C’est par la sortie du brûlant 6.45i, il y a quelques mois, que cet album a fait planer son ombre sur le rap français. Un flow aiguisé comme jamais qui donnait un avant-goût d’un album qui reviendrait sur quelques bases qui ont fait la force d’A7, mais ne perdrait pas les saveurs particulières du dernier album. Un peu plus tard, Comme si, avec un clip réalisé au millimètre, au décor de contexte, prédisait d’un retour du « S » plus déterminé que jamais à revenir pour choquer le milieu.
Un album qui porte son empreinte
Retour vers le futur, sur le modèle d’A7 ou continuité avec les risques pris par Anarchie ? La question était de circonstance tant on sait le mystère et les passions que fait naître celui qui s’est désormais affirmé comme un des MC’s les plus talentueux de sa génération.
Comme si met une première claque imprimée de son style. Les références sont là, entre Salvatore Conte et le p’tit dalleux d’Aubagne en tournage à quelques kilomètres de ses terres, on y retrouve un SCH talentueux, pour un son qui ouvre avec la manière cet album.
Et les personnages, et l’imaginaire de l’artiste sont plus que jamais présents dans l’album. Oui le « S » « parle à la lune encore » et est toujours perturbé par les reflets qu’il voit dans l’eau, avec une force terrible dans Nino Brown jusqu’à aller reproduire le miroir de Fusil avec le puissant morceau, J’attends.
Celui qui réclame « des piscines de Lean » pour oublier ses peines semble bien, pourtant, puiser son inspiration dans un vécu qui le structure. Cet album est bien celui d’un artiste à l’écriture fine qui pense que pour « embellir une vie on peut fleurir une tombe ».
Utilisée de manière très variée pour appuyer par l’image des punchlines puissantes, la question de la mort est très présente dans l’album. Un thème qui colle avec une continuité dans les références à Gomorra, aux Savastano et à Salvatore Conte dont il cultive un mimétisme assumé. Comme lui il est méthodique, organisé, prône le sang-froid, comme dans le clip de Comme si. Comme lui, la « concu’ est dans les jumelles». Comme lui, « il pourrait tuer pour ne pas voir Maman triste », comme lui bien souvent, lorsqu’il évoque les autres femmes c’est une autre histoire. La recherche de « la nonchalance d’une putain de chute libre » le sort pourtant de ce personnage le temps de morceaux plus à découvert comme J’attends…
Pour les initiés, l’ombre du doc plane toujours en arrière-plan de plusieurs morceaux, où on y retrouve les références habituelles du “S” sur la question. Par touches, habiles, et toujours aussi efficaces, il cultive ces images qui ont fait le succès des deux opus précédents sans s’y enfermer.
Des origines populaires livrées avec authenticité
Le SCH de A7 qui affirmait, repris au passage par le plus grand mouvement social du quinquennat passé, que « se lever pour 1200 c’est insultant » revient plus vener que jamais en balançant dès les premiers mots de l’album qu’il « n’a pas grandi avec une cuillère en argent dans l’cul ».
Le SCH de A7 qui affirmait, repris au passage par le plus grand mouvement social du quinquennat passé, que « se lever pour 1200 c’est insultant » revient plus vener que jamais en balançant dès les premiers mots de l’album qu’il « n’a pas grandi avec une cuillère en argent dans l’cul ». Il n’oublie d’ailleurs pas la référence en replaçant « mille deux jusqu’à 70 balais, j’préfère crever bouche ouverte » . Il n’oublie pas non plus au passage de rappeler – malgré toutes les contradictions que comporte son nouveau train de vie – dans quel camp il se trouve, en affirmant dans Poupées Russes « J’suis pueblo comme FO, CGT, en manif’ de printemps ! ».
Comment en douter quelques minutes plus tard en écoutant La Nuit… Cette piste 13, fait partie de ces morceaux que seuls des gens talentueux, couplant audace et respect de leur public peuvent produire. A la frontière de la chanson Française mais incontestablement une des pièces maîtresses de cet album collector du Rap, SCH nous parle avec le langage de sa classe, à travers ce morceaux imagé avec les codes de la culture populaire et la description d’une réalité partagée par beaucoup.
La lune est encore là, alliée de La Nuit. L’amour en opposition à l’argent, « On avait de l’amour pas un rouble » contraste avec l’utilisation habituelle de l’argent pour compenser les sentiments, figure dont il raffole. Une fois ce morceau craché, le reste découle tout seul. Les « lauriers du voisin », « le mimosa fleuri du jardin » dont on sait qu’ils ne deviennent beaux que dans l’imaginaire et la perception de gens dont la vie ne l’est pas tant, ou l’est moins, viennent aérer un morceaux plein de phases étouffantes et plombantes en référence aux factures Edf, aux doigts jaunis par la cigarette, à l’essence siphonnée ou encore aux rêves noyés dans les demis… Les 6 chaînes plutôt troubles décrites avec nostalgie, viennent étayer le fait qu’il « regarde par la vitre”. Et sa mère, celle dont on revoit les cheveux blancs déjà décrits dans Allo Maman, celle qu’il refuse de voir triste, ici l’est, et il le dit. Toujours présentes au fil de ses albums, glorifiée, ici, elle cauchemarde, le laissant impuissant dans une ville endormie que « la toux grasse de son père » ne réveillera pas cette fois.
Ce morceaux vient rejoindre la liste des classiques du rap français pour tout ce qu’il représente, ce qu’il révèle de l’ensemble de l’œuvre de celui qui avoue avoir le cœur « Petit pour le monde et son immensité ».
Ancré dans le présent
Un album marqué par « les années de plombs » d’où le morceau du même nom, une sorte de fusion entre les deux approches de ses précédents projets. La nuit, comme le temps, sont des thèmes récurrents dans cet album. Temps mort, qui vient le conclure en est peut être la meilleure illustration.
C’est d’ailleurs lui qui en parle le mieux :
« Sur Anarchie j’étais très ouvert, sur A7 beaucoup plus “fanbase”. Dans Deo Favente je voulais réunir ces deux projets et ce morceau, Temps mort, avec d’autres y contribue. »
Difficile de s’arrêter sur chaque morceau, car l’écoute de Deo Favente prend des aspects tellement personnels qu’elle ne peut se décrire de manière universelle.
Cet album est plus que jamais ancré dans le présent. Et même quand SCH parle du passé, il le place dans un présent perceptible pour ceux qui le vivent encore. Quand de nombreux rappeurs évoquent des noms de joueurs de foot en retraite, des consoles vidéos qui n’existent plus ou parlent de la bicrave et des galères dans la perspective d’un rétroviseur, SCH lui parle de la « chaussette qui tient l’opinel » encore présente sur la cheville de toute une « génération de bâtards », condamnée pour une part à la reproduction, mais en capacité un jour de « garer le Mercedes devant le tiercé ».
On ne sait pas jusqu’où SCH nous emmènera dans les mois et années à venir mais cet album s’inscrit déjà comme une référence. Et quand bien même des commentaires emplis de haine viendraient le contredire, quand on sait qu’il prévoit de se « nourrir de leur haine pour survivre » on lui souhaite donc de survivre au moins jusqu’au prochain projet.