Le Pen meurt, la droite enterre De Gaulle

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Le Pen meurt, la droite enterre De Gaulle

Jean-Marie Le Pen est mort, à l’issue d’une vie passée à reconstruire méthodiquement l’extrême droite française. Hommage inconditionnel à l’extrême droite qui vient de perdre son patriarche. Anti-hommage et réjouissances à gauche, dont le combat continue. Et, au centre et à droite, une ambiguïté déjà datée, un hommage mal dissimulé reconnaissant en Le Pen père un grand adversaire. Un adversaire, certes, mais grand quand même.

Un petit florilège de réactions

Parmi les élus en place, il semble que la noblesse d’âme ait voulu qu’on rende les honneurs à un ennemi trépassé. François Bayrou, pour en souligner la pugnacité, se souvient de son aspect “combattant”, et utilise la formule sobre de “figure de la vie politique française”. Dans son communiqué, l’Élysée a au moins le mérite de rappeler que le monsieur était d’extrême droite. Mais attention : cela “relève désormais du jugement de l’Histoire”. Il eût été utile de rappeler que le jugement des tribunaux est là pour nous guider, notamment avec plusieurs condamnations pour contestation de crimes contre l’humanité, provocation à la haine ou encore apologie de crime de guerre.

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Nicolas Dupont-Aignan, pour sa part, accomplit tranquillement la fin de son naufrage, souhaitant voir Le Pen “au-delà des polémiques”, là où Éric Ciotti signe un tweet d’une rare beauté pour quelqu’un de “profondément français” (allez savoir ce que cela signifie), “un homme complexe, aux zones d’ombres mais aussi au courage et au patriotisme sincère”.

Les Républicains, pour leur part, sont tenus de prendre de la distance. Acclamons donc Bruno Retailleau, qui s’est précipité pour rappeler ce qui le sépare du fondateur du FN : “Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de Jean-Marie Le Pen, il aura incontestablement marqué son époque.” François-Xavier Bellamy, pour sa part, accorde à Jean-Marie Le Pen le statut de lanceur d’alerte, à titre posthume : “L’importance que Jean-Marie Le Pen a eue dans notre vie politique est la conséquence de longues années de déni et d’impuissance sur la question migratoire. Ceux qui l’insultent, même dans la mort, refusent d’abord de regarder leurs abandons”.

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La subversion de l’héritage gaullien

Ces réactions, tout en nuances et délicatesse à l’égard du refondateur de l’extrême droite, sont un nouveau marqueur de la faillite républicaine. Mais l’ironie veut que cette faillite vienne du camp se revendiquant volontiers du général De Gaulle, dont Le Pen était un ennemi farouche.

Car oui : malgré une confusion savamment entretenue, le RN, de ses origines à ses positionnements idéologiques, n’a cessé de s’attaquer au gaullisme comme composante républicaine, par ailleurs légitimement dénoncé par la gauche pour son caractère bourgeois et conservateur.

Ennemi de la République, Jean-Marie Le Pen a ainsi fondé le Front national avec la fine fleur de la collaboration et de l’OAS, toutes deux ayant milité, comploté et tué contre la France.

De Gaulle avait lui-même été la cible de tentatives d’assassinat par les partisans du maintien de l’Algérie française. On se souvient ainsi de sa voiture criblée de balles lors de l’attentat du Petit Clamart, auquel il survit par miracle. Un des principaux responsables, Jean Bastien-Thiry, sera exécuté pour ce fait (devenant par là même le dernier condamné à mort fusillé de France). Ce qu’on sait moins, c’est que Jean-Marie Le Pen prétendra plus tard avoir échafaudé un plan pour faire évader Bastien-Thiry. 

Dans les décennies qui suivront, Le Pen et son parti n’auront de cesse d’entretenir la nostalgie de l’Algérie française, de nier les horreurs du nazisme ou de nuancer le rôle de la collaboration. En somme, le seul camp politique que Le Pen pouvait détester plus encore que De Gaulle est incarné par les communistes.

Les digues continuent de sauter

Il y a donc de l’inquiétude à se faire devant la réaction des héritiers de celui qui était tant haï par le Rassemblement national. Mais qui pour s’en étonner ? Année après année, Le Pen et le Front national ont fait infuser leurs idées progressivement, en implantant leur stratégie dans la bataille culturelle que dans la mobilisation militante et l’organisation des groupuscules violents.

Ces idées, régulièrement moquées, renvoient au pire de notre histoire. Lorsque le FN est fondé, beaucoup sont encore en vie pour se souvenir du carnage de l’Occupation, et de la place de l’extrême droite dans la collaboration. Mais aujourd’hui, alors que l’eau a coulé sous les ponts et que la mémoire de cette période tragique est sans cesse altérée et souillée par de petits jeux de communication, le RN peut prétendre être le premier parti de France.

Décidément, “Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire” comme le chantait Jean Ferrat. 


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