Blast reprend les arguments de l’extrême droite pour attaquer le PCF de Georges Marchais

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Blast reprend les arguments de l’extrême droite pour attaquer le PCF de Georges Marchais

C’est une bien étrange vidéo qui est sortie sur le média en ligne Blast, mercredi 27 octobre.

Il s’agit de la première vidéo d’une série de « portraits » de figures de la Vᵉ république, réalisée par deux auteurs connus sous les pseudonymes d’Usul et d’Ostpolitik. Ce premier portrait est au vitriol. C’est celui de Georges Marchais, populaire secrétaire général du Parti Communiste Français de 1972 à 1994. 

Décryptage.

Depuis trois ans, ces deux vidéastes se sont fait connaître pour leurs éditos hebdomadaires sur Médiapart. Dans des chroniques engagées, les deux auteurs se réclamant du communisme s’adonnent à de courtes prises de position humoristiques et satiriques, qui sont diffusées sur la chaîne YouTube de Médiapart. Le tout est souligné par une écriture et un montage de qualité. 

Si leurs prises de position sont parfois critiquables, les limites de l’exercice font que l’on y aborde rarement des sujets de fond. Elles ont le mérite de proposer des vidéos qui sont rafraîchissantes dans un paysage médiatique pollué par les idées de la droite extrême. Et qui, dans tous les cas, permettent de stimuler le débat. 

Leurs vidéos ont le mérite notable — qui est assez rare pour le souligner — de désigner l’adversaire de classe. Ce n’est pas suffisant pour apporter des solutions et des analyses réellement révolutionnaires ni pour unir la classe laborieuse, mais c’est en tout cas un indispensable prérequis. 

Mais un prérequis, qui, on va le voir, peut malgré tout déboucher sur tout un tas d’idées qui sont dans les faits anticommunistes. L’esthétique et l’apparence de la radicalité ne suffisent pas. 

Le Georges Marchais déformé par l’extrême droite

Cette vidéo prend un angle très étrange, dès le début : celui d’un Georges Marchais tel que l’utilise l’extrême droite depuis près de 15 ans. Celui, Usul nous dit-il, qui « parle comme un facho », nous montrant un extrait ayant été popularisé « sur internet par Alain Soral [essayiste antisémite d’extrême droite, ancien cadre du Front National, récemment condamné pour négationnisme] ».

En effet, depuis 2002, l’extrême droite tente de lever le voile d’indignité qu’elle porte. C’est ce que les commentateurs qualifient de « dédiabolisation ».

L’une des postures de cette dédiabolisation est de dire, en somme, que leur racisme et leurs idées ne seraient pas si terribles, car Georges Marchais aurait eu les mêmes à son époque. Éric Zemmour l’utilise aujourd’hui pour dire « Je ne dis pas autre chose que ce que dit Marchais en 1980 ».

Rediffusé dans la vidéo de blast, une séquence popularisée et rediffusée ad nauseam par l’extrême droite, celle de Marchais qui dit, lors d’un meeting en 1980 dit « il faut stopper l’immigration officielle et clandestine ». 

Cette phrase a été élevée comme l’essence du PCF de cette époque-là par une extrême droite voulant que son racisme devienne acceptable. Ce miroir déformant bâti par l’extrême droite. Nos deux bons compères le reprennent à leur compte, et s’en servent de repoussoir. 

Entendons-nous bien : les critiques sur ces positions de Georges Marchais sont entièrement légitimes, entièrement concevables. Nous, communistes, les avons critiqué nous même depuis longtemps et admis à maintes reprises que nous avions pu faire des erreurs d’analyse, des erreurs politiques. 

Le secrétaire national actuel du PCF, Fabien Roussel, dit d’ailleurs « Nous savons que l’immigration n’est pas responsable du chômage dans notre pays, et donc ce qu’a dit Georges Marchais à l’époque n’est pas juste » (sur Europe 1, le 31 octobre 2021).

Marchais n’a, par ailleurs, plus jamais parlé de l’immigration en ses termes par la suite. 

