Dette africaine, derrière la suspension la domination impérialiste

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Dette africaine, derrière la suspension la domination impérialiste

Dans son discours du 13 avril, le président de la République Française a appelé à annuler « massivement » la dette des pays africains. Cette revendication, portée évidemment par les pays du continent eux-mêmes, trouvait déjà de nombreux relais à l’échelle internationale, notamment le FMI et la Banque Mondiale, qui ne sont pourtant pas les plus farouches opposants à la perpétuation de la domination des pays du Sud.

Annuler la dette, mais surtout apporter de nouveaux financements pour le développement des peuples

L’épidémie commence à frapper gravement le continent africain, qui est certainement le moins bien équipé pour faire face à la pandémie. L’effort nécessaire pour assurer les soins et les besoins vitaux des populations risquent de dépasser largement les capacités budgétaires de nombreux États. La dette publique des pays concernés s’élèverait à 365 milliards de dollars, c’est-à-dire une goutte d’eau, à peine un millième de la masse de titres qui circulent sur les marchés financiers dont 145 sont dus à la République Populaire de Chine. Les dirigeants occidentaux ont donc d’autant moins de scrupules à appeler à l’annulation de la dette, que la majorité de l’effort devra être consenti par les Chinois. Emmanuel Macron a d’ailleurs lancé un appel particulièrement ciblé au gouvernement Chinois.

L’annulation de dette des pays africains est une habitude pour les Chinois. En 2018, lors du Forum pour la coopération Sino-Africaine, Xi Jinping annonçait simultanément l’annulation de la dette des pays africains due pour l’année 2018, et l’émission de 15 milliards de dollars d’aide sous forme de prêts sans intérêts, 10 milliards dans un fond d’aide au développement, 20 milliards de crédit nouveaux, 5 milliards réservés aux importations et 10 milliards d’investissement des compagnies chinoises. Le 16 avril 2020, Liu Kun, ministre Chinois des Affaires étrangères a déclaré que la Chine prendrait sa part dans le programme d’annulation de dette demandé par le FMI et la Banque Mondiale. En plus de cette annulation des dettes publiques, le gouvernement Chinois réfléchit déjà à un large plan de restructuration des crédit commerciaux et des prêts concessionnels.

De nombreux pays africains sont au bord de la banqueroute, la Zambie, l’Angola, le Ghana et l’Éthiopie sont parmi les situations les plus inquiétantes. Au niveau du continent, c’est en moyenne 13 % des budgets gouvernementaux qui passent dans le remboursement des intérêts ou du principal. L’annulation de la dette correspond donc à une nécessité imminente pour de nombreux pays, afin de retrouver un peu de marge de manœuvre budgétaire. Le moratoire proposé par le G7 ne fait qu’acter la situation et donnera de l’air aux pays africains les plus endettés pour quelques mois tout au plus. Et encore, les pays du G7 et la Banque Mondiale parlent de reports, de rééchelonnement, de suspension du service de la dette. La revendication d’annulation pure et simple semble de moins en moins en vogue. 

Il faudra pourtant prendre conscience que l’Afrique et les autres pays du sud ont un besoin vital de prêts et d’avances de fonds pour des montants considérables. C’est indispensable immédiatement pour faire face à la crise sanitaire, et dès demain pour payer les investissements, les dépenses de formation, la mise en place des infrastructures qui leur permettront de répondre efficacement aux énormes besoins qu’exige le développement de chacun des milliards d’êtres humains qui les peupleront d’ici à la fin du siècle. D’ailleurs, la sortie de crise dans les pays développés n’aura pas lieu sans leur contribution à un développement inédit des services publics dans les pays du sud. Pour l’instant, ce sont les États-Unis qui s’y refusent en faisant jouer le droit de veto de facto au FMI. 

Pour le moment, un tiers de la dette publique des pays africains est détenue par des investisseurs privés. À ceux-là, a priori, la France et les institutions internationales demandent peu. C’est à peine si l’on a évoqué un moratoire sur la suspension temporaire du service de la dette détenue par le privé, pour un montant total de 8 milliards. Rien n’est demandé non plus aux multinationales qui organisent et structurent la production dans des chaînes d’activité mondiales au gré de leurs exigences de rentabilité et qui enfoncent ainsi les pays du sud dans le sous-développement en les enfermant dans l’exportation de produits de base ou dans la surexploitation d’une main-d’œuvre sous-payée. La nécessaire solidarité internationale ne les concerne pas. En dehors de la dette détenue par le privé, et par la Chine, il reste donc une centaine de milliards d’euros de dette détenus par les autres États. C’est sur cette dette-là donc que porte l’appel de Macron aux pays européens.

Si cette annonce est bienvenue, elle ne remet pas en cause les processus de domination hérités du colonialisme qui pèsent encore sur le continent africain, et sur lesquels la France conserve largement la main.

