Le Procès Goldman – le jugement et la dignité des survivants  

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Le Procès Goldman – le jugement et la dignité des survivants  

Le Procès Goldman est arrivé dans nos salles de cinéma un mois après le succès critique et économique d’Anatomie d’une Chute. Si les deux peuvent être rapprochés par l’importance du procès au sein de leur narration – il constitue le climax d’Anatomie tandis qu’il en fait un huit-clos total dans Le Procès Goldman – ils contrastent l’un l’autre par leurs propos. 

Le premier est un film sur l’impossibilité de connaître et de comprendre les dynamiques et les tensions d’un couple pour un regard extérieur, le deuxième est un film de civilisation qui s’interroge sur la violence, son héritage, les liens entre les peuples et une histoire familiale tragique, une génération après la Shoah.

Au cœur de la justice  

Pierre Goldman est un personnage – historique et ici narratif – au minima intriguant et accrocheur. Militant d’extrême-gauche, chef de sécurité pour l’UNEF, membre de l’Union des Étudiants Communistes, maquisard au Venezuela, fils de résistants juifs dans les FTP-MOI, il se retrouve accusés de braquages, vols et du double meurtre de deux pharmaciennes. Il reconnaît sa culpabilité pour tout, sauf en ce qui concerne le double meurtre. Une première fois condamné, il revient en Cour d’Assise à Amiens après que la Cour de Cassation ait fait annuler sa première condamnation. Entre-temps, il a rédigé en prison “Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France”, qui devient un grand succès en librairie. Commence alors le second procès Goldman, qui occupera tout le film.

Une mise en scène originale 

Plusieurs choses frappent dans la mise en scène, très rapidement : d’une part, l’absence totale de musique, qui laisse la belle part à une gestion du son, des voix, des chuchotements, des soupirs et des silences. Cela donne et transmet une réelle dimension supérieure à ce procès, qui dépasse le cadre d’un simple double meurtre. 

D’autre part, les deux acteurs principaux sont tout bonnement exceptionnels. Nous avons Arieh Worthalter en Pierre Goldman et Arthur Harari interprétant son avocat, Georges Kiejman. Leurs deux personnages ont assurément un sacré caractère. Goldman est montré dans ce film comme un névrosé aux valeurs morales extrêmement puissantes, flamboyant, et avec une démarche autodestructrice dont les mécanismes sont au centre des tensions du film. 

Kiejman est un avocat intransigeant, lui-même porteur de valeurs morales strictes, lui-même caractériel – mais plus contenu – et pourtant lui-même porteur d’un certain doute sur “que faire de ses originales juives dans cette société et dans ce procès”. Sans doute les deux hommes sont aussi différents qu’ils peuvent l’être, mais un lien très primordial et sensitif existent entre les deux, et les amènent à un débouché, à autre chose.

Un jeu particulier mais efficace 

Il faut un certain temps pour comprendre le jeu des acteurs. Au début, nous sommes assez décontenancés face au rythme des phrases, au ton, à l’accent posé sur certains mots, à un côté extravagant – notamment pour Goldman – qui contraste avec un jeu très naturaliste des autres acteurs du procès, même en ce qui concerne les figurants. L’entrée dans la narration est alors plutôt froide, pas jusqu’au point qu’elle soit laborieuse, mais l’atmosphère du film nous place dans un ressenti très particulier. C’est loin d’être une mauvaise chose. La lumière, l’éclairage et la photographie de ce film ont également de quoi surprendre : tous les personnages baignent dans une sorte de lueur blanche émanant d’au-dessus d’eux, dans une sorte de lumière à la fois naturelle, réaliste, et quelque peu onirique, surréaliste. 

Le réalisateur, Cedric Kahn, a révélé qu’il avait fait posé une grande fenêtre d’où la lumière du jour passait au plafond de la salle de procès, ce qui était à même de créer cette photographie étrange, à la croisée des mondes. Au bout d’une demi-heure, un cap est passé. Quelle tension, quel saisissement, quelle force ! Nous voyons les échanges que se font les avocats, les tirades que lance Goldman aux policiers, et ce qu’il clame être son “innocence ontologique” que rien ne pourra tromper. On parle de son destin en tant qu’homme, en tant que juif, nous voyons ses parents, résistants, peu loquaces. 

Nous nous demandons ce que ça fait d’être l’héritage d’une telle Histoire, et de se retrouver au cœur de ce procès qui dépasse malgré lui chaque individu qui s’y retrouve impliqué. Ces questions sont centrées lui, mais trouvent un écho et un miroir puissant dans tous les personnages, amis et témoins qui l’entourent, concernés, partisans ou militants, des luttes décoloniales contre l’ancien Empire français.

Une vieille recette au profit d’un film réussi 

Fondamentalement, la narration d’un procès est l’un des éléments mythologiques les plus anciens de la littérature. Nous y retrouvons les thèmes de la recherche de la vérité, de la culpabilité, et surtout de la dignité humaine face à l’adversité. Pierre Goldman est certainement un type ayant des choses à se reprocher, parfois mauvais dans ses relations humaines, parfois bon. La sentence qu’il reçoit – tel Job dans son livre éponyme de l’Ancien Testament ou comme Jean Valjean dans Les Misérables – dépasse pourtant largement ses fautes. Et de plus, comme de nombreuses personnes traumatisées ou recevant en héritage familial un passé traumatisé, il ne semble ne vouloir rien de plus que de passer à l’échafaud, tout en ayant la conscience la plus pure du monde. Comme il le dit lui-même, il ne veut pas de témoins pouvant attester de son bon caractère, il ne veut pas de processus fallacieux : il est innocent, car il est innocent.

Lorsque son avocat, maître Kiejman, prend conscience qu’ils partagent sans doute plus qu’une simple relation de maître à client, et que la question des origines familiales et culturelles communes – ainsi que la tragédie qui en sont portées – n’est pas quelque chose qui puisse être évité, tu ou nié, l’émotion est grande. Pierre Goldman, Georges Kiejman, les anciens FTP-MOI, tous les témoins, les amis, camarades communistes et anti-coloniaux, se partagent cette prise de conscience et ce lien fraternel immense. Le Procès Goldman est assurément l’un des meilleurs films français de l’année.


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