Fonte des glaces : l’urgence face aux enjeux environnementaux, politiques, sociaux et sanitaires

publié le dans
Fonte des glaces : l’urgence face aux enjeux environnementaux, politiques, sociaux et sanitaires

Avec le réchauffement climatique, la fonte des glaces s’accélère, que ce soit la banquise en Antarctique, en Arctique, ou les calottes glaciaires continentales dans les chaînes de montagnes comme l’Himalaya.

Les études sur ces phénomènes sont multiples et l’on peut voir partout des chiffres plus impressionnants les uns que les autres. Depuis le début des années 1990, l’Antarctique a perdu près de trois mille milliards de tonnes de glace. En l’espace de 30 ans, la banquise arctique a fondu d’une surface équivalente à six fois la France. Les scientifiques estiment que la fonte de la calotte glaciaire est désormais responsable de 25,6 % de l’élévation du niveau de la mer.

La fonte des glaces a évidemment des impacts environnementaux ressentis sur les faunes et les flores locales, mais les enjeux les concernant sont en réalité multiples.

En Arctique, vers l’ouverture de routes maritimes supplémentaires ?

Le pôle Sud est un espace de science pour l’instant protégé de toute exploitation, et qui reste une des dernières zones démilitarisées du Globe. À l’inverse, le pôle Nord est un espace convoité pour ses ressources d’énergies fossiles et fréquenté par les plus grandes puissances militaires.

La fonte des glaces provoquée par le réchauffement climatique facilite le développement de nouvelles routes arctiques qui longent aujourd’hui les côtes des pays riverains. L’une slalome entre les îles au large du Canada et l’autre passe le long des côtes russes.

La route maritime du Nord-Est est celle qui représente le plus grand potentiel pour écourter les distances entre l’Europe et l’Asie. Elle permettrait des économies sur les coûts de transport par rapport aux routes empruntant les canaux de Suez et du Panama. On parle de la règle des 30% pour 30% de gain de distances entre les ports chinois et les ports européens, et 30% de gain de coûts d’exploitation et de frais de carburant.

Ces bénéfices sont toutefois à nuancer, car de nombreux obstacles demeurent : hydrographie imparfaite, trafic estival interrompu par la reconstitution des glaces à l’automne, conditions météorologiques difficiles rendant l’assistance de brise-glace souvent nécessaire, même en été.

Le développement de la navigation commerciale en Arctique reste une perspective éloignée, mais sera un des enjeux du XXIe siècle. En effet, le réchauffement climatique laisse entrevoir dans les décennies à venir une navigation estivale libre de glaces entre mai et novembre, notamment le long des côtes russes. Aucun modèle climatique n’envisage cependant la fonte totale de la banquise en hiver.

De nos jours, les navires qui empruntent la route du Nord-Est sont encore contraints de transiter dans les eaux côtières russes, mais pourront sans doute naviguer hors des eaux de la zone économique exclusive (ZEE) sous contrôle russe dans vingt-cinq ou trente ans.

Le Canada et la Russie revendiquent chacun de leur côté la souveraineté des voies maritimes au large de leurs côtes, mais pas pour les mêmes objectifs. Le Canada s’est arrogé toute la zone archipélagique du Nord comme “eaux intérieures”. Il considère en effet que ces îles sont une continuité naturelle du continent américain.

Les autorités russes ont quant à elles utilisé les mêmes arguments pour englober des passages entre les îles et le continent. Ils s’apparentent davantage à des détroits internationaux, mais les Russes les convoitent comme “eaux intérieures”. Cette vision leur permet de revendiquer une souveraineté sur le passage du Nord-Est, dans leurs eaux territoriales, donc de percevoir des droits sur les services d’escorte imposés.

Des sous-sols marins convoités pour leur richesse en hydrocarbures

À ce litige sur les eaux intérieures s’ajoute celui sur les revendications territoriales concernant l’extension du plateau continental au-delà des zones économiques exclusives des États côtiers. La ZEE de chacun des cinq États riverains de l’Océan Arctique couvre quasiment toute la surface de l’océan, ne laissant que sa partie centrale en haute mer, couverte pour l’instant en permanence par la banquise.

Ces pays réclament chacun pour eux l’extension de leurs sous-sols au-delà du talus du plateau continental, via une extension dans la dorsale de Lomonossov. L’objectif serait de s’approprier légalement les ressources d’hydrocarbures sous-marines.

Pour le moment, la très grande majorité du trafic en Arctique provient des zones d’exploitation des ressources énergétiques. Selon plusieurs études, 30% des gisements de gaz et 10% des réserves supposées de la planète en pétrole encore non-découvertes sont situées dans cette zone boréale. La majorité de ces réserves se trouve dans les ZEE des cinq États qui bordent l’Océan Arctique (Canada, États-Unis, Russie, Norvège et Danemark pour le Groenland), 60% du gaz arctique appartiendrait à la ZEE russe.

Au regard du droit international maritime, les gisements situés dans les ZEE ne sont exposés à aucune possibilité d’appropriation étrangère. Cependant, ces ressources restent aujourd’hui difficiles d’accès et leur exploitation est risquée en raison de la présence de la banquise.

Fonte des glaciers de l’Himalaya, assèchement des régions agricoles du plateau tibétain et libération de virus

Les calottes glaciaires continentales subissent, elles aussi, les effets du réchauffement climatique. Depuis le début du XXe siècle, dans cette région montagneuse, la température a augmenté de 1,1°C. Le plateau tibétain, au Nord de l’Himalaya, constitue la 3ᵉ plus grande réserve de glace au monde après l’Antarctique et l’Arctique. Mais, entre les années 2000 et 2018, sa masse totale est passée de 340 gigatonnes à 166 gigatonnes.

