La place des femmes dans le jeux vidéos : épisode 2

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La place des femmes dans le jeux vidéos : épisode 2

Épisode 2: L’enjeu, le débat et la conséquence: les femmes derrière l’écran.

Pour notre génération de vingtenaires qui a vu des changements d’envergures se produire dans une courte période et qui a grandi dans cette perspective, malgré tout, les femmes dans les jeux-vidéos semblent couler de source, être acquises. Ces personnages ressemblent de moins en moins à des faire-valoir ou des trophées. Mais qu’en est-il des femmes derrière l’écran du pc, de la tablette ou de la console ?

Lire aussi : La place des femmes dans les jeux vidéos : épisode 1

En 2014, le Gardian annonçait dans un article intitulé «UK gamers: more women play games than men, reports find »  que les femmes sont désormais plus nombreuses derrière l’écran. Le Figaro, en décembre 2015, titrait sur « les femmes jouent autant aux jeux-vidéos que les hommes ».

Le Pew Research Center, un think tank américain réputé pour ses études sociétales, annonçait quant à lui à la même période que la différence entre les pratiques sociales et jeux vidéoludiques des hommes et des femmes ne se situe pas dans le fait de jouer ou non, mais plutôt dans l’identification à la pratique.

Selon ces chercheurs américains, 15% des hommes jouant aux JV se considèrent comme « gameurs » contre… 6% des femmes. Ces chiffres ne sont pas sans lien avec le fait que 60% des américains adultes considèrent que le gaming est « un truc d’homme ». Opinion partagée par 57% des femmes gameuses…

Pourtant, lorsque nous nous connections en pleine soirée à un serveur multijoueur du FPS Ubisoft mondialement connu Rainbow Six Siege, pas une seule femme ne nous donne le change au micro. Pas une, après avoir brassé des dizaines d’interlocuteurs. Pire encore, après plusieurs mois de jeu, ce ne sera jamais le cas.

On a beau chercher mille raisons d’expliquer cette absence pesante, elle n’en demeure pas moins choquante. Oui, les femmes ont moins tendance à parler au micro, comme les personnes transgenre, de peur d’être moquées ou harcelées. Moins tendance également à jouer en ligne.

Oui, les jeux de tirs ne sont pas les jeux les plus populaires chez les femmes… Mais pourquoi sont-ils désertés à ce point par les jeunes femmes et les personnes LGBT ?

L’identification à la pratique

En effet, impossible même de constituer une équipe complète inclusive de 5 joueurs-euses. Pourtant, RSS présente des personnages féminins travaillés, de qualité, non-sexualisés. On arrive parfois même à des situations d’équipe online en multijoueur à 100% de personnages féminins, ce qui est suffisamment rare pour être noté et apprécié.

Évidemment, on peut bien souvent pointé du doigt le manque de représentativité habituel. Pour les femmes, certes, mais aussi pour les personnages non blancs, handicapés et/ou LGBT. Mais cette explication n’est pas la seule, car nous l’avons vu, la franchise Rainbow Six fait partie des plus progressistes sur la question de la représentation des femmes.

Les plus connaisseur-euse-s argueraient que malgré les efforts faits en terme de représentation des femmes dans RSS, ces dernières incarnent le plus souvent des personnages de « défense » et non d’assaut (c’est désormais réglé avec l’update « red crow » de RSS, avec l’ajout d’Hibana, qui reste cependant bien seule…). C’est vrai. Les personnages femmes de RSS sont d’ailleurs moins blindés que leurs collègues hommes.

La franchise pousse malgré tout le volontarisme jusqu’à obtenir la stricte égalité de spawn (d’apparition) entre les otages femmes et hommes. On doute que ce soit ce qui expurge les jeunes femmes des serveurs.

La pratique genrée des jeux vidéos

L’hypothèse la plus satisfaisante est celle d’une pratique très genrée des jeux vidéos. Ce n’est plus tellement, en 2017, que « peu » de filles jouent. C’est plutôt qu’elles jouent à des jeux différents, sur des supports différents, avec des moyens différents et avec un accès aux informations et au matériel différents.

Les femmes, notamment, jouent beaucoup sur des supports « non-nobles » tels que les téléphones portables ou tablettes. Du coup, elles ne se considèrent pas comme des « joueuses » car ces supports sont dédaignés par les « puristes » masculins. Les femmes jouent également beaucoup sur pc, ce qui correspond à un support d’élite chez les hommes, adaptable, plus précis.

Mais dans le cas des femmes, c’est souvent parce qu’elles mobilisent le même support pour étudier, travailler  et jouer ; faute de moyens, la polyvalence de la machine « pc » est favorisée… Mais avec des configurations moindres, contrairement aux hommes.

Le jeu sur un support « marginal » permet aussi de repousser la confrontation identitaire : l’identité virile et exclusive du gamer n’est pas installée sur tablette ou sur portable. On espère qu’aucun « patch » ne viendra transformer la situation.

Revenons sur la question de la pratique genrée du jeu vidéo ; elle est essentielle. Nous avons mené fin 2016 une étude sur la pratique du gaming et l’identité sur un échantillon de 344 personnes âgées majoritairement de 18 à 24 ans: les femmes sont présentes, en nombre (autant que les hommes), mais pas dans les mêmes jeux. Les jeux de ‘point and click’, d’exploration et les MMORPG semblent être les plus LGBT et girlfriendly, de même que les RPG et les jeux d’action/aventure.

La vraie « catastrophe » se situe dans ce qu’on peut appeler le dernier « bastion viril » du gaming, le jeu de tir, et particulièrement le FPS multijoueur online, mais aussi le « wargame » traditionnel type Battlefield ou Ghost recon.

Ce sont aussi en général les jeux les plus sexistes en termes de représentation de la femme (encore que ; la franchise Tom Clancy est pleine de surprise sur cet aspect), malgré de réelles exceptions parmi des blockbusters qui tendent à s’étendre. Sa muraille se constitue quasi-exclusivement d’un argument : historique. Celui de la « cohérence » vu plus haut, qui justifie le manque de femmes dans les forces spéciales car c’est la situation IRL (dans la vraie vie).

Nous avons déjà vu en quoi cet argument est de mauvaise foi et tient peu dans le cas du jeu vidéo. Autre aspect « repoussoir » pour la pratique des jeux de shoot, la question du multi online qui devient la norme de ce type de jeux (Battlefield 1, RSS…).

On sort de la pratique privée du gaming, déjà acquise difficilement et laborieusement pour les femmes, pour aller dans la sphère gaming « publique », la « cité » du jeu-vidéo. D’où le grand vide. Une réplique de notre situation politique, en somme…

Et d’où l’enjeu de groupes et équipes inclusives de gaming, liés au développement de ce type de pratiques jeu-vidéoludiques. Même si des projets de gaming inclusifs fleurissent, malgré la bonne volonté notable de beaucoup de gamers, de la même façon que l’on constate un déficit en terme de diversité dans notre vie politique, le jeu vidéo online demeure un no women’s et un no queer’s land, sur fond de guérilla identitaire basé sur des normes viriles.

Ainsi, nous émettons l’hypothèse que le principal champ de bataille pour les féministes dans le gaming sera la pratique collective et « sororale » du gaming en ligne. Il s’agit du seul médium permettant de modérer et de combattre des pratiques parfois d’une grande violence métaphorique ou réelle comme le « tbaging » (le « t-bag » consiste à « poser littéralement » ses couilles sur le cadavre du joueur qu’on vient de tuer), le harcèlement, les insultes, les menaces…

Le pire étant sans doute pour les personnes transgenres qui sont considérées comme des monstres et subissant des atrocités régulières jusqu’à conduire au « ragequit » (sortir d’un jeu de rage suite à une situation vue/vécue). Nous parlons ici d’une absence totale d’environnement bienveillant, notion à l’antithèse de ce que le jeu vidéo est pour l’identité des jeunes hommes ; une sorte de purgatoire de la virilité.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série de quatre articles autour du thème “Jeux-vidéos, identités et collectif”


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