La France enfermée dans une politique néocoloniale

Au-delà de la nécessité de se sortir rapidement des exigences de ses créanciers, l’Afrique est largement soumise à des dominations héritées du colonialisme. En ce qui concerne la France, on trouve évidemment le franc CFA au premier rang des institutions héritées du colonialisme. Kako Nubukpo, l’un des économistes togolais les plus farouchement opposés au système CFA et un ancien ministre de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques, prononce l’acte d’accusation du franc CFA depuis des années. Il faut citer évidemment le livre « sortir l’Afrique de la servitude monétaire », dirigé par lui aux côtés de Martial Ze Belinga et Bruno Tinel, qui a fait grand bruit en Afrique au moment de sa parution, mais également toutes les interventions médiatiques qui ont coûté deux fois son poste à l’ancien ministre.

Dans le cadre de ce système franc CFA arrimé sur l’euro, c’est en Europe que se décident les modalités de financement des pays de la zone. L’alimentation des économies africaines en crédits répond aux critères mis en place pour la zone euro, sous l’égide d’une Banque centrale européenne conçue sur le modèle de la Deutsche Bundesbank ! Cette Europe, par l’intermédiaire des liens néocolonialistes entretenus par l’impérialisme français, impose depuis des années des politiques d’austérité aux gouvernements africains, précisément au titre que la rigueur budgétaire est le seul moyen pour les pays de la zone d’attirer des capitaux et de trouver des créanciers à des taux raisonnables. Cette politique est manifestement un échec, non seulement parce que l’austérité provoque en Afrique les mêmes effets que partout dans le monde, du sous-développement des services publics au manque d’infrastructures nécessaires à la construction de filières industrielles ; mais aussi parce que malgré les efforts qui lui sont imposés pour rassurer les créanciers étrangers, les crédits n’affluent pas sur la zone. Là où le ratio crédits/PIB est de 100 % dans l’UE, il n’est que de 23 % dans la zone franc CFA, ce qui traduit un sous-investissement chronique.

De nombreux économistes africains, mais aussi politiques, syndicalistes, et parfois le peuple tout entier, dénoncent une monnaie alignée sur les intérêts européens. Un euro relayant en Europe et en Afrique l’hégémonie du dollar et de Wall Street sur le système monétaire international, sur lequel est arrimé le franc CFA dessert le développement de l’Afrique, c’est non seulement un contrôle étranger sur une question qui relève de la souveraineté des peuples, mais en plus c’est une mauvaise gestion ! Ou plutôt une gestion qui sert d’autres intérêts que ceux des peuples africains.

Si la France voulait effectivement porter une politique ambitieuse et honnête, non seulement pour permettre aux pays africains de faire face à la crise, mais aussi pour assurer leur pleine souveraineté, elle commencerait par remettre en cause le système CFA et par s’engager dans une vraie coopération, sans domination, pour émanciper nos économies, comme celles du sud de la Méditerranée, de la dictature des marchés financiers et du dollar. La fin de la tutelle néocoloniale est un impératif pour le développement des quatorze pays concernés. Dans l’urgence, la France pourrait appuyer les efforts des pays africains pour mettre en place leurs propres institutions monétaires et mettre fin aux critères austéritaires qui conditionnent les prêts occidentaux.

Ce sont des mesures d’urgence qui ne peuvent qu’appeler à une refondation totale des institutions monétaires pour les quatorze pays de la zone. L’abolition du système CFA est largement reconnue comme un préalable au développement économique des pays de la zone, et notamment à la fin du sous-investissement chronique. Cette refondation ne pourra se faire que sur la base des débats qui ont déjà lieu dans les pays concernés et plus largement sur le continent, ou des alternatives nombreuses sont déjà sur la table, de l’arrimage d’une nouvelle monnaie commune à un panier de devises à la construction de monnaies nationales. La diversité des économies des pays de la zone soulève de nombreux débats sur la forme que prendraient les nouvelles monnaies nationales ou régionales relevant de la souveraineté des pays africains eux-mêmes. La perpétuation d’une monnaie unique à l’échelle de cette zone géographique pose la question de l’adaptabilité aux différents modèles de développement que pourraient emprunter les économies, mais également celle des rapports de domination qui pourraient s’instaurer par le biais d’une monnaie unique entre les pays africains eux-mêmes. Cette décision, quelle qu’elle soit, doit appartenir aux peuples africains, mais elle devra également s’intégrer dans un autre système monétaire mondial.

Pour l’Afrique, « sortir de la servitude monétaire » ne peut se concevoir que comme contribution à la construction d’un autre ordre monétaire et économique international, émancipé de la tutelle conjointe des multinationales, des marchés financiers et du dollar. Les pays développés comme les pays du Sud ont un besoin urgent d’une monnaie commune mondiale, émise par un Fonds monétaire international émancipé de la tutelle des États-Unis. Développée à partir des droits de tirage spéciaux comme l’a proposé le gouverneur de la Banque populaire de Chine, cette monnaie servirait à distribuer des prêts à long terme et à très bas taux d’intérêt, ou des avances non remboursables, pour financer de façon sélective des projets démocratiquement élaborés dans l’ensemble du monde, et tout particulièrement en Afrique, et répondant à des critères précis en matière économique (création efficace de valeur ajoutée dans les territoires), sociale (sécurisation des emplois, des formations et des revenus) et écologique.


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