Le discours d’Edouard Philippe devant l’assemblée pour présenter le plan de déconfinement du gouvernement pose davantage de questions que de réponses. Les injonctions aux responsabilités individuelles et l’unité ne suffisent plus à masquer les incohérences des mesures prises.
Discours devant le parlement sous forme d’allocution télévisée
Le parlement est décidément le mal aimé de ce quinquennat. Alors que le pays ne vit plus qu’au rythme du confinement et des annonces de décès dus au coronavirus, l’Assemblée nationale a été laissée totalement en dehors de l’élaboration de la stratégie nationale face à l’épidémie. Le gouvernement a rédigé seul sa copie qu’il a présenté 3 h en amont aux députés avant que le Premier ministre ne prenne la parole. Cette intervention de l’hémicycle aurait pu aussi bien se faire sur un plateau télé. Le pouvoir législatif n’est invoqué que pour des aspects techniques, le chef du gouvernement le rappelant même à la fin de son intervention que les mesures prises n’exigent au regard de la constitution aucune intervention du parlement.
L’assemblée limitée à 75 membres pour respecter la distanciation physique a donc écouté pendant plus d’une heure le Premier ministre exposer son plan. Les représentants des différents groupes d’opposition et de la majorité ont ensuite pu livrer leurs pensées chacun leur tour avant de procéder à un vote symbolique. Ce dernier largement remporté par le gouvernement a vu les députés de la majorité rejoints par quelques-uns de la droite donner un satisfecit à une action gouvernementale. La démocratie aura été probablement la grande perdante de cette allocution qui aurait pu aussi bien avoir lieu au journal télévisé.
Stratégie partielle et floue
Sur le fond, les doutes sont loin d’être levés quant à la stratégie déployée par le gouvernement. On peut d’ailleurs même ouvertement interroger le terme de stratégie tant l’ensemble apparait comme une somme de mesures répondant à des injonctions contradictoires. La question des masques est probablement le meilleur exemple. Ils ne sont pas obligatoires, mais pourront être exigés pour prendre les transports collectifs. Pire, un commerçant pourra même restreindre l’accès à son magasin aux seuls porteurs. Dans les écoles, les professeurs seront tenus d’en porter, mais ils seront facultatifs pour les élèves et interdits pour les plus petits. Aucun masque ne sera fourni, mais la grande distribution commercialisera des masques « grands public » réutilisables.
Les restrictions de circulation seront normalement levées. Cependant, les préfets pourront prendre des mesures si la circulation du virus dans le département est jugée trop importante. La reprise des cours le 11 mai n’aura pas vraiment lieu, des élèves pourront toutefois être accueillis à partir du 12 mai pour les écoles maternelles et élémentaires. Dans les collèges, la reprise devra intervenir à partir du 18 mai pour les seules classes de 6e et 5e. Les classes seront limitées à 15 élèves, mais le caractère obligatoire des cours doit être préservé par la poursuite de la continuité pédagogique en ligne. Aucune indication n’a été fournie sur les critères qui seront utilisés pour savoir quels élèves pourront être accueillis, le gouvernement semblant parier sur le fait qu’un grand nombre de famille ne remettront pas leurs enfants en cours.
Pour les lycées, la question de leur réouverture est renvoyée à la fin mai. Idem pour la réouverture des cafés et restaurants qui pourtant assurent un rôle essentiel dans l’alimentation des salariés le midi. Alors qu’à aucun moment le gouvernement n’avait mis en place de réglementation claire de limitation de l’activité pour protéger les travailleurs, il semble tout aussi incapable d’organiser la reprise.
Un plan largement critiqué
Le plan d’Édouard Philippe a subi un feu nourri de critiques tant sur la méthode que sur les nombreuses approximations qu’il comporte. Les parlementaires de tout bord se sont largement offusqués d’apprendre quelques heures avant le contenu d’un plan sur lequel il leur a été demandé de se prononcer symboliquement.
Le dédouanement systématique de l’exécutif sur les changements de consignes et l’impréparation du pays sont également mal passés. Le chef du gouvernement n’a ainsi pas hésité à mettre en accusation les scientifiques, estimant que ces derniers avaient changé d’avis sur l’utilité des masques et des campagnes massives de dépistages. Ce manque de recul n’a pas empêché le Premier ministre de conclure sa présentation en chambrant l’opposition, estimant que les députés « ne commentent pas, ils votent ». Une drôle de réduction de la démocratie à la simple expression d’un avis sur une proposition déjà formulée et immuable.
L’adaptation aux réalités locales des mesures a été plusieurs fois invoquée. En réalité, il s’agit dans beaucoup de cas d’une dilution des responsabilités renvoyant aux collectivités territoriales les choix à faire et leurs conséquences financières. Pire, l’absence de cadre clair fait reposer la réussite sur des comportements individuels. Une attitude largement dénoncée.
Les nombreuses inconnues du déconfinement
Une première version de la carte devant indiquer le niveau de propagation a été présentée jeudi. Immédiatement, plusieurs élus locaux se sont offusqués de la couleur de leur département.
Les critères utilisés semblent faire débat et ne pas être nécessairement harmonisés. Les circulations entre les départements ne seront a priori pas limitées ce qui interroge sur la pertinence d’une telle classification. Par ailleurs, il est toujours peu clair de ce que signifiera au quotidien le classement de son département dans une couleur plutôt qu’une autre.
À partir du premier juin, le dispositif spécial d’absence pour les salariés devant garder leurs enfants sera conditionné à l’obtention d’une attestation de la part de l’école affirmant ne pas pouvoir les accueillir. On ignore cependant les critères qui seront utilisés alors pour conserver des classes à effectifs réduits. L’alternance entre cours en classe et à la maison risque de poser d’importantes difficultés pour les parents comme pour les professeurs.
La circulation dans les grandes aires urbaines s’annonce par ailleurs compliquée. Les transports collectifs voient leurs capacités fortement réduites par les mesures de distanciation physique. Les différentes mesures de limitation de l’utilisation de la voiture devraient également être renforcées pour créer davantage de pistes cyclables. Le vélo est moins consommateur en place nécessaire et peut absorber plus facilement le débit supplémentaire de voyageurs à condition qu’il soit adopté. Une étude italienne pointe également que la pollution de l’air pourrait avoir un rôle de la propagation du virus. Officiellement, le gouvernement encourage toujours à maintenir le télétravail autant que possible.
Si le confinement devait progressivement être levé à partir du 11 mai, l’épidémie n’a pas fini de rythmer la vie du pays et il semble que les perturbations et restrictions perdureront pour plusieurs mois. Le gouvernement lui semble avoir définitivement perdu la confiance du pays sur sa gestion de la crise.