Les jeunes sont le public le moins touché par le Covid-19. S’ils ne sont pas immunisés, ils semblent développer des symptômes plus bénins, voire pas du tout. Un temps soupçonné d’être des vecteurs importants de la propagation de l’épidémie, une étude conduite en Savoie pointe vers des conclusions potentiellement inverses. Paradoxalement, ce sont en revanche les tranches d’âges qui ont probablement le plus à perdre des mesures de confinement mises en place pour combattre l’épidémie.
1,57 milliard de jeunes déscolarisés
Pour les plus jeunes, le risque premier est la déscolarisation. C’est particulièrement vrai pour les jeunes filles et les enfants en situation de handicap souligne l’UNICEF. L’institution internationale en charge de la coopération pour la protection des enfants dénombre ainsi 1,57 milliard de jeunes tenus loin des écoles. Il est impossible d’anticiper les conséquences d’un événement historique d’une telle ampleur. On peut cependant déjà s’attendre à ce que les inégalités soient accentuées. À l’intérieur d’un pays comme la France, on a déjà pu observer de fortes disparités en fonction de la richesse des territoires. À l’échelle de la planète, les différences sont bien plus marquées et le retour vers les chemins de l’école pourra être très compliqué.
« Nous avons appris de précédentes fermetures d’écoles que les enfants, en particulier les filles, qui sont maintenus en dehors de l’école pour une période prolongée ont moins de chances d’y retourner quand les salles de classe rouvriront leurs portes. La fermeture des écoles empêche aussi l’accès aux programmes de nutrition basés à l’école, faisant augmenter les taux de malnutrition. Le potentiel d’apprentissage d’une génération entière d’étudiants pourrait être affecté. Redoubler notre engagement pour l’éducation, et notre investissement n’a jamais été plus urgent. »
Henrietta Fore, directrice exécutive d’UNICEF.
Ce retour à l’école est en plus complexifié par un retour à la normale difficile à prévoir. Les pays qui sortent du déconfinement peinent pour l’instant à envisager un fonctionnement classique des établissements. Ainsi en France, le nombre d’élèves par classe sera limité et le retour facultatif. Au Danemark, la restauration collective n’est pas en service, les enseignants sont invités à donner cours en extérieur et à la municipalité de Copenhague a annoncé n’être en capacité d’accueillir qu’un élève sur deux. Des mesures d’exception qui pourraient être amenées à se prolonger. Le confinement a permis partout le ralentissement de l’épidémie et la limitation de sa mortalité, mais pas encore sa suppression. En Chine, premier pays ayant mis en place un confinement des populations, l’ensemble des cours n’ont pas encore repris.
L’adaptation des locaux pour permettre le respect des gestes barrières et la distanciation sociale risque d’être l’apanage des États les plus solides financièrement. Même parmi les pays les plus riches on peut s’attendre à ce que les moyens ne soient pas à la hauteur. Les dettes publiques sont partout creusées dans d’immenses plans de soutien à l’économie principalement dirigée vers la rentabilité du capital. Les inégalités territoriales ou entre secteurs publics et privés pourront également être importantes. L’éducation des plus jeunes est pourtant un facteur déterminant pour le développement humain. En France, le diplôme joue un rôle très important dans l’accès à l’emploi et particulièrement pour les plus jeunes dans l’accès au marché du travail.
L’emploi, l’autre défi pour les jeunes
L’emploi est la deuxième bataille pour les jeunes. L’organisation internationale du travail s’en est alarmée dans un communiqué le 15 avril. La situation des jeunes vis-à-vis de l’emploi était déjà bien plus précaire avant la crise actuelle. L’institution internationale recense cinq raisons pour lesquels les jeunes risquent se trouver surexposer à la crise actuelle.
