En plus de creuser les inégalités à l’école, Marine Le Pen propose aussi de mettre l’école sous contrôle politique. À la lecture de son programme éducation, la tentative de dédiabolisation du parti d’extrême droite ne tient pas. On y retrouve les fondamentaux du fascisme et de l’extrême droite.
Des méthodes sous contrôle politique
Marine Le Pen n’a eu de cesse de le répéter dans sa conférence de presse de présentation de son programme pour l’école, son ennemi est le « pédagogisme ». Vieille lubie des réactionnaires et de l’extrême droite, ce terme fourre-tout ne répond à aucune définition précise. En réalité, derrière cette expression se cache une critique de toutes les formes d’innovations pédagogiques qui ont émergées tout au long du 20e siècle et qui visaient à rendre l’élève « acteur de ses apprentissages » : travail de groupe, place de l’erreur, situations de recherches plutôt qu’apprentissages descendants… Des mouvements hétéroclites, d’origines très diverses, et qui irriguent aujourd’hui les recherches en sciences de l’éducation et les pratiques des professeurs.
La candidate frontiste propose de « restaurer le principe de transmission ». Pourtant, celui-ci n’a jamais été totalement abandonné, les professeurs étant aujourd’hui libres d’enseigner de la manière dont ils le souhaitent, de manière « descendante » ou « coopérative », « constructiviste » ou « transmisive », en situation de recherches ou en prenant exemple sur l’enseignant…
Le Parlement sera chargé de définir « les modalités concrètes d’enseignement » des disciplines. Concrètement, il s’agit de la suppression de la liberté pédagogique des enseignants, leur permettant aujourd’hui d’aller piocher dans différentes méthodes et manières d’enseigner. Ce sera le politique qui indiquera aux enseignants de quelle manière il doit s’y prendre pour enseigner une notion en français, une opération en mathématiques, un chapitre en histoire.
L’emprise politique sur les programmes
De la même manière, c’est l’ensemble des programmes qui seront soumis à validation du Parlement, « de manière concise et limitative ». Aujourd’hui, ceux-ci sont élaborés par un Conseil supérieur des programmes, organisme indépendant composé de personnalités diverses : députés, membres du Conseil économique social et environnemental et des personnalités qualifiées (chercheurs, professeurs). Bien que soumis à une validation finale du ministre, l’élaboration de ceux-ci, certes imparfaite, fait intervenir divers acteurs afin d’éviter une emprise idéologique trop forte des gouvernements.
En faisant fixer par le parlement les attendus de fin de cycles, Marine Le Pen fait preuve de démagogie, dénigrant le rôle des experts en éducation et professeurs, spécialistes des apprentissages, et transforme les programmes en un simple outil politique visant à « restaurer le principe de transmission : des valeurs, de l’histoire de France, de notre patrimoine de savoirs et de culture ». Elle ne dit rien sur le développement cognitif des élèves, leur éveil à la citoyenneté, le développement de leur esprit critique…
On retrouve aussi le rejet des chercheurs en sciences de l’éducation à travers la réforme de la formation initiale des professeurs. Marine Le Pen souhaite y retirer tous les enseignements universitaires pourtant essentiels aux professeurs pour prendre du recul sur leurs pratiques et les remplacer par un unique tutorat fait par les pairs. Elle s’appuie sur un discours anti-science, visant à faire passer des recherches scientifiques comme un discours idéologique, préférant s’appuyer sur des ressentis ou des fantasmes sur ce que devrait être l’école. On y retrouve alors les vieilles lunes de l’extrême droite dans le monde telle celle de Bolsonaro, parti en croisade contre les intellectuels communistes dans le pays et dans les milieux de l’éducation.
Une police de la pensée pour les enseignants
Mais le Rassemblement national ne propose pas uniquement le contrôle politique des programmes et des modalités pédagogiques. Il souhaite contrôler la parole de chaque enseignant.
Ainsi, il mentionne dans son programme la volonté d’un « renforcement de l’exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant en matière politique, idéologique vis-à-vis des élèves qui leur sont confiés » avec un contrôle renforcé des corps d’inspection et une « obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l’encontre des encadrants ». La neutralité des enseignants est pourtant déjà inscrite dans le droit de la fonction publique. Quel sens aurait alors une telle mesure ? Il s’agit en réalité de mettre la pression sur les enseignants, en transformant les corps d’inspection en une police de la pensée des professeurs, afin de vérifier que ceux-ci ne diffusent pas trop d’« idéologie » dans leurs cours. Le flou laissé sur ces termes laisse présager des abus importants, lorsque l’on connaît l’opposition du RN à prétendue « théorie du genre » au « wokisme » à la « repentance permanente » ou la « décolonisation » qui seraient enseignés aux élèves.
Demain, un enseignant pourrait être sanctionné pour avoir tenu des propos qui ne plairaient pas au pouvoir politique en place.
Contrôle politique total des programmes et fin de la liberté pédagogique, le cocktail est explosif pour une école caporalisée et des enseignants transformés en « fidèles exécutants de programmes politiques » pour reprendre les mots de l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, dans une tribune au « Monde ». Alors que le projet libéral d’Emmanuel Macron pour l’école pourra être combattu à travers les outils dont disposent aujourd’hui les acteurs du système éducatif, celui de Marine Le Pen sera incroyablement difficile à mettre en déroute, tant il attaque tous azimuts les fondements même du système éducatif français.