Jean-Paul Lecoq est député PCF de Seine-Maritime et vice-président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Avant-Garde est allé à sa rencontre pour un entretien consacré à la construction de la paix.
Les institutions internationales ne sont pas parvenues à stopper l’invasion russe. Comment expliquer cette difficulté à faire respecter le droit international ?
Le droit international est notre bien commun le plus précieux, mais les États puissants s’en affranchissent dès lors qu’il ne correspond pas à leurs intérêts. Le fameux « deux poids deux mesures » est insupportable. D’autre part, ce qui a contribué à limiter la force du droit international, c’est le Conseil de Sécurité des Nations-Unies qui est verrouillé par les cinq États membres permanents disposant du droit de véto (Russie, États-Unis, France, Royaume-Uni et Chine). Ce privilège injuste leur donne une puissance diplomatique démesurée. Mais soyons optimistes, car l’Assemblée générale des Nations-Unies monte en puissance pour contourner ces blocages. Et les cinq États sont désormais obligés d’aller convaincre les autres membres pour chaque vote. C’est une évolution qui pourrait peut-être aboutir à des réformes intéressantes aux Nations-Unies.
En quoi le désarmement nucléaire permettrait de redonner toute sa place au droit international ?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie démontre que la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas. Le désarmement nucléaire devrait être l’une des priorités de l’agenda international, mais comme les cinq États permanents disposant du droit de véto au Conseil de Sécurité sont les mêmes qui possèdent l’arme nucléaire, tout reste bloqué. Un désarmement nucléaire permettrait de démontrer que les États dotés de l’arme nucléaire sont capables de dépasser leurs intérêts propres pour servir le bien commun, en redonnant au passage du crédit à la force du droit international
Comment parvenir à cet objectif ?
Nous travaillons au groupe communiste pour faire avancer cet objectif. Pour l’instant, il y a un quasi-consensus sur le bien-fondé de la dissuasion nucléaire. Aujourd’hui le débat porte sur le désarmement. Est-ce utile de le faire unilatéralement, au risque que les autres ne suivent pas ? Où est-ce qu’il faut exiger un désarmement multilatéral dans un cadre vérifié comme le propose le Traité de non-prolifération, au risque que cela ne se fasse jamais ? Pour approfondir ces réflexions, un cercle parlementaire a été créé en lien avec les promoteurs du Traité d’interdiction des armes nucléaires. C’est une plateforme d’échanges pour convaincre les parlementaires au Sénat, à l’Assemblée nationale, et au Parlement européen des méfaits de la dissuasion nucléaire.
Pourquoi la France s’inscrit-elle dans une logique guerrière, notamment avec le projet de loi de programmation militaire 2024-2030 ?
La loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit un budget de 413 milliards d’euros pour les Armées. C’est l’avenir voulu par Macron, Borne et la majorité au Parlement. C’est un cadeau à l’industrie de l’armement française. Selon nos projections, le budget des Armées sera autour de 70 milliards d’euros par an d’ici 2029, ce qui est le double du budget de 2018. Il valide la course aux armes pour l’Ukraine et entraîne une vraie militarisation des esprits. Pour se rendre compte de ce que représentent ces sommes, il faut le comparer avec le budget de la diplomatie française qui est de 3,6 milliards d’euros en 2023…
L’occupation en Palestine s’intensifie, mais les relations de la France avec Israël restent inchangées. Comment agir enfin pour une paix juste et durable ?
La France est le seul État qui a reçu Netanyahou en tant que chef du nouveau gouvernement suprémaciste. La France a pris des décrets pour contourner l’annulation par la Cour de Justice de l’Union européenne de l’interdiction des appels au boycott contre les produits issus de la colonisation. La France continue de harceler Salah Hamouri en interdisant toutes les réunions publiques où il doit aller.
J’ai rappelé en commission à la ministre Colonna que la France est complice des crimes israéliens, et je l’ai appelée à reconnaître l’État de Palestine, à établir des sanctions fermes contre les responsables politiques israéliens, à autoriser les appels au boycott, etc. Mais rien n’y fait : la politique étrangère de l’Élysée n’a pas pour ambition de construire la paix, mais de consolider les profits des multinationales françaises.
Que dire aux jeunes qui ne croient plus en la perspective de la paix ?
