La Nouvelle-Calédonie arrive dans un débat public métropolitain habituellement peu au fait de la situation du « Caillou ». Le conflit qui s’installe témoigne du pourrissement d’une situation coloniale que les Accords de Nouméa avaient tant bien que mal gelé.
Pour comprendre la situation, il faut d’abord comprendre celle de son peuple kanak : marqué par une colonisation brutale et deux siècles de répressions, il est largement acquis à la lutte pour la souveraineté de la Kanaky. Regroupement des principales organisations indépendantistes, le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS) est ainsi un acteur incontournable de la vie politique de Nouvelle-Calédonie.
De quels accords parle-t-on ?
À partir de 1984, la Nouvelle-Calédonie est plongée dans une véritable guerre coloniale entre indépendantistes du FLNKS et « loyalistes », majoritaires chez les populations européennes, les « Caldoches », appuyés par l’État français. Ces « Événements » atteignent leur paroxysme en 1988 avec la prise d’otage de gendarmes français par des militants kanak à Ouvéa, menant à la mort de 19 indépendantistes et 2 otages. La crise prend fin à la suite d’une série de négociations tripartites menant aux Accords de Matignon en 1988, puis aux Accords de Nouméa de 1998.
Les accords de 1988 et 1998 entérinent l’idée d’une reconnaissance du peuple kanak et ses spécificités, ainsi que d’une autonomie du territoire, désormais découpée en trois provinces. Ils entendent également préparer l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, avec l’organisation de jusqu’à trois référendums d’autodétermination, et un gel du corps électoral pour les élections provinciales aux listes électorales de 1998 et à toute personne pouvant justifier de vingt ans de domiciliation sur le territoire.
Si ces accords permettent un calme relatif en Nouvelle-Calédonie, ils reposent également sur des ambiguïtés : pour le FLNKS, ces accords posent les bases d’une Kanaky multiculturelle amenée à prendre son indépendance. Pour les loyalistes, en revanche, il s’agit de garantir le maintien de l’archipel dans le giron français.
Au cours des dernières décennies trois référendums auront été organisées :
· Le premier, en 2018, donne 43,33% au camp de l’indépendance, s’il s’agit d’une défaite, sa victoire écrasante dans les communes à majorité kanak indique un attachement fort du peuple autochtone à la cause indépendantiste.
· Le deuxième, en 2020, donne cette fois 46,74% au camp de l’indépendance, sur fond d’une meilleure mobilisation des provinces à majorité kanak, mais aussi d’un élargissement du camp indépendantiste à une partie des autres populations de l’archipel (Notamment chez les polynésiens, wallisiens et futuniens).
Face à cette progression, le camp indépendantiste a donc cherché à organiser un troisième référendum. Pour les loyalistes, l’objectif est alors de l’organiser le plus rapidement possible afin d’éviter une potentielle expansion du camp indépendantiste. Le rapprochement des forces politiques loyalistes, traditionnellement liées à la droite, avec la majorité présidentielle est ainsi l’occasion de pousser le gouvernement à la tenue rapide d’un référendum. Au même moment, l’arrivée du Covid-19 en Nouvelle-Calédonie affecte durement la communauté kanak.
Un référendum qui perturbe le processus de Nouméa
Du point de vue indépendantiste, le projet de référendum de 2021 est donc une catastrophe : s’il ne permet pas la campagne de longue durée espérée, il se heurte également aux longs deuils traditionnels kanak qui risquent de durement impacter la participation aux élections.
Après plusieurs mois de tractations, face à la fermeté du gouvernement, le FLNKS et les différentes forces indépendantistes décident d’appeler au boycott : Avec une participation historiquement basse à 43,87%, et un camp indépendantiste à 3,50%, l’ensemble du processus de Nouméa se retrouve perturbé.
En 2023, alors que les liens entre la majorité présidentielle et les loyalistes se resserrent, Emmanuel Macron annonce un projet de réforme constitutionnelle permettant l’élargissement du corps électoral à toute personne attestant de dix ans de résidence sur le territoire. Ce projet, entérinant le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron français, va donner lieu à une mobilisation sociale sans précédent : rassemblés au sein de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT), les forces politiques et syndicales indépendantistes organisent des mobilisations dès la fin de l’année 2023. Alors que le vote du Sénat et les révélations d’une sous-estimation par l’Etat des mobilisations indépendantistes viennent intensifier le mouvement, des regroupements autour de grands axes routiers sont organisés et les manifestations se multiplient dans les différentes communes du territoire.
Un vote étincelle
Le vote de l’Assemblée nationale le 13 mai 2024 est l’étincelle enclenchant la crise : malgré l’opposition des gauches et du groupe LIOT, une large alliance allant de la majorité présidentielle au RN vient entériner le projet. De premières émeutes éclatent alors dans le Sud-Est, puis se généralisent dans les grands centres urbains calédoniens. Au même moment, alors que la CCAT poursuit sa mobilisation, le camp loyaliste appelle à la répression et pousse les citoyens européens à se constituer en milices d’auto-défense.
Tandis que le couvre-feu imposé par les autorités ne semble pas impacter des milices en constitution dans un archipel largement surarmé (plus de 100 000 armes pour une population de 270 000 habitants), les forces indépendantistes appellent à l’apaisement, mais se retrouvent face à la surdité du gouvernement. Au contraire, Emmanuel Macron annonce l’envoie de contingents de gendarmes supplémentaires sur le territoire. En à peine quelques jours, c’est l’état d’urgence qui est finalement annoncé, suivi de l’envoi du RAID et des Forces Armées de Nouvelle-Calédonie, ainsi que l’interdiction de TikTok sur l’archipel.
Alors que les émeutes se poursuivent, on dénombre désormais plusieurs morts du fait de fusillades. Par sa volonté d’imposer à marche forcée le projet loyaliste, par sa répression sans faille, le gouvernement est parvenu à faire replonger la Nouvelle-Calédonie dans une situation antérieure à 1988. Le déploiement de l’état d’urgence, le traitement médiatique en faveur du camp loyaliste, ou encore l’utilisation de la répression comme unique levier d’action, rappellent la situation dans laquelle se trouve le peuple kanak : celui d’un peuple colonisé face à un État colonial.
Face à cette crise, les forces progressistes françaises doivent se montrer solidaires avec le peuple kanak : après un long combat parlementaire aux côtés de ses alliés ultramarins, le PCF a appelé l’État à revenir aux fondamentaux de 1998 par le dialogue. Son secrétaire général, Fabien Roussel, a également réaffirmé l’attachement du PCF à un processus de décolonisation pour la Kanaky et le peuple Kanak.
Concernant MJCF, il se tient également aux côtés du peuple kanak et de ses organisations dans sa lutte : il rappelle la responsabilité totale de l’État dans l’évolution de la situation en Nouvelle-Calédonie, et affirme son soutien au processus de décolonisation, au droit à l’autodétermination des peuples et aux forces kanaks éprises de justice sociale.
Loin d’être une situation inédite, la gestion française de l’archipel rappelle la longue histoire coloniale de notre pays, mais aussi ses réminiscences dans l’ensemble des territoires dits « d’Outre-Mer » : face à un capitalisme et un impérialisme français en crise, les territoires ultramarins risquent d’être toujours plus un lieu d’expérimentation pour la répression politique et une véritable brutalité institutionnelle.