Le problème ici, c’est qu’en plus de resservir le plat de l’extrême droite sur le PCF, on use des mêmes omissions qu’elle. Les positions sur l’immigration de Marchais étaient accompagnées aussi de positions très fermes sur l’égalité des travailleurs immigrés avec les travailleurs français, qu’ils soient arrivés dans notre pays légalement ou non. 

Se dire marxiste et faire siens les arguments de l’extrême droite, plutôt que de développer une analyse véritablement marxiste, est une faute morale.

On peut l’oublier, ou faire mine de l’oublier, mais les débats de 1980 ne sont pas ceux d’aujourd’hui. L’extrême droite y était minoritaire, et personne n’avait oublié les combats du PCF, quelques années auparavant, contre la guerre d’Indochine et d’Algérie, et ses positions historiques contre la colonisation. 

Lorsque le secrétaire général du PCF parle d’arrêter l’immigration, peu de gens pensent réellement que c’est parce qu’il est devenu raciste. Surtout lorsque cela s’accompagne de la demande d’égalité totale entre les immigrés sur le territoire national, qu’ils soient légaux ou non, avec les travailleurs français. 

Ainsi, Usul et Ostpolitk omettent volontairement une position, que l’on ne pourrait pas prêter à un conservateur, et qui accompagne les positions de Marchais de l’époque sur l’immigration. 

« Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés, de la couleur de leur peau, des croyances, de la culture, des valeurs ou des coutumes auxquelles ils sont attachés. Qu’ils s’appellent Mohamed, Kemal ou Jacques, Moussa, Mody ou Pierre, tous ont un droit égal à la vie, à la dignité, à la liberté. »  

(lettre ouverte à au recteur de la grande mosquée de Paris, daté du 7 janvier 1981)

Est-ce des paroles que l’on pourrait entendre de l’extrême droite, et en particulier de l’extrême droite d’aujourd’hui ? Éric Zemmour s’étranglerait en entendant parler ainsi Marchais de son respect qu’il a pour les travailleurs musulmans : 

« Je respecte, nous respectons la religion musulmane à l’égal de toutes les autres. Je sais que des centaines de milliers de travailleurs de mon pays professent l’Islam, qui est d’une des branches vivantes sur l’arbre millénaire de la civilisation. »

Ces phrases viennent d’une lettre qui est citée dans la vidéo. Les auteurs de la vidéo ne citent pourtant pas ces passages qui montrent l’absence d’ambiguïté qu’avait Georges Marchais sur la question du racisme. C’est donc une confusion entretenue.

Surtout quand le combat pour le racisme et pour l’égalité réelle de tous les êtres humains, Georges Marchais le mènera. 

La France, grâce à son parti communiste, sera l’un des pays qui luttera le plus ardemment contre l’apartheid en Afrique du Sud, fédérant une partie de la jeunesse française, donnant une dynamique renouvelée a la Jeunesse Communiste. Lorsque Nelson Mandela sera libéré, Georges Marchais sera l’une des premières personnalités qu’il ira rencontrer à l’internationale. Il a alors souligné l’effort important qui a été fait par le PCF de George Marchais pour sa libération et la fin de l’apartheid dans son pays. 

Une position sur l’immigration lors de la campagne de la présidentielle de 81 ; le combat internationaliste qui permit la libération de tout un peuple étranger : qu’est-ce qui aurait été plus honnête d’évoquer pour parler de Marchais ?

Le monde comme s’il n’avait pas d’histoire

Le propos de la vidéo de Blast pourrait se résumer ainsi : 

« La période Marchais du PCF est celle d’un PCF réactionnaire, et c’est cette ligne réactionnaire qui amena à l’effondrement du Parti Communiste ». 

La démonstration de cette prétendue « ligne réactionnaire » se base donc principalement sur quelques prises de position de Marchais lors de la campagne des présidentielles de 81. Mais ils vont faire un peu plus que de ressortir une archive déjà mise en lumière et tronquée par Alain Soral et Éric Zemmour. Nous aurons donc droit à : l’affaire du foyer de Vitry, la campagne contre la drogue du PCF et la façon dont Robert Hue l’a menée, des propos privés de Jacques Duclos (résistant et ancien candidat communiste à la Présidentielle) et une fascination pour le pendant étudiant de mai 68, et une prétendue idéalisation de la classe ouvrière par le PCF.

