Très durement frappée par le Covid-19, avec plus de 25 000 décès fin avril, l’Italie a constitué l’un des révélateurs de la gravité de la pandémie, mais également des graves conséquences de politiques d’austérité sur la capacités des États à y faire face, et de l’inanité de la réponse de l’Union européenne.
Pierdomenico Di Terlizzi, 24 ans, est infirmier dans la région de Bari, dans le sud de l’Italie, et membre du comité central des Giovani Comunisti/e (Jeunes communistes). Il revient pour Avant-garde sur le traitement de la crise dans le pays et au niveau européen, et sur les propositions des communistes.
Depuis le 31 janvier 2020, vous faites face en Italie à une violente épidémie du Covid-19. Le pays enregistre l’un des plus grand nombre de décès d’Europe avec l’Espagne et peut aller au-devant d’une grande crise sociale. On a notamment vu le terme de « guerre » pour décrire la menace à laquelle nous faisons face, que pensez-vous de ce terme de « guerre » ?
La crise du Covid-19 est toujours décrite dans des termes militaires : les médias parlent des hôpitaux comme de tranchées et de l’économie de guerre. Je pense que c’est une rhétorique dangereuse parce que traiter une épidémie comme si nous étions en guerre fait de nous des victimes obéissantes, dociles et toutes désignées d’un conflit. La guerre est une période de haine, où l’on tue l’autre pour survivre. Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans une période de proximité et de solidarité. La métaphore du pays en guerre et du « héros infecté » est particulièrement risquée. Chaque jour qui passe, nous réalisons que le Covid-19 ne connaît pas de frontières et nécessite une réponse globale unifiée. Parler de guerre, d’ennemi et d’héroïsme nous éloigne de l’idée d’unité vers des objectifs communs qui nous permettront de surmonter ce défi.
Cette épidémie a mis en évidence la casse qu’a subi le service public hospitalier démarrée durant les années 90 jusqu’à nos jours. Si certaines personnalités ont offert des dons, que faut-il attendre des pouvoirs publics pour une politique durable de refinancement, notamment dans le domaine de la taxation des hauts revenus ?
Notre organisation de jeunesse et notre Parti proposent un impôt sur la fortune depuis des décennies, se heurtant au refus de tous, du centre-droit au centre-gauche, jusqu’au Mouvement 5 étoiles. Nous avons fait la dernière campagne entre novembre et janvier en distribuant un million de tracts en Italie. Peut-être que cette pandémie mondiale pourrait nous aider à surmonter ce tabou. Maintenant, même Beppe Grillo et les politiciens centristes y réfléchissent. Un mur de désinformation absurde a été construit autour de l’impôt sur la fortune. Défendant les intérêts des 10% les plus riches de la population au fil des ans, les gouvernements ont massacré les politiques en matière de santé, de bien-être, de recherche, d’université et d’emploi. Faire payer davantage aux riches signifie simplement l’application de la Constitution. C’est une politique que nous réclamons et attendons depuis 20 ans. Qui sait encore combien de temps devrons-nous lutter pour obtenir ces mesures ?
Quelle attention dans la population a portée aux personnels soignants et est-ce qu’on peut espérer de cette crise un revirement politique par un arrêt des politiques d’austérité, notamment dans le domaine de la santé ?
L’attention que l’opinion publique porte aux agents de santé est pertinente: les médecins et les infirmières sont souvent appelés “héros”, “anges gardiens”, “saints de notre temps”, “fierté de la nation”, et le Premier ministre Conte jure qu’à la fin de l’urgence, ils ne seront pas oubliés. Il nous appartiendra à tous de le lui rappeler lorsque nous demanderons l’embauche de 53 000 infirmières «disparues» du système de santé italien, afin d’atteindre la moyenne de l’OCDE. Il faudra aussi lui rappeler, une fois de plus, que les salaires des infirmières italiennes sont les plus bas d’Europe et que nous devons cesser de recruter des infirmières avec des contrats de collaboration ou les laisser travailler sans EPI dans les établissements de santé. On se souviendra également que les infirmières de plus de 55 ans doivent prendre leur retraite, car elles ne peuvent plus garantir les meilleures performances sur le plan physique, cognitif et relationnel, ayant consacré leur vie à l’une des professions les plus exigeantes. Nous n’oublierons pas les horaires de travail épuisants: aujourd’hui plus que jamais, même dans les soins de santé, «travailler moins pour que tout le monde travaille» serait un tournant.
De nombreuses infirmières du service public recevront le 27 avril 100 euros de plus sur leurs chèques de paie. C’est encore une autre moquerie formidable et humiliante. J’espère que les infirmières de toute l’Italie économiseront cet argent supplémentaire: elles seront utilisées pour payer le voyage à Rome pour la première manifestation qui sera organisée contre le gouvernement.
L’aide d’urgence de l’Union européenne à l’Italie est inexistante. Si bien qu’elle est venue d’autres pays comme Cuba, la Chine ou la Russie. Qu’est-ce que cela peut impliquer pour l’avenir de l’Italie dans ses relations avec l’Union européenne ?