La culture de paix se construit dès le plus jeune âge, car on nous fait très rapidement croire qu’il n’y a pas d’alternative à la violence et à la guerre. Mais des mouvements comme le MJCF démontrent que des alternatives existent ! Pour que la France change de diplomatie, il faut un gouvernement qui ne soit pas aux ordres des puissances économiques, mais qui soit aux ordres du peuple. Cela changera la donne. Enfin, il faut se dire que rien n’est jamais perdu quand on a des idées et de l’ambition politique : la Sécurité sociale a été mise en place par un ministre communiste après une guerre où la moitié de l’Europe avait été détruite et où plusieurs dizaines de millions de personnes ont été tuées, et où l’argent manquait cruellement !
Guerre en Ukraine
Le patronat français place ses billes en Ukraine
Esteban Evrard
Les entreprises françaises se placent d’ores et déjà sur les futurs marchés de la reconstruction. Un processus de paix ne semble même pas imaginé par les pays membres de l’OTAN, pourtant, différents groupes (du BTP et de la cybersécurité notamment) se préparent à la reconstruction de l’Ukraine. Le budget de cette reconstruction est estimé pour le moment à plus de 350 milliards d’euros, ce qui laisse songeur quant à la féroce concurrence à venir entre entreprises européennes et américaines. Avant la visite de la délégation française, des groupes étasuniens et israéliens s’étaient déjà rendus dans le pays pour proposer leurs services — à l’avenir.
Le patronat allemand, lui aussi, rentre dans le rapport de force (qui ne dit pas son nom) en lien avec la Pologne. La future reconstruction, et donc, de fait, la guerre sont vues comme une « réelle opportunité pour les industriels ». D’autant qu’avec son statut de candidate à l’entrée dans l’Union européenne, l’Ukraine devra donner des gages. Avec plus de 25 000 salariés en Ukraine, les groupes français souhaitent prendre leur « part du gâteau » et remportent d’ores et déjà divers contrats, à l’image de Neo-Eco, groupe lillois qui signait en octobre dernier pour un projet de destruction et reconstruction de bâtiments dans la capitale ukrainienne.
L’industrie militaire sur le devant de la scène
En réalité, la décision d’Emmanuel Macron de livrer des armes lourdes à l’Ukraine ne fut pas surprenante tant il fait des appels du pied aux industriels de l’armement depuis l’été dernier. C’est de longue date que les gouvernements successifs ont opté pour la qualité en dépit de la quantité pour ce qu’il s’agit de l’arsenal national. Macron, lui, renouant avec la vieille tradition belliciste, mais conjointement rattrapée par la réalité, se voit contraint d’en appeler à « produire plus et plus vite ». En cette matière, il semble même avoir la volonté d’une relocalisation accélérée. C’est y compris à ce titre que le ministre des Armées Sébastien Lecornu rencontre depuis la rentrée dernière l’ensemble des industriels de guerre.
Si l’Ukraine a en effet besoin d’aide, il semble logique de lui apporter une aide matérielle plutôt que de lui proposer des services payants tout en lui livrant des armes lourdes. À l’inverse, l’enlisement du conflit permet aux entreprises françaises de faire du profit, ce qui pose la question de la volonté réelle des gouvernements occidentaux d’en finir avec cette guerre et de promouvoir des méthodes de résolution pacifique des conflits.
Mobilisation
Crozon : les jeunes communistes alertent sur les risques de l’arme nucléaire !
Jeanne Péchon
Samedi 22 avril, à l’Ile-Longue dans le Finistère, le MJCF dénonce les risques de l’arme nucléaire.
La presqu’île abrite une base militaire très surveillée au cœur de la dissuasion nucléaire française. Dotée de l’arme atomique, cette base est le lieu d’amarrage des SNLE, les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins français. Ils patrouillent sans interruption dans l’océan et sont chargés de 16 missiles nucléaires à plusieurs têtes. L’explosion de la bombe à Hiroshima représente à côté 4000 fois moins de puissance de feu et de capacité de destruction.
L’arme nucléaire est l’arme la plus dangereuse qui existe. Il ne s’agit pas d’une arme défensive, mais d’une arme de destruction massive dont l’utilisation serait extrêmement néfaste pour l’humanité. Elle ne vise que les civils et les infrastructures sociales.
Avancée comme un totem de défense par les pays qui la détiennent, elle leur permet surtout d’outrepasser le droit international. L’arme atomique est source de tensions et provoque une course à l’armement et à la modernisation nucléaire. Celle-ci n’est ni plus ni moins que la volonté des pays d’augmenter la puissance de feu, donc de destruction, de leurs bombes.
Avec leur action, les jeunes communistes veulent alerter sur la nécessité du désarmement nucléaire à commencer par la France. Ils et elles refusent le principe des relations diplomatiques d’aujourd’hui, à savoir la capacité de détruire son interlocuteur.