Une réplique d’Ostpolitik pose le problème « Lorsque Marchais arrive à la tête du PCF en 1972, il est déjà en décalage avec la société, et il y est resté 22 ans ! ». Sauf que, pour nos deux compères, la société française de 1972 semble être un tout point similaire à la société française de 2021. Et face à une société qui accepterait les homosexuels et où le patriarcat serait globalement honni, les vieux cadres du PCF seraient en décalage avec les aspirations de leur peuple et de leur jeunesse. Le mai 68 étudiants est complètement fantasmé. Il aurait été un mouvement progressiste, comme il aurait été fait s’il s’était réalisé aujourd’hui. 

Gênant pour des marxistes revendiqués : l’histoire et ces mouvements n’existent jamais dans cette analyse. On regarde le monde tel qu’il est aujourd’hui, depuis les lorgnettes médiatiques et de son milieu social et l’on déroule l’abstraction que le monde était presque pareil il y a 50 ans. 

Une boule puante un peu plus ordurière, celle adressée à Marchais repeint en machiste par notre équipe — ce qui ferait que le PCF le serait aussi. Celui-ci ne faisait pas lui-même sa valise ! rendez-vous compte ! Aujourd’hui, la question du partage des tâches ménagères est encore un terrain de combat et de lutte de la part des féministes. C’est un combat qui est très loin, encore aujourd’hui, d’avoir été remporté : mais on va reprocher à Marchais, en 1981, de ne pas lui-même avoir fait sa valise ? Nous ne sommes clairement pas ici dans ce que la politique a de plus noble. 

Un tissu de mensonges sur le PCF de cette période

Plus que des attaques ordurières, elles révèlent la vision de l’histoire qui va à rebours du marxisme. C’est celle des grands hommes plutôt que l’histoire populaire. Ici l’histoire du PCF vu par la lorgnette du comportement privé de leurs dirigeants plutôt que par ses militant·es, puis de ses cadres, puis de ces élu·es. Comme si nos deux amis se faisaient, avec leur émission, des Stéphane Bern décrivant la vie des « personnages » de la Vᵉ république ; comme si la politique n’était que des disputes d’aristocrates se déroulant dans les salons feutrés des plateaux de télévision. Marchais qui ne fait pas la valise, c’est un Marchais misogyne ! et donc un parti communiste largué sur les questions féministes : passés sous silence, méprisés, toutes les militantes qui s’organisent dans l’important secteur des féministes communistes et qui influent bien plus sur la « ligne » du parti que le comportement de George Marchais au sein de son couple. 

Dressons tout de même un portrait très rapide de cette France des années 70. La jeunesse est absente des lieux de pouvoir et n’est que spectatrice de la vie politique, c’est un chantier que le PCF veut s’atteler en permettant à la jeunesse de s’emparer dans la vie politique : droit de vote abaissé à 18 ans, 16 ans dans les élections professionnelles ; baisse du temps du service national à six mois ; participation à toutes les instances de décisions des écoles, lycées et université pour les étudiant·es.

Ces propositions sur la jeunesse porteront leurs fruits. Les élections législatives font du PCF le parti qui sera majoritaire chez les jeunes, il obtient ainsi le score de 30 % chez les 18-24 ans. On est loin, très loin, du « PCF qui n’a pas compris ce qui se passait dans son électorat et en particulier dans sa jeunesse » assenée par Usul dans la vidéo. 

C’est aussi une période où le racisme postcolonial est monnaie courante, c’est durant cette période que le PCF de Marchais réalise de multiples films contre le racisme, où des manifestations du PCF et de la JC sont organisées aux slogans de « travailleurs immigrés, travailleurs français, tous unis ».

