Avec une adaptation du roman américain Quel est donc ton tourment de Sigrid Nunez, paru en 2020, le réalisateur espagnol signe son retour et tranche avec un film entièrement anglophone récompensé notamment du Lion d’or à la Mostra de Venise, avec son film La chambre d’à côté.
Entre art, mort et rédemption, l’émancipation au-delà de la vie
Le réalisateur nous raconte la fin de vie de Martha, reporter de guerre atteinte d’un cancer du col de l’utérus, qui renonce à ses traitements pour organiser son suicide à l’aide d’une pilule de contrebande. Elle est accompagnée d’Ingrid, écrivaine à succès et amie de longue date, par ailleurs effrayée par la mort. Ces retrouvailles sont l’occasion pour elles de revenir sur leurs débuts de carrière communs.
Elles retrouvent leur complicité et se confient sur de nombreux sujets tels que leur rapport à l’art, à la mort et à l’idée de rédemption. Cela aboutit à l’étonnante proposition de Martha, qui demandera à Ingrid de l’accompagner dans la résidence où elle mettra fin à ses jours afin qu’elle soit “dans la chambre d’à côté” lors de son départ.
Le film, s’il traite du débat sur la fin de vie et sur le suicide assisté, est très loin d’une esthétique misérabiliste ou apitoyante. Bien au contraire, la mise en scène presque théâtrale et l’usage marqué de couleurs vives donnent au film tout l’espace pour aborder cet enjeu comme celui d’une conquête individuelle, d’une émancipation, afin que l’homme soit libre, même dans son rapport à la mort. Ce presque huis clos, dans une somptueuse propriété louée pour l’occasion, permet aux deux personnages de se révéler et de lancer au spectateur d’autres enjeux, du rapport au travail jusqu’aux relations familiales. Il faut mentionner le personnage de Damian qui, ayant un lien personnel avec les deux protagonistes, apporte un regard extérieur sur la situation qui tranche avec l’idéalisme du huis clos. Ce regard est l’occasion pour le réalisateur de mentionner les enjeux modernes de la destruction de la planète par le capitalisme et l’impasse de la montée de l’extrême droite en réponse.
La fin de vie, un champ de bataille idéologique
Ces points de vue sur l’avenir et les risques collectifs de l’humanité tranchent avec le sens général du film, qui pousse à voir dans la fin de vie une question avant tout individuelle. L’entrée de ces sujets dans l’œuvre tranche avec l’esthétique d’un environnement idyllique choisi pour mourir. Ces enjeux politiques n’interviennent qu’en surface, avec une démonstration ponctuelle, mais notable de l’influence de la religion, jusqu’au sein des pouvoirs publics, dans l’hostilité au suicide assisté.
Abordant plus largement le rapport individuel que l’on peut avoir à soi, aux autres, à la mort et à un questionnement sur les conceptions traditionnelles de la dignité et de l’émancipation, le débat politique est inévitable et mis en avant. Légal au Canada, dans le Bénélux, en Australie ainsi que dans certains des États-Unis d’Amérique, le suicide assisté légal fait aujourd’hui débat dans toutes les sociétés occidentales, avec ses dérivés, de l’euthanasie passive à l’euthanasie active. Malheureusement, ce débat, qui questionne profondément notre rapport à la vie et à l’autonomie, dont les enjeux philosophiques sont colossaux, est travesti aujourd’hui en un affrontement entre « progressistes » qui assimilent la jouissance libre de soi-même à la forme suprême de liberté et « pro-vie » dont l’esprit pollué par l’absolutisme religieux renforce la réaction et empêche tout débat serein.
Mourir avec classe, lutter pour vivre
Ces deux positions mènent à l’impasse. S’il est simple de rejeter les positions justifiées par l’absolutisme religieux, l’association entre l’augmentation des droits et celle des libertés par les libéraux pose aussi problème. Nous savons que les rapports socio-économiques issus de la société de classes contraignent la plupart d’entre nous, de nos choix professionnels à ceux touchant à notre intimité, de notre rapport à nous, aux autres et à la mort. Un droit n’est pas forcément synonyme d’une liberté.
Si le film est assurément à voir pour sa richesse esthétique et sa dynamique émotionnelle entre les protagonistes, il permet aussi d’alimenter le débat politique sur la fin de vie.