Surprenant centenaire
Par le jeu des calendriers orthodoxe et grégorien c’est en ce début novembre que nous fêtons le centenaire de la Révolution d’Octobre.
Déclarations officielles, expositions et documentaires se succèdent, dans une ambiance pour le moins surprenante. Si les épisodes révolutionnaires de l’année 1917 font l’objet de passionnants débats historiographiques, la controverse politique en est quasiment absente.
La traditionnelle cohorte des historiens anticommunistes (Courtois, Lazart et consorts) n’a pas pointé le bout de son nez. Les chaînes de télévision, pourtant ferventes adeptes de l’anticommunisme outrancier, n’ont pas investi dans de sensationnelles enquêtes à charge. Si nous, communistes, avons pris le parti de célébrer Octobre, c’est un bien morne centenaire que nous ont préparé nos adversaires de classe.
Le communisme ne passionnerait-il donc plus, qu’on en prenne le parti ou qu’on choisisse de le combattre ? Marx, Engels et Lénine seraient-ils cantonnés aux bibliothèques, condamnés à n’être dépoussiérés qu’une fois l’an par les amoureux des belles lettres ? La révolution serait-elle devenue un astre mort ?
Pourtant, tout nous prouve au contraire le retour du temps des révolutions. Le monde craque de tous côtés, ce qui apparaissait immuable devient changeant et incertain.
L’exploitation se renforce, les guerres se déploient et dans le même temps, de nouveaux modes de production et d’échange débarquent sur le marché mondial, faisant exploser partout les anciens rapports sociaux. Cette situation nouvelle engendre de nouvelles forces révolutionnaires et donne une vigueur renouvelée aux anciennes.
Au Royaume-Uni, le féminisme écrase le ministre de la Défense et menace de faire chuter tout un gouvernement. En France, le reportage d’Elise Lucet met le feu aux poudres chez les salarié.e.s de LIDL et de Free. Seconde hypothèse, serait-ce donc par peur d’une révolution à venir que nos adversaires s’évertuent à taire celle d’hier ?
Sans doute nos adversaires ne laissent-ils rien au hasard. Pour autant, force est de reconnaître que l’immense force des salarié.e.s, des femmes, de la jeunesse n’est pas encore allée assez loin. Elle n’inspire pas encore aux classes dirigeantes la peur incontrôlable d’un nouveau péril rouge.
Cette force a besoin d’une conscience collective, d’un projet et d’une stratégie à défendre. Elle a besoin, en 2017, de trouver le Parti communiste. Voilà l’urgence, en ce début de siècle.
Pour nos amis supposés ou ennemis déclarés, ce surprenant centenaire tient en ces mots : momifier 1917. Qui craindrait une pièce de musée ?
Pour nous, n’en déplaise à tous les croque-morts, la célébration vise au contraire à arracher 1917 à l’Histoire. Le plus beau des hommages, c’est de rendre au passé ce qui lui appartient pour permettre aux forces vives de 2017 de conduire leur propre révolution, dans les conditions de 2017.
Suivant d’ailleurs en ce sens les mots si justes de Marx dans son 18 Brumaire, sur lesquels nous finirons :
« La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté.
[…] La révolution sociale […] ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle-même avant d’avoir liquidé complètement toute superstition à l’égard du passé. Les révolutions antérieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution […] doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet.
Autrefois, la phrase débordait le contenu, maintenant, c’est le contenu qui déborde la phrase. »