruption totale et une crise économique sans précédent. La politique répressive menée contre l’opposition du HDP avec des milliers de détenus politiques, une droitisation et une islamisation de la société selon l’idéologie des Frères Musulmans dont Erdogan est le représentant en Turquie, un ultra-nationalisme fasciste ont créé des effets néfastes sur tous les plans.
Le parti DEM a réussi à gagner de nouveau les municipalités qui avaient été confisquées de force par le régime. Ainsi, la lutte du peuple kurde sous l’égide d’Öcalan a ouvert une voie à l’ensemble de la société avec un effet de vases communicants. Contre un régime fasciste qui instaure la peur et qui se dirige vers un totalitarisme islamiste, la lutte des femmes kurdes inspirée de l’idéologie d’Öcalan a donné espoir à l’ensemble de la société qui a sanctionné durement par son vote le régime guerrier d’Erdogan.
Les changements n’adviendront que si une solution politique est trouvée à la question kurde. C’est pourquoi nous insistons sur la libération d’Öcalan et la reconnaissance d’un statut pour le Kurdistan. Sans la paix, la démocratie n’est pas possible, pas plus que la prospérité ou la stabilité politique. Notre espoir est le paradigme d’Öcalan et la lutte que nous continuerons de mener sans relâche.