A l’école, les violences sont avant tout celles de la société

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A l’école, les violences sont avant tout celles de la société

Les violences en milieu scolaire ne peuvent pas être regardées indépendamment de celles qui traversent toute la société. Les élèves sont les enfants de familles, avec leur difficultés propres, avant d’être les “usagers” de l’éducation nationale.

A Créteil, la résignation plus frappante que le pistolet factice

Une enseignante assise à son bureau, faisant face à un élève qui braque un pistolet sur elle. Cette vidéo a été tellement commentée depuis quelques jours qu’on ne sait plus quoi en penser. Nous sommes nombreux, nous profs, à prendre la parole, à parler de notre quotidien, à dénoncer les violences, le manque de soutien de nos directions, à rappeler aussi le bonheur que nous avons à exercer notre métier, « malgré tout ».

Nous sommes nombreux, aussi, à nous taire, à hésiter, à réfléchir. A peser chaque mot. Partagés entre l’espoir de pouvoir, enfin, raconter les situations auxquelles nous sommes confrontés, et auxquelles personne ne nous forme mais tout le monde estime que nous devrions savoir y faire face; et la volonté de rappeler que ces situations ne constituent pas le coeur de notre métier, que les adolescents que nous avons en face de nous chaque jour sont dans leur grande majorité d’adorables bambins roses et joufflus, créatifs et avides d’apprendre, de comprendre, de participer.

L’enseignante de la vidéo ne tente pas de se défendre. Elle ne se lève pas. Elle attend, résignée. C’est cette résignation qui m’interpelle encore davantage que l’agression en elle-même. Les débats autour des enjeux de l’éducation nationale ont ce paradoxe d’être largement appropriés tout en laissant les solutions sur les bras des seuls professeurs. Il faut également noter que les élèves en sont également souvent les grands absents.

Les élèves, enfants d’une société violente

Commençons déjà par tordre le cou à quelques idées reçues : les violences en milieu scolaire ne datent pas d’hier, et ne sont pas la conséquence du collège unique. Ce qui est vrai, je pense, c’est que dans une société faite d’inégalités, de violence, d’absence d’espoir, la violence est de plus en plus présente. Par le harcèlement au travail, par la soumission au patron, au banquier, par le manque d’air frais, de projets réjouissants que nous, adultes, subissons, et qui ne donnent pas envie à nos ados de grandir.

En réalité, la majorité de mes élèves affronte tous les jours tous types de violence qu’elle ne rend pas : des situations familiales inextricables, des abandons, des parents décédés ou isolés, des placements en famille d’accueil ou en foyer, des difficultés financières, des campagnes ou des cités sans bibliothèque, sans cinéma, sans verdure, sans transports, sans beauté. Ces apprentis citoyens viennent en cours chaque jour et font de leur mieux pour se conformer aux exigences de l’école, alors même que la société semble tout faire pour les en éloigner.

Parfois on découvre un élève qui ne voit pas bien le tableau depuis des années, ou on voit couler un gamin qui devrait avoir des aménagements pour son handicap, mais qui attend en vain, tout seul dans sa souffrance. Ou on se rend compte que l’ado qui ne fait jamais ses devoirs partage sa chambre avec 3 frères et sœurs. La majorité des enfants qui sont devant nous supporte, surmonte, avance malgré les obstacles, et nous les regardons avancer, épatés et fiers. Et quand ils trébuchent, les moyens manquent pour que nous les aidions à se relever.

L’éducation nationale n’est pas l’unique solution

Face à cette souffrance dont nous sommes trop souvent les témoins quotidiens, la formation qui nous est proposée est très insuffisante. Il est absurde et inhumain d’attendre des profs qu’ils soient capables de réagir dans l’instant et de manière infaillible et irréprochable à n’importe quelle situation. Nous ne sommes pas du tout formés à faire face aux situations auxquelles nous sommes pourtant régulièrement confrontés : parfois des agressions verbales ou physiques, c’est vrai, mais aussi trop souvent des enfants en détresse, des familles en difficulté financière, des parents trop ou pas assez impliqués, dont quelques uns ne sont pas francophones…

Nous n’avons pas besoin de gilet pare-balles ou de cours d’auto-défense ou d’autorité, nous avons besoin d’outils éducatifs, de psychologues, de conseillers d’orientation, d’infirmiers et de médecins scolaires (autant de professions que le gouvernement s’acharne à faire disparaître), de conseillers et d’assistants d’éducation, bref de moyens et surtout de collègues qui nous épaulent, nous sortent de la solitude de notre salle de classe. Nous ne pouvons faire face, seuls, à des situations que les familles elle-mêmes et la société a fortiori n’arrivent pas à gérer.

Un enjeu de société qui doit être largement partagé

Enfin, j’ai dit que ce débat n’était pas un débat de profs. De la même manière, les solutions doivent être réfléchies et appliquées collectivement. Pour trop de nos élèves, l’école joue le rôle de refuge qui finit par ressembler à une prison. Malgré eux, malgré nous, car il devient urgent de s’occuper des inégalités que l’école n’arrive plus à réduire. Il ne s’agit pas de bricoler une école refuge au milieu d’une société faite d’inégalités et de dominations.

Il s’agit de recréer des solidarités, entre parents et profs, entre profs et directions, entre les élèves eux-mêmes aussi. De redonner du sens et des perspectives. L’école ne peut fonctionner que dans une société qui a pour ambition de permettre une vraie égalité des chances, un accès à la culture pour tous, qui protège tous ses enfants pour qu’une fois arrivés à l’école, ils puissent se consacrer à leur apprentissage. Sans penser à ce qui leur manque au dehors. Et que nous, profs, puissions faire notre travail en ouvrant d’autres horizons.

#pasdevague

Le « #pasdevague » est viral depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. Le hashtag, grâce auquel de nombreux professeurs témoignent sur le réseau social Twitter, dénonce le comportement des hiérarchies dans le monde de l’éducation. Avec plus de 140 000 tweets en quelques jours, il se compose de témoignages multiples sur les violences à l’école. Il a permis de créer une solidarité entre professeurs, en montrant que ces violences ne sont pas le fait de laxisme ou d’erreurs, mais aussi d’alerter sur la nécessité que les chefs d’établissements, les recteurs et les inspecteurs soutiennent davantage les enseignants. Nombreux sont, en effet, les enseignants qui dénoncent la volonté de certains supérieurs de cacher les incidents dans les établissements scolaires.

Quelques politiques, comme le ministre Blanquer ou Marine Le Pen, ont ensuite tenté de surfer sur cette vague. Leurs discours de fausse solidarité ne doivent pas nous tromper : par leurs déclarations et par leurs actes, ces politiques font des propositions, par des moyens différents, qui ne feront qu’augmenter les inégalités à l’école et exclure une partie des élèves.

 


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