La disparition des talus comme symptôme d’une agriculture conquise aux logiques capitalistes 

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La disparition des talus comme symptôme d’une agriculture conquise aux logiques capitalistes 

Les talus, ce sont ces buttes de terre qui bordent souvent les routes, les champs, les propriétés. Parfois surmontés de haies, souvent laissés en friches, ils ont de multiples intérêts, et leur disparition progressive doit nous inquiéter, car ils présentent de très nombreux avantages écologiques. 

L’intérêt écologique des talus

Les talus stabilisent les terrains. Ils évitent le ruissellement et le rinçage des terres lors des fortes pluies. L’eau a alors le temps de s’infiltrer dans la terre jusqu’aux nappes phréatiques, au lieu de ruisseler directement jusque dans les différents cours d’eau en charriant toutes sortes de pollutions. De plus, l’infiltration de l’eau dans le sol limite fortement les risques de débordements des cours d’eau en aval. 

Les talus sont également des sanctuaires pour la biodiversité. Ils abritent toutes sortes d’espèces végétales, ainsi que de nombreux insectes, dont des pollinisateurs, comme des essaims d’abeilles sauvages, des petits mammifères et des oiseaux. 

Les talus comprennent également souvent des arbres qui participent au cycle du carbone sur Terre. 

Leur disparition continue doit donc nous inquiéter fortement et concerne toute la population, pas uniquement les propriétaires des champs et talus. 

Le bocage, facteur limitant de la production agricole : l’exemple breton

D’après des archives du haut Moyen Âge, le bocage occupait une large place en Bretagne. Les nombreux petits champs étaient délimités par des talus, plus ou moins haut, surmontés de haies, ou pas, et abritant une biodiversité variant selon les conditions du milieu. 

Cet état de fait a perduré jusqu’au début des années 1950. Les petits champs étaient cultivés par des exploitants à la tête de fermes très modestes, comprenant le plus souvent un faible nombre de vaches laitières, quelques porcs et volailles.

Ces fermes avaient recours, pour la mise en culture de leurs terres, à la traction animale, principalement par des chevaux de traits. Cette technique était un facteur limitant du rendement de ces fermes pour plusieurs raisons. 

Tout d’abord, chaque exploitation agricole devait consacrer une part non négligeable de ses terres exploitées à l’approvisionnement des chevaux. Des parcelles de foin et d’avoine étaient réservées à l’alimentation des animaux de traits, évidemment même lors des périodes hivernales, durant lesquelles les travaux des champs ralentissent, voire s’arrêtent.

De plus, l’animal de trait n’a pas la même puissance qu’un tracteur, même en comparaison des tracteurs de l’époque. L’utilisation de la traction animale dans le travail des terres prend donc plus de temps. Elle est également physiquement beaucoup plus dure pour l’exploitant agricole, qui doit guider sa charrue dans la terre pendant que l’animal traîne l’outil. 

Le remembrement des espaces agricoles. 

Cependant, au milieu des années 1950, des éléments sont venus changer cette donne, et ont provoqué le début de la destruction du bocage et de ses talus. On le doit notamment à un décret du 20 décembre 1954, s’appuyant sur une loi instaurée sous le régime de Vichy en 1941, portant sur les « mesures tendant à l’accélération de l’aménagement foncier et au remembrement », ainsi qu’aux débuts de la mécanisation massive du travail des terrains agricoles. 

En effet, l’État français a poussé à l’achat de tracteurs et autres matériels de culture par divers moyens, comme des subventions, l’encouragement au recours au crédit avec des conditions favorables ou des détaxes sur le matériel d’importation, notamment américains. Cela avait pour but de promouvoir une agriculture française plus moderne et rentable, afin de développer les exportations.

En parallèle du mouvement de mécanisation, l’État a mis en place des mesures et des institutions favorisant la création de grandes exploitations agricoles. Celles-ci sont vues comme plus “rationnelles” et rentables suivant la logique des marchés capitalistes, au moyen de l’encouragement au rachat par les plus grosses exploitations des plus petites. 

Ces mesures ont été accompagnées d’autres, visant, dans le même but d’augmentation des rendements agricoles, à fusionner les petits champs constituant le bocage en de grandes surfaces. Les talus, les fossés, les haies et les petits ensembles boisés qui faisaient obstacles à la constitution de ces grandes surfaces ont donc été rasés. C’est le remembrement des espaces agricoles. 

La fin des petites exploitations

Entre les années 50 et 70, les agriculteurs bretons se sont souvent opposés au remembrement des terres agricoles. Mais la progression des idées et du fonctionnement économiques capitalistes dans le monde paysan a depuis fait son œuvre en Bretagne. 

Les politiques favorisant la concentration des exploitations agricoles menées par l’État ont favorisé la croissance des exploitants ambitieux et voraces au détriment de ceux qui souhaitaient favoriser des modes de fonctionnement solidaires et respectueux de l’environnement. 

Ces derniers ont, pour la majorité, fini par se faire prendre en étau entre les grandes coopératives agricoles acquises aux logiques de profit, et leurs collègues agriculteurs qui ont eux souvent totalement accepté ce fonctionnement de « loi de la jungle » capitaliste et se sont lancés dans la course au rendement et à la croissance permanente. 

Entre destruction continue des talus au bord des champs, usage massif de pesticides, ou encore recours à des méthodes culturales épuisant les sols sur le long-terme, notre génération devra un jour payer le prix de ces évolutions économiques et sociales.


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