Aujourd’hui, nous sommes plus que jamais conscients que l’UE n’est qu’un marché commun, sans solidarité, ni unité, ni politiques communes. Cette communauté n’est ni sociale, ni politique. Ce que nous voyons en ces jours dramatiques, c’est un groupe de politiciens médiocres et de gestionnaires de système qui négocient alors que la crise sanitaire et économique fait rage.
Nous avons besoin que la BCE fonctionne comme une banque qui garantit la survie de tous, quel qu’en soit le coût. La BCE devrait également investir dans des plans de reconstruction et une nouvelle économie. Cela aiderait grandement l’Italie et les autres pays les plus touchés. Mais même dans ces temps de crise, la politique de l’UE ne s’oriente pas vers la solidarité. Un exemple est le débat sur les eurobonds. Ne pas partager la dette a servi aux bourgeoisies nationales pour frapper les classes populaires, le droit du travail, le bien-être et le public. Avons-nous donc besoin de nouveaux traités? Peut-être. Mais sans un changement dans le mécanisme de fonctionnement de l’UE, je ne vois pas d’avenir pour l’Italie dans l’Union.
On commence peu à peu à évoquer le déconfinement, et certains commerces commencent à reprendre leur activité dans les zones les moins touchées. Que pensez-vous de cette reprise et qu’en disent les salariés des secteurs concernés ?
Regardez la réalité. Dans de nombreuses régions d’Italie, la situation ne s’est pas encore améliorée. En Lombardie, par exemple, nous sommes à 10 000 morts et en ce qui concerne le nombre de personnes infectées et on pense qu’elles sont considérablement sous-estimées: rien qu’à Bergame, le nombre de personnes infectées se situe entre 300 000 et 400 000.
Et pourquoi une contagion de cette ampleur en Lombardie ? De mauvais choix ont été faits dès le départ. Les événements sportifs et autres événements publics étaient autorisés ; au début de la pandémie en Lombardie et en Vénétie, il y avait des remises pour stimuler la consommation et le shopping dans le centre-ville, etc. Les villes où les premiers cas de Covid-19 avaient été identifiés n’ont pas été fermées, tandis que la Confindustria (la confédération italienne des employeurs industriels) en Italie du Nord a fait campagne pour promouvoir le fait que, malgré le virus, l’économie et les activités ne devaient pas s’arrêter. Si hier seulement les personnes âgées sont tombées malades, aujourd’hui les ouvriers contraints d’aller au travail tombent également malades.
Le décret gouvernemental n’a en effet institué le verrouillage que pour certaines entreprises, les « activités essentielles ». Les entreprises qui sont restées opérationnelles, par exemple à Bergame, sont nombreuses. Et maintenant, d’autres rouvrent. De nombreuses entreprises rouvrent avec une simple autodéclaration. On estime que 60 % des entreprises manufacturières n’ont jamais fermé ni repris le travail, même si Bergame est l’épicentre de l’épidémie.
Souvent, ces entreprises rouvrent sans EPI, thermomètres et organisation adéquate. Pendant ce temps, l’opinion publique continue pointer l’arme de la contagion contre les cyclistes et les coureurs, le gouvernement insiste pour maintenir ouvertes les activités qui ne sont clairement pas essentielles telles que les usines d’armes, où des dizaines de milliers de travailleurs sont concentrés et infectés. Je pense que si une réouverture totale a lieu le 4 mai, la contagion durera longtemps et il pourrait y avoir un risque d’explosion supplémentaire qui pourrait même être pire que la première.
Quelles mesures prioritaires faudra-t-il mettre en œuvre pour aider les notamment les classes populaires qui étaient déjà précarisées avant cette crise ?
L’épidémie que nous vivons a mis en évidence la non-durabilité du modèle social néolibéral basé sur la réduction progressive du niveau de vie. Nous sommes confrontés à cette crise avec un système de santé publique fortement affaibli par les coupes et les processus de privatisation et une société déjà marquée par de fortes inégalités et un déclin économique. En premier lieu, le pacte de stabilité et de croissance doit être immédiatement suspendu, comme cela s’est produit (et toute référence à celui-ci doit être supprimée de notre Constitution), car dans une situation comme actuelle, le maintien de mesures visant à contenir les dépenses représente le contraire de ce qui est nécessaire à la fois pour faire face à la pandémie et pour faire face à la crise économique.
Nous demandons un revenu de base de quarantaine pour ceux qui ont perdu leur emploi ou n’ont plus de revenus en raison de la pandémie. De vastes secteurs de la population sont aujourd’hui confrontés à d’énormes problèmes économiques. En Italie, nous avons déjà un soi-disant « revenu de base de la citoyenneté », mais cet outil doit être amélioré en élargissant son accès.
Nous pensons que la crise a clairement montré que les règles européennes et les inégalités honteuses entre les pays sont inacceptables. C’est pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, nous demandons un impôt progressif sur la fortune et un impôt extraordinaire sur les super-riches et les multinationales.