Contrat d’engagement jeune : chronique d’un échec annoncé

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Contrat d’engagement jeune : chronique d’un échec annoncé

Depuis l’été, la jeunesse attendait la mise en place du dispositif annoncé avec fracas par le président Emmanuel Macron dans le cadre du plan « un jeune, une solution ». Le Contrat d’engagement jeune (CEJ) surgit de la crise du Covid-19. Il se propose d’élargir les dispositifs d’accompagnement vers l’emploi proposé aux 16-25 ans. « L’universalisation » de la Garantie jeune n’avait pas suffi. Il fallait au président Macron son propre dispositif pour marquer une politique de la jeunesse quasiment absente du quinquennat

Quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, les visuels orange et jaune s’affichaient dans les grandes villes pour promouvoir le Contrat d’engagement jeune. Nouveauté principale : l’allocation n’est plus versée dans le cadre d’un contrat individuel discuté avec un conseiller, mais conditionnée à « entre 15 et 20 heures d’activité ». Le dispositif prépare finalement l’attribution du RSA à des conditions similaires et limite grandement l’autonomie des professionnels de l’accompagnement. Les résultats, quant à eux, se font encore attendre.

« Avoir un programme au quotidien, ça me booste tous les matins ! »

Le Contrat d’engagement jeune impose un planning rigoureux pour les jeunes suivis en Mission locale ou dans les agences Pôle Emploi. L’animation des 15 à 20 heures par semaine revient à ces institutions qui doivent bricoler ateliers, stages, formations, entretiens. Les conseillers sont nouvellement estampillés « CEJ ». 

Pour les jeunes des zones rurales et périurbaines, les 15 à 20 heures d’activité peuvent même se révéler un obstacle dans l’accès au dispositif. En ce qu’elles exigent des déplacements réguliers souvent coûteux. Du côté des conseillers, elles deviennent une modalité de contrôle de leur travail sans améliorer le quotidien des jeunes. Chaque activité réalisée par le jeune suivi doit ainsi être saisie sur une plateforme interne. Chacun plaide finalement pour le retour à des objectifs individualisés selon les profils et le contexte local. 

« Pour mon avenir, pas d’impro, je suis coachée par un pro ! »

Alors que le jeune travailleur bénéficiait d’un accompagnement par un conseiller individuel dans le cadre de la Garantie jeune, les conseillers CEJ interviennent de manière ponctuelle dans le cadre d’ateliers ou d’animations. Souvent sans connaître le parcours spécifique et les objectifs du public.

Les intérêts de la communication politique prennent ici le pas sur ceux des jeunes. Depuis les années 2000, la France tente de suivre les directives européennes en matière d’insertion sur le marché du travail. Il s’agit de toucher les jeunes NEET (not in employment, education or training). Sous cet acronyme technique se cache finalement une jeunesse populaire « armée de réserve » d’une société du plein chômage. 

Le professionnel de l’accompagnement superpose entretiens, dispositifs, ateliers, formations et stages pour obtenir au cas par cas un emploi pour le jeune suivi. Bien loin de résoudre ce problème endémique du capitalisme contemporain, les dispositifs d’insertion inventent une politique sociale individuelle dans une société de la misère collective. Le Contrat d’engagement jeune limite encore ce travail minimal. Les impératifs chiffrés du gouvernement d’entrées dans le dispositif sont même un obstacle. Ils empêchent le long ciblage nécessaire à l’identification des jeunes les plus en difficulté. Les conseillers sont alors réduits à faire la course aux jeunes à intégrer dans le dispositif. Puis à rentrer les activités effectuées sur une plateforme. 

« En essayant plusieurs métiers, j’ai trouvé celui qui me plait » 

Le Contrat d’engagement jeune persiste dans l’idéologie qui avait déjà guidé la Garantie jeune. Le principe du « work first » (littéralement « travail d’abord ») préconisé par l’Union européenne en matière d’insertion. L’application de ce mot d’ordre revient à insérer le plus rapidement possible le jeune au sein d’une activité professionnelle. Cela se fait le plus souvent via un statut de stagiaire. Un travail non rémunéré et éloigné des droits liés traditionnellement à l’emploi. Selon ce principe, une forme de retour à l’emploi résoudrait les problèmes sociaux rencontrés par le jeune travailleur. Que ce soit une relation familiale abusive, un problème d’addiction, une dépression, l’accumulation de dettes, des formes d’isolement ou d’éloignement géographique.

La relative autonomie accordée aux professionnels de l’accompagnement permettait parfois des formes de suivis sociaux dépassant une simple mise au travail. Ceux-ci sont rendus beaucoup plus ardus par le contrôle des activités du CEJ. L’application stricte du « work first » rompt définitivement avec les objectifs d’éducation populaire promus lors de la fondation des Missions locales.

L’introduction nouvelle d’un nombre d’heures obligatoires d’activité préfigure des formes de conditionnement des aides sociales.

Le Contrat d’engagement jeune représente finalement un recul important vis-à-vis de dispositifs d’insertion déjà largement insatisfaisants. Dans leurs principes même, ils traitent depuis les parcours individuels des enjeux découlant pourtant de l’organisation du travail et d’une crise historique du profit. L’introduction nouvelle d’un nombre d’heures obligatoires d’activité préfigure des formes de conditionnement des aides sociales. Le président de la République a annoncé une réforme du RSA introduisant une obligation horaire. Cela fait du CEJ le laboratoire d’une transformation globale du système d’aides sociales. 

Plusieurs combats s’additionnent  : la préservation d’aides sociales inconditionnelles, fruit de notre système de solidarité ; l’accès de la jeunesse à une véritable citoyenneté sociale ; le droit pour chacune et chacun à un travail digne, choisi et rémunérateur.


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