Le continent africain, et plus particulièrement ses régions subsahariennes, sont depuis longtemps le sujet de multiples expériences rhétoriques venues autant de la droite que de la gauche. Peu importe le malheur frappant les peuples maliens, burkinabés ou tchadiens, il est toujours un bon moyen de plaquer sa logique dogmatique sur un problème apparemment des plus simples.
De la « France buveuse de sang » à la « mission civilisatrice de l’Occident », l’occasion se prêtait magnifiquement à ce que la crise politique qui secoue depuis une semaine le Niger alimente les débats de toute sorte sur le nucléaire français, même les plus mensongers.
Le Niger, un pays colonisé puis néo-colonisé
Comme le reste de l’Afrique de l’Ouest, la région qui correspond aujourd’hui aux frontières administratives du Niger fut occupée par la France à la fin du XIXe siècle. S’il existait un objectif d’appropriation des ressources naturelles du continent africain, cette emprise visait aussi à concurrencer l’expansion coloniale grandissante du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la Belgique.
Lorsque le Niger prend son indépendance le 3 août 1960, la France perd son contrôle politique direct sur le pays, mais déploie son influence par d’autres moyens. L’un d’eux est économique : c’est la filière de l’uranium.
L’extraction de ce dernier est lancée à la fin des années 1960 par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). La filière se libéralise peu à peu après la période De Gaulle et les mines d’uranium nigériennes passent sous la responsabilité de la Compagnie générale des mines en 1976, puis de la multinationale française Areva en 2001.
La forte participation de l’État français dans cette société privée n’empêche pas Areva de pratiquer à plein le lobbying, tout en participant à la destruction des écosystèmes et à la mise en danger des ouvriers (majoritairement nigériens) par une trop forte exposition aux radiations.
Areva, transformée en Orano, il y a cinq ans, défend son modèle de développement local en soulignant que les mines nigériennes sont exploitées par des entreprises franco-nigériennes. Ces filiales d’Orano dépendent en réalité totalement des prises de décision de Paris.
Haro sur le nucléaire français
La crise politique qui secoue actuellement le Niger, qui a mené à l’enfermement du président Mohamed Bazoum, n’a pas manqué d’éveiller la propagande antinucléaire de certains écologistes français, à l’instar de Sandrine Rousseau.
Loin de s’inquiéter des conséquences socio-économiques de la crise pour le peuple nigérien, ou encore de l’affaiblissement de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, ceux-ci ont ciblé la filière nucléaire française. Elle est dépeinte à la fois comme la raison de la présence française au Niger, mais aussi des propos néocoloniaux du président Macron — dont personne ne sera surpris.
En réalité, si le nucléaire français reste un sujet fortement clivant dans la classe politique de gauche, il l’est beaucoup moins dans la population qui soutient à 75 % le développement de la filière. Dès lors, tout événement touchant de près ou de loin à la production d’électricité d’origine atomique devient un argument, en dépit à la fois du bon sens, mais aussi de la vérité scientifique.
Un accident à Fukushima qui n’a fait aucune victime et ne présente aucun risque selon le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants ? Peu importe, démontons les centrales. Des déchets nucléaires enfouis, mais dont la masse dangereuse équivaut à peine au volume d’une maison ? Qu’à cela ne tienne, détruisons nos réacteurs. Un coup d’État au Niger, exportateur d’uranium vers la France ? C’est bien la preuve que l’atome ne fournit aucune indépendance énergétique. CQFD.
Brouiller les pistes, diffuser l’incertitude
Mais le réel s’adapte difficilement à ces facilités rhétoriques, qui nient (et ce de manière tout à fait volontaire) les faits au sujet de la production nucléaire d’électricité en France.
Premièrement, le Niger n’est pas un partenaire vital pour le nucléaire français puisqu’il ne représente que 15 % des importations hexagonales. Son principal site d’extraction, Arlit, est asséché depuis 2021, tandis que les nouveaux gisements découverts d’Imouraren ne sont pas encore opérationnels. La France possède d’autres partenaires commerciaux sur l’uranium, notamment l’Australie et le Kazakhstan.
Deuxièmement, même si l’extraction s’arrêtait subitement dans tous les pays exportateurs d’uranium, la France bénéficierait encore de plusieurs années de totale indépendance énergétique, à la fois par ses réserves d’uranium, mais aussi par ses propres gisements encore inexploités, du fait d’une rentabilité moindre.
Troisièmement, l’arrivée progressive des réacteurs nucléaires de troisième et quatrième génération laisse entrevoir dans l’avenir de la filière une forte amélioration du recyclage des déchets nucléaires en électricité. Cette perspective est malheureusement ralentie par l’arrêt des projets Superphénix et Astrid, engagée par les gouvernements écolo-socialistes de Jospin puis Hollande. Un recyclage optimal pourrait faire espérer à la France une autonomie énergétique de plusieurs milliers d’années.
En fait, le recours à l’argument de l’indépendance énergétique repose sur une erreur sémantique. Que ce soient les énergies fossiles, les énergies renouvelables ou l’énergie nucléaire, la France sera toujours dépendante du reste du monde. Comme elle importe du Niger une partie de son uranium naturel, elle fait venir de Chine une grande partie des terres rares utilisées dans la production de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes off-shore.
Mais par sa possibilité de recycler les déchets dans un futur proche, le programme nucléaire français est un bel atout pour atteindre une électricité 100 % décarbonée d’ici à 2050.
Pas touche à la Françafrique ?
Remettre en question la doxa d’une certaine partie de la gauche sur la question nucléaire ne revient pas à défendre “les intérêts [économiques] de la France” comme le fait Emmanuel Macron.
Comme dans le reste de l’Afrique de l’Ouest, la production d’uranium au Niger repose sur une logique capitaliste d’exploitation au mépris le plus total de l’environnement et des travailleurs locaux, dont les problèmes de santé sont niés.
Le sujet devrait en revanche amener à combattre ce mode d’exploitation pour construire des coopérations bilatérales, profitant aux deux peuples.
Les Nigériens doivent pouvoir reprendre la main sur leur outil de production et organiser l’exportation de leurs ressources naturelles comme ils l’entendent, souverainement. Le rôle de la France dans ce parcours de l’atome ne peut être que celui d’acheteur ou de conseiller.
Bien loin de la question du nucléaire, la réaction impérialiste de la présidence Macron se comprend surtout par l’affaiblissement général de la position stratégique française au Sahel dans la lutte contre le terrorisme. Les choix stratégiques désastreux effectués par les gouvernements successifs, notamment socialistes, dans la guerre au Mali ont entraîné un rejet total de l’aide française par les populations locales.
Bien que le retrait des forces françaises du Mali l’an dernier et leur redirection vers les bases nigériennes auguraient un renouveau stratégique au ministère des Armées (ne plus faire à la place, mais faire à la demande), la méthode Hollande et le modèle d’intervention militaire français restent profondément antidémocratiques et hasardeux, surtout accompagnés d’une déréliction du corps diplomatique français. La réponse au terrorisme en Afrique subsaharienne est bien loin de n’être que militaire.