En 1977, une vidéo tournée par le parti met en scène des travailleurs immigré, l’un d’eux dira : « Aujourd’hui [face] au racisme qui se manifeste vis-à-vis des travailleurs immigrés, notamment les travailleurs algériens, nous avons pu constater les prises de position du PCF [en notre faveur]. »

Quant au féminisme, les années 70 sont marquées par la deuxième vague du féminisme et le PCF a toujours eu des positions d’avant-garde sur ces questions. Sous Marchais en 1975, le PCF réalise une assemblée de femmes en réunissant 10.000. Un exploit qui n’avait jamais été réalisé auparavant. 

On en dira dans le journal Le Monde « Cette assemblée a permis au PCF de montrer qu’il était le seul à pouvoir réunir tant de femmes ». Deux affiches seront éditées en 1978 par le PCF, une première dira « Pour vivre mieux, égales et libres, nous sommes 200 000 femmes communistes. Pourquoi pas vous ? » et une deuxième « PCF, femmes immigrées, pour l’égalité des droits ».

La vidéo reprend l’argument séculaire de la presse bourgeoise, pour lequel le PCF serait « à la solde de Moscou », alors même que la période correspond à un refroidissement historique des relations du PCF avec le Parti Communiste d’Union Soviétique. La période sera marquée par la rédaction de l’ouvrage collectif « l’URSS et nous » en 1978, critique de l’Union soviétique, et par le slogan « construire le socialisme aux couleurs de la France » pour s’opposer au « socialisme réel » des pays de l’Est. 

On est donc ici dans un enchaînement de contre-vérités qui confinent à la propagande. 

Quant à l’affaiblissement du PCF, qualifié ici de « grosse lose » (on appréciera, au passage, le tacle auprès des centaines de milliers, d’hommes et de femmes qui donnèrent leur travail bénévole au parti), c’est une explication totalement inédite qui est offerte ici : celui d’un tournant conservateur. 

C’est très audacieux, sachant que les hypothèses retenues par les historiens du parti communiste sont plutôt les suivantes : désindustrialisation, tournant de la rigueur de Mitterrand qui provoque de sévères désillusions, baisse du nombre d’ouvrier·es et de la centralité de la classe ouvrière ou ressac du mouvement communiste international. 

Si l’on prend en compte ce dernier facteur, on se rend compte que dans des situations qui ont vu la marginalisation ou la chute de nombreux partis communistes dans le monde, le PCF enregistre un des reculs les moins importants durant cette période. Et les partis communistes qui ont reculé ou ont périclité durant la période sont loin d’avoir tous eu les positions qualifiées ici de « conservatrices ». 

Le mai 68 étudiant fantasmé 

Vient ensuite l’argumentaire qui dit que le PCF n’aurait pas pris le coche du tournant que représentait le mai 68 étudiant. 

Une erreur factuelle importante, on attribue l’exclusion d’Alain Krivine de l’Union des Étudiants Communistes à cette période, du fait de ces positions progressistes face à un PCF prétendument réactionnaire. 

C’est entièrement faux. Alain Krivine a été poussé à la sortie 2 ans plutôt, en 1966, par qu’il avait adhéré à une organisation trotskiste. L’activité de l’UEC est alors paralysée par des luttes internes, qui rendent son activité militante inexistante ou presque. C’est dans ce cadre très complexe de guerre interne et de scissions qu’il est fait le choix majoritaire des étudiant·es communistes d’exclure certains de leur membre à leur Congrès en 1966.

C’est donc la Jeunesse Communiste qui fait ce choix souverain : ça ne correspond pas à la vision d’une Jeunesse Communiste rebelle à l’encontre du PCF décrit dans la vidéo. 

La critique de mai 68 a été faite par le Parti Communiste à l’époque. Pour la comprendre, il faut avoir en tête qu’il y a deux mai 68 : celui des travailleuses et travailleurs, et celui des étudiantes et des étudiants. Étudiant·es, qui, à l’époque, faisait partie des couches aisées de la société, peu d’enfants d’ouvriers parvenaient dans les campus. 

Georges Marchais écrira un article devenu célèbre dans l’Humanité du 3 mai 1968, intitulé « De faux révolutionnaires à démasquer » dans une dispute qui l’oppose notamment à « l’anarchiste allemand Cohn-Bendit » et à des mouvements étudiants.