La première est qu’en période de réduction d’emploi, les jeunes sont systématiquement les premiers impactés. Moins expérimentés que leurs aînés, ils sont les premiers à être licenciés ou voir leur temps de travail réduit. Ils disposent également de réseaux moins développés ce qui diminue leur capacité à trouver un autre emploi. Pour ceux qui sont entrepreneurs, ils disposent souvent de capacité de financement bien inférieur à leurs aînés et risquent donc davantage la faillite.
Le deuxième élément avancé par l’institution internationale est la place de l’économie informelle chez les jeunes. Trois jeunes sur quatre travaillent dans le secteur informel à l’échelle de la planète. Ils ne sont donc pas protégés par le droit et ne peuvent souvent pas bénéficier des plans étatiques visant à maintenir les revenus.
Le troisième point est l’exposition plus forte des jeunes aux formes atypiques d’emploi. Les petits boulots, les temps partiels, le travail temporaire sont davantage développés chez les plus jeunes. En France, on peut noter la question des emplois étudiants, des livreurs à vélos sous statuts d’auto entrepreneur, mais également l’intérim ou les CDD. Ces formes d’emploi diminuent leur protection sociale voire le réduit à néant.
L’OIT avance comme quatrième argument, que les jeunes sont davantage présents dans les industries les plus exposées à l’arrêt de leur activité par la crise actuelle. L’exemple mis en avant est celui de l’Union européenne au sein de laquelle un jeu sur trois travaille pour la vente en gros, la vente au détail, l’hôtellerie et la restauration. Des secteurs qui en dehors de la vente alimentaire sont totalement mis à l’arrêt par les mesures de confinement et distanciations sociales.
La cinquième et dernière constatation de l’institution internationale est que les jeunes sont davantage exposés à l’automatisation de leurs emplois. Un élément qui pourrait jouer doublement. D’une part, certaines entreprises pourraient décider d’automatiser pour anticiper une future nouvelle période de confinement. D’autre part, la volonté de relocaliser certaines productions amènera à des investissements dans des pays aux salaires plus élevés et donc dans lesquels l’automatisation sera plus intéressante pour les capitalistes.
L’OIT mentionne également la question des nouveaux entrant dans le marché du travail. En 2019, le Céreq a publié un bulletin relatant les différences d’accès l’emploi pour une cohorte de nouveaux entrants en 1998 et une autre en 2010. Pour les jeunes entrés dans l’emploi en 2010, le contexte est celui où la production n’avait pas récupéré de la crise de 2008 et allait vers un second choc avec la crise de la dette souveraine de 2012. Entre 1998 et 2010, un certain nombre de changements structurels ont eu lieu sur le marché de l’emploi. La comparaison permet toutefois d’observer les effets conjoncturels de la crise économique. Les jeunes de 2010 ont ainsi connu des trajectoires davantage marquées par le chômage et l’emploi précaire que ceux de 1998, et ce jusqu’à sept ans après leur entrée sur le marché de l’emploi.
On peut craindre donc le même résultat pour la crise économique actuelle. Les nouveaux entrants sur le marché de l’emploi seraient condamnés pour plusieurs années à une forte dégradation de leurs conditions d’emploi. L’OIT lance d’ailleurs un appel à une prise en compte des besoins spécifiques des jeunes dans ce contexte :
« Ainsi donc, quand les dirigeants du monde entier décideront de mesures de soutien et de relance, il sera indispensable d’inclure des dispositions spécifiques pour aider les jeunes et de s’assurer qu’ils sont bien inclus dans les dispositifs de soutien, qu’ils soient employés ou entrepreneurs. »
Pour l’instant, le gouvernement français semble assez peu prendre la mesure de cette spécificité. Le temps de réponse pour des mesures d’urgence à destination des étudiants précaires est assez peu encourageant. Le plan de reprise de l’école est particulièrement flou et lacunaire. Sur l’emploi, toute la stratégie repose sur un soutien public à la rentabilité du capital, une vieille recette qui n’a jamais fait ses preuves.