Si on se pose la question de l’Europe et de la culture, nous avons tout de suite en tête l’Eurovision. Que l’on aime ou que l’on déteste, ce grand concours de chant international, créé sur le continent en 1950, est aujourd’hui reconnu dans le monde entier.
Reflet des conflits internationaux et des luttes
Au fil des années, le concours est devenu le reflet de conflits internationaux. 14 ans après sa création, des opposants aux dictatures en cours au Portugal et en Espagne ont fait irruption sur scène. Avec en main, une banderole où il était inscrit “boycott Franco et Salazar”.
Le concours est régulièrement le théâtre de protestations. Les musiques sont aussi des caisses de résonance de messages politiques et engagées.
Ainsi, l’ouverture au-delà des frontières de l’Europe avec l’entrée dans le concours d’Israël, du Maroc, de la Turquie ou encore plus récemment de l’Australie ouvre les portes d’autres combats.
À ce titre, la participation d’Israël fait l’objet de nombreuses critiques en Europe, au vu des massacres en cours dans la bande de Gaza notamment.
Une histoire d’hégémonie culturelle
Que représente une victoire à l’Eurovision ?
Derrière les paillettes, le concours est aussi l’occasion de s’imposer à l’international dans un domaine bien convoité qu’est celui de la culture. Un pays gagnant, c’est un pays qui marque des points vers une forme d’hégémonie culturelle. C’est celui qui a les capacités financières de faire la promotion à l’international de son candidat. Mais aussi, d’accueillir l’année suivante le concours et cela représente un coût difficilement assumable pour beaucoup.
C’est une réelle mise en concurrence économique des pays entre eux qui se joue. Car le talent ne suffit pas, c’est un investissement pour les pays.
Une concurrence européenne
La concurrence économique et culturelle du concours n’est, à certains égards, que le reflet d’une conception plus globale de ce qu’est l’Union européenne.
En effet, la création d’une union continentale a ouvert à des échanges culturels.
Vu positivement, à première vue, par la mobilité des artistes ou de la création de nouveaux dispositifs de financements ; notamment en termes de création artistique et de patrimoine, l’Europe a boosté les financements, mais à quel prix ? Au prix d’une ouverture à la mise en concurrence des pays et des artistes entre eux. Puisque pour accéder aux dispositifs, pour pouvoir exporter à l’échelle de l’Union européenne un produit culturel, il faut pouvoir s’imposer dans une jungle internationale.
Malgré la particularité de la production artistique dans l’évaluation de sa valeur, l’art n’est pas en dehors de la réalité des marchés. Il répond aussi à des balances entre offre et demande et donc plus largement à une logique capitaliste.
Des dispositifs qui manquent de moyens
Les artistes, premiers acteurs culturels, sont aussi les plus touchés par cette mise en concurrence européenne.
Dans l’accès aux subventions, c’est le programme Europe Créative qui fait la fierté de l’UE. Celui-ci est notamment engagé dans la circulation d’œuvres, de contenus et d’artistes émergents, mais aussi des actions pour aller à la rencontre de nouveaux publics. Le tout pour une enveloppe de 255 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Un chiffre qui peut paraître faramineux, mais qui en réalité ne représente pas grand-chose.
Le manque de moyens alloués à un projet aussi ambitieux est symptomatique d’une volonté de mettre dos à dos l’ensemble des projets portés par les acteurs européens. Pourtant, la diversité des cultures et des productions à l’échelle européenne ne peut être mise en concurrence.
Les artistes, premiers touchés par les politiques européennes.
Au-delà de la production artistique, il s’agit aussi d’un secteur économique qui regroupe près de 7 millions d’emplois sur le continent. Ces emplois sont régulièrement menacés par les politiques austéritaires imposées par l’Europe.
En effet, les multiples attaques de l’assurance-chômage en France sont le fruit de directives européennes. L’Union européenne demandant toujours plus d’économie sur le dos des services publics. Ainsi, elle prône une politique dure envers l’aide financière liée aux périodes de chômage.
Derrière l’assurance-chômage, c’est le système d’intermittence, épine dans le pied de la France, qui est mis à mal. Ce statut est pourtant unique en Europe et sert de filet de sécurité pour les artistes dont le rythme de travail singulier demande une adaptation.
La protection des artistes est la garantie d’une richesse culturelle et créative en France et ailleurs. Ce sont pourtant des travailleurs précaires, subissant de plein fouet l’inflation, les réductions budgétaires et la concurrence. Car si un petit nombre d’artistes monopolise la plus grande partie des fonds, la majorité vit dans une grande précarité avec des revenus faibles.
Des paillettes à la réalité du secteur
Lorsque l’on prend le seul exemple de l’Eurovision pour qualifier la culture à l’échelle européenne, nous voyons avant tout les paillettes. Pourtant, la réalité quotidienne de la création et des politiques culturelles européennes sont bien plus nuancées que cela.
La création artistique dans l’ensemble des pays de l’UE mérite mieux que quelques subventions et un concours de chant. Elle a avant tout besoin d’un accompagnement et d’un investissement au niveau des nations afin de préserver leur singularité.