Pour Marchais l’agitation étudiante est principalement due à des « groupuscules gauchistes » (gauchiste au sens de Lénine) de « pseudo-révolutionnaires » qui s’adonne à de « l’agitation qui va à l’encontre des intérêts de la masse des étudiants et favorise les provocations fascistes ». Marchais dénonce des « fils de bourgeois » qui donnent des « leçons à la classe ouvrière » et qui « rapidement mettent en veilleuse leur “flamme révolutionnaire” pour aller diriger l’entreprise de papa et y exploiter les travailleurs dans les meilleures traditions du capitalisme. »

On est bien loin, donc, d’une critique de ce qu’il y aurait de progressiste dans le milieu étudiant de cette époque. Et surtout, l’histoire a donné raison à Georges Marchais. Cohn-Bendit qui déclarera que mai 68 était une révolte étudiante anticommuniste. Il s’est revendiqué par la suite « libéral-libertaire » cache-sexe de sa carrière politique de véritable libéral conservateur. Le même Cohn-Bendit fervent défenseur du capitalisme et aujourd’hui du président de la République Emmanuel Macron. 

Beaucoup des leaders de ce mai 68 empruntèrent ce chemin (avec une notable exception : celle d’Alain Krivine). André Glucksmann deviendra membre fondateur du courant de droite des « nouveaux philosophes » et soutiendra Nicolas Sarkozy en 2007. Alors maoïste en 68, Alain Finkielkraut deviendra rapidement le penseur réactionnaire qui sévit encore actuellement sur les plateaux de radio et de télévision.

C’est donc ça la jeunesse révolutionnaire rebelle face à un PCF réac’ ? C’est ça les « luttes correspondant à des changements de sociétés que le PCF voudrait endiguer » ?  Un quarteron de jeunes bourgeois avec leurs idées bourgeoises qui ne prennent que l’apparat de la radicalité et qui s’empresseront de s’affirmer à droite après leurs études ? 

Cela va sans dire : mai 68, ce n’était pas que de faux révolutionnaires étudiants. Il y a eu une participation active des communistes à ce mouvement qui permit de lancer d’importantes luttes féministes et LGBT. Mais les polémiques qui opposaient les cadres du parti aux leaders étudiants, ça n’est qu’une polémique contre de faux révolutionnaires aux idées bourgeoises, qu’ils ont eu raison, à leur époque, de dénoncer. 

Une instrumentalisation de l’affaire du foyer malien

Venons-en à deux affaires sérieuses qui emmenèrent lors de l’élection présidentielle de 1981, la première est celle de Robert Hue, maire de Montigny-lès-Cormeilles, qui face à un problème de trafic de drogue dans sa ville et de morts par overdose, décide de mener une opération pour attaquer la personne qu’il estime responsable de ce trafic de drogue. 

Disons-le tout net, cet exercice de justice populaire de la part d’un maire avec le soutien de sa population est une faute politique : elle est contraire à nos engagements. Elle semble inacceptable aujourd’hui, parce qu’elle l’était aussi hier. Le problème, ici, n’est pas tant la critique de cette affaire que sous-entendre le fait qu’elle s’inscrit dans un agenda raciste, de la raison des origines de la famille visée. Cela ne s’appuie sur rien. Par ailleurs, à cette époque, Robert Hue n’est pas un dirigeant national du PCF : il est l’un des très nombreux élu·es locaux du PCF. 

Mais qu’à cela ne tienne : cette affaire est évoquée pour renforcer la thèse d’un PCF réactionnaire. 

La seconde affaire, celle dite du foyer malien de Vitry, est d’une autre nature que les faits présentés. Ce n’est pas particulièrement le fait de nos deux auteurs, parce que le récit médiatique qui a été fait à l’époque était assez faux. 

Les camarades que nous avons contactés, et qui étaient présents devant ce foyer à l’époque, évoquent un récit médiatique qui ne correspondait que partiellement à ce qui s’était passé et une riposte médiatique que le PCF avait du mal à mener.

En décembre 1980, en pleine nuit, la préfecture de police (et donc, le gouvernement giscardien) décide de déporter en pleine nuit un foyer de travailleurs malien, dans une ville communiste. 

