Albert Blasco : « Au sein même de l’État espagnol, le franquisme n’a pas complètement disparu »

publié le dans
Albert Blasco : « Au sein même de l’État espagnol, le franquisme n’a pas complètement disparu »

Le Figaro a publié un dossier sur la Guerre civile espagnole se reposant sur les travaux du pseudo historien Pío Moa. Dans celui-ci le célèbre quotidien français réhabilite le franquisme aux dépens du Front populaire qui serait en fait le seul à l’origine des violences. 

Nous en avons discuté avec Albert Blasco, le responsable international des Jeunes communistes de Catalogne.

As-tu entendu parler de cette polémique ? Si oui quelle a été ta réaction en la découvrant ? A-t-elle fait parler d’elle en Catalogne ?

Oui, je l’ai vu sur les réseaux sociaux, mais en Catalogne on n’a pas parlé de cette polémique. Franchement, j’ai été surpris que cela puisse se passer en France, j’ai ressenti beaucoup de colère.

En France, cette tentative de réhabilitation de Franco et de l’extrême droite espagnole a suscité de vives réactions. Voit-on des tentatives similaires à celle-ci en Espagne et en Catalogne ? Aujourd’hui, est-ce que certains médias ou personnalités défendent le bilan du franquisme ?

Oui, malheureusement. Au sein même de l’État espagnol, le franquisme n’a pas complètement disparu. Le bilan du franquisme, c’est le bilan officiel de l’État et après la mort du dictateur le silence a été imposé. 

Ici, des idées comme celles publiées par le Figaro sont assez courantes. Il y a un discours officiel qui défend que les Républicains étaient « mauvais » » et que ceux qui ont pris le maquis pour combattre la dictature n’étaient que des « bandits », etc. 

La droite espagnole est l’héritière du franquisme. Le cas du Partido Popular qui a été fondé par un ancien ministre de Franco en est un parfait exemple. Les grands médias, les politiciens, la magistrature, la police, l’armée, en bref le régime actuel hérité de 1978 est l’héritier de la dictature franquiste. 

Aujourd’hui encore, beaucoup de rues et de places portent le nom de franquistes alors que des milliers de camarades sont encore enterrés dans des fosses. Nous sommes le deuxième pays du monde avec le plus de fosses communes ! 

La Guerre civile espagnole a profondément marqué l’Histoire de la Catalogne. À la Joventut Comunista que faites-vous pour faire vivre l’héritage des Républicains et des Brigades internationales ? 

À la JCC nous nous efforçons de restaurer la mémoire historique et démocratique, que les années de dictature et le régime de 1978 ont tenté d’effacer. Nous travaillons pour faire connaître les figures marquantes du camp républicain et dans nos formations, nous encourageons la collaboration avec des associations de mémoire historique locales. 

Nous participons également à l’Amicale des Brigades internationales et à l’Association catalane des anciens prisonniers politiques du franquisme. Ces deux associations sont parmi les plus importantes et elles participent à faire vivre la mémoire démocratique contre l’oubli et le silence imposé par l’État espagnol. Nous nous battons avec elles pour récupérer les corps qui sont encore dans les fosses communes. C’est un combat très important, car nous sommes fiers d’être les héritiers de cette lutte contre le fascisme et d’avoir des camarades au Parti qui ont lutté contre la dictature. 

Récemment nous avons organisé une « Brigade » en Catalogne Nord (Pyrénées-Orientales en France) ce qui nous a permis de visiter des lieux où sont passés des centaines de milliers de républicains exilés : les camps d’Argelès-sur-Mer et Rivesaltes, la Maternité suisse d’Elne, etc. 

Lors des dernières élections en 2021, le Parti d’extrême droite Vox est devenu la quatrième force du politique de Catalogne alors qu’il était encore totalement absent du Parlement en 2017, comment expliques-tu leur montée en puissance ?

Je crois qu’il s’agit d’une dynamique générale, car l’extrême droite est en plein essor dans toute l’Europe. Mais je crois que contrairement à d’autres pays comme la France par exemple, il n’y a pas un électorat de gauche qui vote maintenant pour l’extrême droite. L’immense majorité de Vox sont d’anciens électeurs du Partido Popular. 

La crise, la mauvaise gestion et la corruption ont influencé ce changement en faisant qu’une partie des électeurs optent pour un discours d’extrême droite qui donne l’impression de vouloir les protéger contre la crise. Dans le cas des élections de 2021 en Catalogne, la montée de Vox s’accompagne d’une forte baisse du Partido Popular et à la quasi-disparition de Ciudadanos. 

D’après toi, y a-t-il un lien entre la façon dont le gouvernement espagnol a réagi à la suite du Référendum de 2017 et la montée de l’extrême droite en Catalogne ?

Le gouvernement du Partido Popular a réagi à la manière de l’extrême droite espagnoliste, en usant de la répression (charges policières contre des électeurs pacifistes, arrestations arbitraires d’activistes et de leaders politiques dont certains ont été poussés à l’exil…) De fait, cela a peut-être normalisé certains discours et a fait qu’une partie d’électeurs d’extrême droite qui autrefois votaient pour Ciudadanos ou pour le Partido Popular ont fini par se tourner vers Vox lors des élections suivantes. Nous ne pensons pas que le référendum de 2017 ait provoqué la montée de l’extrême droite en Catalogne, mais il l’a peut-être accentué. 

D’ailleurs à la Joventut Comunista, comment faites-vous pour articuler votre attachement très fort à la Catalogne et l’internationalisme des idées communistes ?

Nous ne pensons pas que le fait de défendre la souveraineté du peuple catalan soit incompatible avec l’internationalisme, car défendre la souveraineté de la Catalogne, c’est défendre celles de tous les autres peuples, en Espagne et dans le monde entier. 

La solidarité internationale ne peut pas exister si la volonté des peuples n’est pas respectée. À la JCC, nous ne sommes ni nationalistes, ni régionalistes, mais souverainistes. Et comme n’importe quel peuple, nous défendons donc le droit à l’autodétermination et à la souveraineté. Il n’y a pas de libération nationale sans libération de la classe ouvrière. 

Je citerai Joan Comorera (1er secrétaire général du PSUC et ministre de la Generalitat pendant la Guerre civile, mort dans les geôles franquistes) qui est l’une de nos principales références idéologiques : « nous sommes des internationalistes et parce que nous sommes des internationalistes, nous sommes les seuls à pouvoir régler le problème national ».


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques