Après 18 mois de restrictions, le passe sanitaire apparaît comme une des mesures les moins contraignantes dans un contexte de tendance à la baisse des libertés publiques.
18 mois de restrictions
L’extension du conditionnement d’accès à certains espaces publics à la possession d’un passe sanitaire a déclenché de nombreuses critiques, dénonçant notamment le caractère liberticide de la mesure.
Assez paradoxalement, cette mesure est peut-être l’une des moins contraignantes de celles qui ont été prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie depuis bientôt 18 mois.
Le premier confinement était particulièrement liberticide. La sortie de son domicile était interdite sous réserve d’un certain nombre d’exceptions. La scolarisation des enfants a été stoppée, des soins ont été interrompus ou retardés et une grande partie de l’activité économique du pays mise à l’arrêt.
L’été dernier, on a pu assister à la généralisation de l’obligation du port d’un masque de protection dans la quasi-totalité de l’espace public. Une mesure qui aura duré presque une année complète.
Le second confinement était moins strict que le premier, mais la sortie du domicile était toujours conditionnée.
Un couvre-feu nocturne a également été imposé pendant plusieurs mois interdisant de fait la plupart des temps de sociabilité pour les plus jeunes.
Le troisième confinement — jugé tardif par une partie de l’opinion ! — a, à nouveau, fortement restreint le droit de sortir de son domicile.
Les confinements et couvre-feux se sont accompagnés d’attestations dérogatoires de sorties de plus en plus absurdes rappelant les meilleurs moments de la vie d’un lycéen majeur.
Sous cet historique, le passe sanitaire apparaît presque comme un monument de laxisme libertaire soixante huitard.
Une tendance à la baisse des libertés publiques
Pour prendre le contrepied de la provocation des lignes du dessus, il faut quand même rappeler que les libertés publiques ne sont pas sur une pente ascendante.
Les mesures temporaires ont tendance à durer dans le temps voire à s’inscrire dans le droit commun. La sortie de l’état d’urgence en 2017 s’est faite pour une large part en inscrivant comme norme des dispositifs conçus initialement comme exceptionnels.
La fin annoncée du passe sanitaire au 15 novembre prochain est d’ailleurs largement conditionnée à la situation sanitaire. Les mesures attentatoires aux libertés, mais rassurantes ont tendance à avoir du mal à disparaître. Leur suppression fait d’ailleurs reposer une responsabilité morale sur le décideur public. Le maintien l’engage nettement moins.
En matière de sécurité ou d’immigration, les lois se sont empilées ces dernières années diminuant d’autant les droits notamment en matière de défense pénale.
Le droit de manifester a lui aussi été sévèrement diminué, d’abord en utilisant le régime d’exception de l’état d’urgence puis en modifiant le droit commun. Les forces de l’ordre ont vu leur capacité d’intervention renforcée tandis que de nouvelles infractions ont été créées pour sanctionner certaines pratiques de manifestation.
La liberté de circulation est elle-même remise en cause par la multiplication de zones dans lesquelles les policiers sont autorisés à pratiquer des contrôles d’identité aléatoires. Ces derniers aboutissent très souvent à des discriminations racistes.
Ce contexte rend très légitimes les interrogations formulées contre l’extension du champ d’action du passe sanitaire.
Liberté des uns et des autres
La vie en société est toujours un exercice délicat d’équilibre entre les libertés et les droits des uns et des autres.
La recherche de la sécurité, qui justifie la frénésie législative en la matière, est légitime. Quelle liberté reste-t-il aux salariés de Charlie Hebdo face aux menaces terroristes ? Condamnée à vivre sous protection policière et à travailler dans un bunker secret, leur liberté est aujourd’hui très limitée.
Dans un registre bien différent, une personne immunodéprimée est aujourd’hui également contrainte de limiter fortement ses interactions sociales pour éviter la maladie et potentiellement la mort. Une mesure visant à augmenter la couverture vaccinale, même fortement contraignante, vient lui rendre un peu de sa liberté.
Ce délicat équilibre n’est jamais parfait. L’important c’est que les choix effectués trouvent une légitimité. Dans une société démocratique, cela implique par exemple le respect de procédures législatives.
Les différents gouvernements d’Emmanuel Macron ont fait le choix d’un recours assez limité au parlement quand ils ne l’ont pas franchement humilié. Aidée par une majorité écrasante et très disciplinée, la majorité présidentielle a souvent fait le choix d’aller vite et d’écraser les oppositions. On se souvient, en matière de droit du travail, des ordonnances remettant en cause plusieurs décennies de compromis sociaux.
La tentative d’instauration d’une taxe carbone sur les carburants à l’origine de la mobilisation des « gilets jaunes » est un autre bon exemple de cette méthode gouvernementale.
L’annonce télévisée par le Président de la République de l’extension du passe sanitaire et la procédure expéditive d’adoption de la loi le permettant au milieu de l’été ont largement contribué à délégitimer la décision. Pour être honnête, si les mobilisations contre le passe sanitaire sont importantes, il faut toutefois noter qu’elles sont minoritaires.
Le passe sanitaire et la liberté vaccinale
Le passe sanitaire est également une mesure qui n’est pas tout à fait franche.
Le passe sanitaire peut s’obtenir par un schéma vaccinal complet, un test négatif de moins de 72 h ou une infection guérie à la Covid-19 de moins de six mois.
La dernière méthode est assez rarement issue d’un acte volontaire.
La seconde est très contraignante. Le futur non-remboursement des tests la rendra impossible pour une grande partie de la population qui ne pourra pas assumer son coût prohibitif.
Le passe sanitaire est donc principalement procuré par la vaccination. L’obtention d’un passe est quasiment impérative pour vivre « normalement ». Le refuser c’est presque s’infliger un « autoconfinement ».
La mesure vient très fortement inciter à la vaccination, voire la rendre quasiment obligatoire. L’obligation vaccinale n’est pourtant pas ce qui a été débattu et adopté par le Parlement.
Emmanuel Macron avait même promis qu’il n’y aurait pas d’obligation vaccinale tout en faisant la promotion de la vaccination comme principal moyen de lutte contre la pandémie.
Un « en même temps » à l’origine du complexe et contraignant passe sanitaire.