Le PCF déplore à l’époque, la politique de ghettoïsation des travailleurs immigrés, le gouvernement giscardien privilégie alors la concentration inégale de ces travailleurs : cela rend plus difficile l’intégration de ces travailleurs à la société française, mais fait également montrer la défiance des travailleurs français envers eux. Ce n’est pas anodin dans une société qui voit les premières percées de l’extrême droite depuis la guerre.  

Le maire de Vitry, Paul Mercieca — lui-même immigré ! — apprend l’existence de ce déplacement du foyer dans sa ville, au moment où l’installation a lieu. Il s’y rend avec des militant·es de sa section, pour s’y opposer. À la fois, parce qu’opposé à cette politique de ghettoïsation des immigrés, mais également parce que le bâtiment en question est insalubre (ce qui n’était pas le cas du bâtiment où ils étaient logés à l’origine). 

Au début, la présence des communistes se passe paisiblement et une discussion s’engage avec les travailleurs du foyer. Mais un échauffement a lieu lorsqu’un des travailleurs sort du foyer avec une arme à feu et des gens extérieurs viennent par curiosité : à la fin, un bulldozer est utilisé contre un escalier extérieur du foyer, par un communiste, mais dans un mouvement de foule qui n’est pas à l’origine du maire de la ville, qui dira plus tard « pas partisan d’utiliser une telle méthode ». 

Finalement, les migrants du foyer seront relogés dans leur bâtiment d’origine et pour beaucoup adhèreront au PCF par la suite. En 1988, le maire sera plus tard lavé des accusations de racisme par la dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris, celui-ci estimant que l’opposition au déplacement du foyer pouvait en effet être mue par la volonté d’éviter une « situation de rejet ».

Si cette affaire a pris ces proportions, c’est dû à sa couverture dans le journal Libération dont les éléments furent repris, plus tard, dans le reste de la presse nationale. Le journal de l’époque est pleinement engagé dans la campagne de François Mitterrand, son rédacteur en chef se réclamant, là aussi, « libéral-libertaire ». Ce journal avait un intérêt politique à déclencher cette polémique et à la présenter en ces termes malhonnêtes.  

Les camarades ayant milité pour cette campagne parlent de cette période comme d’une machine médiatique lancée contre eux et qui est bien injuste dans le travail — bien souvent mené en solitaire par les sections et cellules du PCF — qui a été fait par le parti dans les luttes pour les immigrés durant cette période. 

Car c’est tout le problème de la démarche de cette vidéo : en ressortant la thèse d’un PCF réactionnaire, on ressort une polémique politicienne et médiatique vieille d’il y a 40 ans, et qui ne repose pas sur ce qu’était le PCF de l’époque, et qui a été déclenché uniquement pour promouvoir la candidature de Mitterrand à l’élection présidentielle. 

Une fort curieuse apologie des drogues

La campagne des communistes de cette période est celle de la lutte contre les drogues. Les communistes ont toujours eu un discours s’opposant aux méfaits des drogues : jamais comme un problème individuel ou moral, mais comme un phénomène social. 

Aujourd’hui comme hier, de Marchais à Roussel, il n’y a pas de culpabilisation du consommateur. Et c’est une lourde confusion de la vidéo : celle qui est de prêter au PCF une position que l’on pourrait résumer ainsi : « L’usage des drogues est moralement indigne, la classe ouvrière dans sa grandeur ne peut donc consommer de drogue ». Ce sont des positions qui ont été tenues par certains partis communistes, notamment dans les pays de l’Est. Ce n’est pas la position du Parti Communiste Français. 

Nous ne répugnons pas le consommateur de drogue — quelque soit sa consommation ; que la drogue qu’il utilise soit prohibée ou non. Nous ne disons pas que consommer de la drogue est un acte immoral en soi. 

Nous ne parlons, des drogues, que des dégâts sociaux et sanitaires. 

Prenons un exemple actuel, celui engagé par la campagne de Roussel : alors que le roi du Maroc légalise la culture du cannabis — non pas pour son usage domestique, mais pour nourrir les trafics —, Roussel alerte sur un phénomène social : celui de l’enfer dans lequel tombent ses jeunes précaires qui ont la tentation de faire du trafic et de s’engager dans le noir engrenage des petites mafias.

La science sait depuis longtemps que le cannabis, si, comme toute drogue, est une substance loin d’être anodine, provoque des dégâts sanitaires moindres que l’alcool ou le tabac : c’est pourquoi nous ne concentrons pas notre discours sur l’aspect sanitaire. 

Marchais faisait de même en son temps, pointant du doigt l’enfer des trafics et l’enfer de l’addiction aux drogues (légale ou non). L’usage régulier des drogues est une tentation qui peut venir de beaucoup de formes de misères : c’est pourquoi Marchais lui opposât « les études, le sport et les luttes », c’est-à-dire une vie meilleure.

Cette confusion est un peu bête : nos deux polémistes voient donc, dans le PCF, une critique de la drogue que pourraient faire les conservateurs, qui verrait dans la drogue un problème d’ordre moral et critiquerait ces consommateurs. Ils prennent donc la posture inverse et font une fort curieuse apologie des drogues.  

Déjà, c’est passer sous silence les positions historiques du PCF qui sont opposées à la répression des consommateurs et en faveur de l’accompagnement des addicts, par exemple via l’ouverture de salles de consommation à moindre risque.

Mais, comment peut-on défendre une bête apologie des drogues, lorsque l’on se réclame du marxisme, et que l’on sait les dégâts que peuvent faire ces drogues dans les couches populaires, mais également des drames qui peuvent émaner de ces trafics ? Doit-on rappeler qu’à Paris il y a l’horreur que vivent — et par la force des choses font vivre — les migrants précaires et sans-abri qui tombent dans l’enfer de l’addiction au crack ? Doit-on rappeler que dans l’histoire, les drogues ont été l’arme des impérialistes occidentaux pour coloniser la Chine avec les guerres de l’opium ? L’arme des impérialistes américains pour faire tomber la révolution sandiniste au Nicaragua ? 

Ce sont des drames et des crimes bien réels qui sont ainsi niés par nos deux amis. 

Une petite opération politicienne

À la fin de la vidéo, on comprend le but de ce condensé de mauvaise foi militante et de contre-vérités. Il s’agit d’attaquer le PCF de Fabien Roussel, parti qui a pour la première fois depuis 2007, un candidat à l’élection présidentielle. Nos deux compères s’adonnent à une critique des positions de Roussel, et s’adonnent à leur ultime mensonge : celui d’un PCF sans militant·es. Une affirmation pour laquelle une simple visite à la fête de l’humanité, plus grand festival d’Europe, constituerait en soi le plus cinglant des démentis : si ce festival existe et dispose d’un prix défiant toute concurrence pour être accessible au plus grand nombre, c’est parce que des dizaines de milliers de militant·es communistes y donnent leur travail bénévole.

Il s’agit d’attaquer le PCF aujourd’hui en diffamant ce qu’il était hier : il aurait été et demeurerait une organisation aux idées réactionnaires. 

Ultime outrance, l’appel au ridicule : on tourne en dérision les gens qui sont « nostalgiques de Marchais ». 

On a donc des marxistes revendiqués qui se moquent des « nostalgiques » d’une époque où un révolutionnaire battait des records d’audience à la télévision en y parlant de démocratie et d’autogestion en entreprise, qui combattait les journalistes se faisant chien de garde du capitalisme, de la finance et du patronat. 

On a donc des marxistes revendiqués qui se moquent d’un parti communiste qui réussit à imposer un rapport de force à un président social-démocrate — dont les mesures de gauche ne vinrent que lorsque celui-ci disposait de ministres communistes à son gouvernement. 

Quand Fabien Roussel s’indigne d’une vision CSP+ de l’écologie, qui voudrait que l’écologie ne puisse que dégrader les conditions de vie des couches populaires, qui voudrait que l’écologie ne puisse que s’opposer aux conditions et modes de vie de couches populaires, notamment celles de la ruralité, en somme que l’écologie ne peut être que punitive : nos deux commentateurs estiment qu’il s’agirait en réalité d’une prise de position qui vise à s’opposer aux luttes actuelles. Et ils déroulent leur vision imaginaire des débats qu’il y a eu entre le PCF et des organisations étudiantes en 68, pour la coller au PCF un demi-siècle plus tard : ils font comme si Roussel s’opposait à la société telle qu’elle est aujourd’hui, dans un mesquin exercice de malhonnêteté intellectuelle que l’on croirait directement sortie d’un plateau de CNEWS. 

Ce n’est pas qu’un manque de sérieux : cela semble même être une opération destinée à discréditer un candidat pour en promouvoir un autre à gauche. C’est un procédé bien connu. 

Dans l’interview de Roussel dans l’émission Backseat, face à un Roussel qui explique la défiance des couches populaires face aux candidat·es de la sociale-démocratie, Usul lui rétorque « je ne sais pas si [les couches populaires] ne voteront plus pour [Mélenchon]  », malgré ce qu’indique tous les sondages qui mesurent cette défiance bien réelle.

Peu de doute subsiste : le parti-pris de nos deux chroniqueurs est celui de ce candidat social-démocrate. Avec une forme d’œillères militantes, parce que ce candidat, ne fait pas qu’avoir un programme qui : ne s’attaque jamais à la question de la propriété privée, de la démocratie en entreprise ou au pouvoir du capital ; veux détricoter la sécurité sociale en généralisant son financement par l’impôt (plutôt que par les cotisations patronales, directement ponctionnées sur la production). N’oublions pas qu’en 2012 — parce que les communistes sont présents dans la campagne du front de gauche — le programme du front de gauche contient des perspectives révolutionnaires qui seront gommées par LFI en 2017 — parce que les communistes n’étaient pas invités à le co-rédiger leur programme. 

Un candidat social-démocrate qui — surtout ! — tient des propos dont le caractère profondément réactionnaire n’a jamais pu rivaliser — et de loin ! — avec tous ceux qu’auraient pu tenir Georges Marchais ou Fabien Roussel : le fait que le travailleur immigré « [volerait] le pain » du travailleur français ; qu’il y aurait un problème avec une communauté d’immigrés dans notre pays et qu’il aurait fallu la mettre sous surveillance ; que les idées fascistes d’un candidat d’extrême droite viennent de sa judaïté.

Car incendier Georges Marchais en lui prêtant des idées réactionnaires il y a 40 ans, et s’éprendre de cécité face aux actuels propos réellement réactionnaires de Jean-Luc Mélenchon est une faute politique et morale. 

Karl Marx débute son célèbre texte Le 18 brumaire de L. Bonaparte en disant que l’histoire se répète deux fois « la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

Nous l’avons montré : faire passer le PCF pour un parti conservateur aux tentations réactionnaires, cela a déjà été fait par les mitterrandiens en 1981. Cette machine médiatique avait été vécue à l’époque comme une profonde injustice par les camarades, notamment vis-à-vis de leur investissement réel dans les luttes des immigrés.

Les mitterrandiens, eux aussi, mettaient en avant l’héritage populaire et ouvrier du PCF lorsque celui-ci s’allait à un candidat social-démocrate. Les mitterrandiens, eux aussi, caricaturèrent le PCF en un parti réactionnaire lorsqu’il présentait sa propre candidature. Et Mitterrand au pouvoir, c’est la trahison des engagements de gauche dès 1983 et dès le début le renoncement à vouloir s’attaquer aux pouvoirs du capital.  

Aujourd’hui, avec un PCF affaibli et une gauche relativement expurgée d’idées véritablement révolutionnaires, dans un pays où la gauche marxiste reste à reconstruire, on peut s’interroger sur l’intérêt de ce déplorable remake. 

Finalement, nos deux camarades, sous leurs postures de radicalité, pensent et parlent comme des socialistes d’il y a 40 ans

N. B. Nous remercions Baptiste Girons pour les nombreuses références. Son article Usul ou « L’emprise des youtubeurs » est disponible sur le blog de Médiapart. 


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