Avec le recul des glaciers et la fonte du permafrost, les conditions météorologiques deviennent plus imprévisibles. Les ressources en eau, autrefois fiables et dont dépendent des millions d’habitants, sont perturbées et le risque de catastrophes naturelles est accru.

Si le problème de base est bien la fonte de la glace stockée, de nombreuses conséquences en découlent inévitablement.

Tout d’abord, le changement de phase glace-liquide crée des changements de circulations atmosphériques. Les mouvements de masse d’air sont modifiés par l’augmentation de la proportion d’eau liquide. Cela peut provoquer des intempéries ou, à l’inverse, des sécheresses dans certaines régions, mais également la modification de la répartition des ressources en eau.

En effet, ces glaciers alimentent dix des plus importants réseaux fluviaux du monde, dont le Gange, l’Indus, le Huág hé, le Mékong et l’Irrawaddy. Les scientifiques ont déjà pu observer un écoulement de l’eau de plus en plus vers le nord, et de moins en moins vers le sud. Ce déséquilibre tend à s’accentuer. D’ici à plusieurs années, les bassins plongeant vers la mer (comme les fleuves) risquent l’assèchement, alors que ceux qui sont fermés (comme les lacs) risquent d’être submergés.

Les rives de l’Indus, en particulier, sont utilisées comme terres agricoles et nécessitent une irrigation importante. Cependant, avec la tendance à l’assèchement, l’agriculture pourrait bientôt devenir impraticable dans cette région. À l’inverse, dans d’autres régions, un afflux d’eau provenant des lacs glaciaires pourrait provoquer des inondations et la destruction des récoltes. L’accroissement du débit du Gange et du Brahmapoutre va également forcer des changements dans l’agriculture locale.

Cette fonte pourrait ainsi avoir des conséquences sévères sur la vie des 250 millions d’habitants de ces montagnes, et des 1,65 milliard d’habitants vivant dans les bassins fluviaux en aval. 

Mais, la fonte des glaciers de l’Himalaya réserve aussi des surprises pour les chercheurs qui ont découvert récemment, sur la carcasse d’un animal libéré des glaces, un virus toujours hautement pathogène. Plus de 4 000 virus et bactéries ont ainsi été identifiés sur le toit du monde. Si l’objectif des scientifiques est d’identifier tous ces micro-organismes dans un but de prévention, ils craignent également que la prochaine pandémie provienne d’un virus libéré par la fonte des glaces. 

Fonte de la banquise antarctique, ralentissement des courants marins

Il existe deux types de courants marins. Les courants marins de surface, provoqués par la circulation des vents et qui peuvent être chauds ou froids selon leur position sur le Globe, sont les plus connus, à l’image du Gulf Stream. Les courants marins profonds sont fondés sur les variations de température et de salinité. Ils sont constitués d’eau plus dense, car plus salée et plus froide, et transportent des nutriments, de l’oxygène et du carbone.

Ces deux types de courants forment une boucle qui fonctionne comme un tapis roulant géant. Lorsqu’elle part de l’équateur, l’eau est chaude parce que soumise au rayonnement solaire. À l’inverse, lorsqu’elle se rapproche des pôles, l’eau refroidit puis gèle. Seule la partie liquide de l’eau des pôles est salée.

L’eau gelée formant la banquise en surface ne contient pas de sel. Ainsi, l’eau liquide au niveau des pôles est non seulement très froide, mais aussi très salée. Cela explique la très forte densité des eaux présentes dans les régions polaires. Celles-ci descendent en profondeur, provoquant ainsi des courants marins profonds.

Depuis de nombreuses années, les scientifiques alertent sur les conséquences du réchauffement climatique sur les courants marins de surface. Leur modification peut entraîner le refroidissement ou le réchauffement de certaines régions, mais surtout l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes comme les ouragans. 

Plus récemment, une étude alerte sur le ralentissement des courants océaniques profonds plus tôt que prévu, sous l’effet de la fonte des glaces antarctiques.

Une étude antérieure avait suggéré que la circulation des eaux dans les parties les plus profondes des océans ralentirait de 40 % d’ici à 2050. Cependant, l’étude publiée le 12 juin 2023 dans Nature Climate Change, basée elle en grande partie sur des données d’observations recueillies par des centaines de scientifiques au fil des décennies, montre que ce processus a en fait déjà ralenti de 30 % entre les années 1990 et 2010.

Le réchauffement climatique anthropique dû aux émissions de gaz à effet de serre est responsable de l’augmentation des températures et, par conséquent, de la fonte des glaces aux pôles. Il provoque de plus un déversement de grandes quantités d’eau douce dans l’océan. C’est cette fonte des glaces qui entraîne un ralentissement des courants marins profonds.

Cela perturbe une fonction vitale essentielle pour la vie marine. L’étude de Nature Climate Change révèle que l’oxygène atteignant l’océan profond a diminué. Les nutriments sont également moins bien distribués, provoquant la perturbation de la biodiversité. Les animaux des profondeurs océaniques sont forcés de se réfugier dans d’autres régions ou d’adapter leur comportement.

En plus de perturber la faune, les modifications des courants marins risquent de réduire la quantité de carbone que l’océan peut absorber. Il en résulte une remontée à la surface du carbone stocké dans les profondeurs de l’océan depuis des centaines de milliers d’années.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques