EHPAD : un mois aux côtés d’agents d’entretien au bout du rouleau

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EHPAD : un mois aux côtés d’agents d’entretien au bout du rouleau

Après un mois d’observation en tant qu’agent d’entretien (ASH) de jour au sein d’un EHPAD appartenant au groupe Colisée et hébergeant une soixantaine de résidents, le constat est alarmant : entre contrats précaires, pénuries de matériel, manque de personnel et surcharge de travail, les salariés souffrent.

L’omerta chez les salariés, dépités

Sur les six postes d’agents d’entretien que comporte l’établissement, quatre sont répartis dans les parties résidentielles et s’occupent du service des repas. Les deux restants sont chargés de la plonge et de l’entretien des parties communes pour l’un, et de la lingerie pour le dernier.

Chacun de ces postes joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’établissement, sa salubrité, et par extension dans la qualité de vie de ses résidents.

Le profil de ces salariés est varié, mais il s’agit, en grande majorité, de femmes. Deux d’entre elles sont originaires d’outre-mer et partagent une partie de leur salaire avec leurs proches restés sur place. L’une d’entre elles alterne entre cet établissement et un autre pour joindre les deux bouts. L’une des rares salariées à avoir obtenu un CDI est mère de plusieurs enfants et subvient seule aux besoins de son foyer. Récemment sortie du lycée, une jeune employée a trouvé cet emploi suite au refus de tous ses vœux sur ParcourSup.

Aucune n’a accepté d’interview formelle : ce qui se passe entre les murs reste entre les murs. Personne ne souhaite risquer son emploi et les syndicats sont absents de l’établissement. En un mois, ce recours n’a pas une seule fois été évoqué, et aucun document à ce propos (liste d’élus syndicaux, affiches syndicales) n’est visible dans les parties de l’établissement réservées aux employés.

En salle de pause, il se dégage un épuisement palpable. Les salariées parlent alors plus volontiers de leur quotidien, dans un ton marqué par la frustration et la résignation. Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles : absences subites, pénuries de matériel…

Un environnement de travail miné par le manque

Les conditions de travail qu’offre cet établissement ne sont pas des plus reluisantes. Les salariés effectuent des journées de 12 h, qui suffisent à peine à remplir les tâches allouées à chaque poste.

Une seule absence peut ainsi compromettre le bon déroulement de la journée : soit le travail n’est pas effectué (un étage n’est pas entretenu, le linge n’est pas lavé…) soit il est effectué par un autre agent, qui délaisse tout ou partie de ses tâches pour assurer la tenue du poste. Dans tous les cas, cela implique une charge de travail qui vient s’ajouter à celle, déjà harassante, qui rythme les journées d’un agent d’entretien.

Une telle situation serait tenable, si elle ne se produisait pas plusieurs fois par semaine et n’impliquait pas, selon une salariée, des appels à 22 h pour commencer le lendemain à 7 h 30.

Il faut aussi compter avec des pénuries fréquentes de matériel de tout type, du matériel d’entretien aux équipements de protection en passant par les tenues professionnelles. Il n’est pas rare de voir des salariés manipuler à mains nues des produits ménagers pour lesquels l’usage de gants est recommandé.

Le manque constant de personnel et de matériel a une incidence sur le moral et la santé des salariés. Beaucoup voient dans les conditions de travail une explication aux arrêts maladie fréquents et aux absences imprévues.

Une direction entre bienveillance de façade et inaction coupable

De son côté, la direction est tout à fait consciente des difficultés que rencontre le personnel. Elle ne semble pas pour autant si prompte à les régler ; d’après les agents d’entretien les plus anciens dans la structure, les conditions de travail se sont dégradées ces dernières années. 

Les tâches incombant aux agents d’entretien comprennent désormais certaines tâches auparavant effectuées par les aides-soignantes : il leur revient à présent d’accompagner les résidents vers la salle à manger, de couper leur nourriture si nécessaire et même, pour les plus anciens sur la structure, d’introduire les médicaments dans la préparation des petits déjeuners.

De l’avis des salariés, cette division imprécise des tâches, et leur décalage avec les compétences des agents, explique en partie des conditions de travail dégradées. Elle est selon eux la conséquence d’un manque continu de personnel.

Les résidents, victimes collatérales d’un équilibre précaire

Ce régime de précarité met en question la qualité de vie des résidents. Si les ASH n’ont pas, en théorie, à effectuer d’actes médicaux ni à s’occuper directement des besoins des patients, ils ont tout de même la responsabilité de la propreté de l’établissement et du linge, ainsi que celle du service des repas. 

Accomplir l’ensemble de ces tâches chaque jour n’est pas envisageable, lorsque tout est susceptible de manquer de façon régulière et à des intervalles aléatoires.

Cela rend difficile le maintien quotidien d’une hygiène correcte dans l’établissement, et fait courir aux résidents le risque de contracter des maladies liées à une désinfection insuffisante de leur environnement.

À nouveau, la direction a connaissance du problème, et emploie depuis peu un gouvernant chargé d’assurer le respect des protocoles d’hygiène et la régularité des stocks de matériel. Pour autant, le résultat du contrôle d’hygiène ayant eu lieu le mois de l’observation indique le peu d’efficacité de cette mesure. D’après une salariée, un contrôle similaire avait été mené six mois plus tôt ; les problèmes qu’il décelait étaient identiques. Malgré l’importance de son poste, le gouvernant se retrouve lui aussi à assurer régulièrement les postes des salariés absents (et donc à ne pas assurer ses propres tâches).

Dans de telles conditions, les agents d’entretien se retrouvent constamment insatisfaits de leur travail faute de pouvoir chaque jour le mener à bien. Dépités par des conditions toujours plus épuisantes, ils sont tenus par un emploi que leur situation bien souvent précaire empêche de quitter. Il faut ajouter à cela l’absence des syndicats et l’apparente méconnaissance de ce genre de recours du point de vue des salariés.

Sans être le pire, cet EHPAD est similaire à bien d’autres : le fonctionnement sous tension semble bien plus constituer la norme que l’exception.


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