Le 8 février 1962, une manifestation pour la paix en Algérie est sauvagement réprimée par la police. Cette journée qui restera dans les mémoires comme le « massacre du métro Charonne » fera 9 morts et plus de 250 blessés.
Le contexte : la guerre d’Algérie et le terrorisme de l’OAS.
Cela fait près de 8 ans que la France est empêtrée dans la guerre d’Algérie. Officiellement, il ne s’agit pourtant pas d’une guerre : le pouvoir se contente de communiquer sur « des opérations de maintien de l’ordre ». Il n’empêche, près de 500 000 soldats sont alors présents en Algérie. En outre, la publication en 1958 de « La Question » d’Henri Alleg a révélé au grand jour le phénomène de la torture pratiquée par l’armée française en Algérie.
En 1958, De Gaulle était revenu au pouvoir grâce au soutien des ultras de l’Algérie française. Se présentant d’abord comme un défenseur de la domination coloniale française, il doit pourtant rapidement se résigner. Le 8 janvier 1961, le « oui » l’emporte très largement lors du référendum sur l’autodétermination des Algériens. Les négociations avec le FLN reprennent alors.
Cette évolution politique déplait fortement aux partisans de l’Algérie française. Après tous leurs efforts pour faire revenir De Gaulle au pouvoir, ils se sentent désormais trahis par le général. En 1960, ils tentent une insurrection à Alger : la « Semaine des barricades ». C’est un échec qui pousse alors les plus radicaux à créer un an plus tard une nouvelle organisation : l’OAS. Rassemblant des officiers et des militants issus de divers groupuscules d’extrême droite, l’OAS (pour « Organisation de l’Armée Secrète ») entend s’opposer par tous les moyens à l’indépendance de l’Algérie. Cette organisation terroriste multiplie les attentats et les assassinats. Elle cherche à saboter tous les efforts de paix et cause des milliers de victimes.
Le 7 février 1962, l’OAS fait exploser dix charges de plastic à Paris. Sont visés des intellectuels, des journalistes et des élus communistes engagés en faveur de la paix. On relève plusieurs blessés graves. Les organisations syndicales CGT, CFTC, FEN et UNEF appellent alors à un rassemblement à Bastille dès le lendemain contre les « tueurs fascistes » de l’OAS et pour « imposer la paix en Algérie ». Le PCF, le PSU (Parti Socialiste Unifié) et le Mouvement de la paix se joignent à l’appel. Ils sont rejoints par les organisations de jeunes le MJCF, UEC, UJFF (Union des Jeunes Filles de France, organisation féminine du MJCF) et JSU (Jeunesse Socialiste Unifié).
Violences policières à la station Charonne
Malgré l’appel à un rassemblement pacifique, la manifestation est interdite par les autorités. En effet, depuis le 23 avril 1961, la mise en place de l’état d’urgence permet aux pouvoirs publics d’interdire toutes manifestations sur la voie publique.
La police, dirigée par le préfet Maurice Papon, a reçu l’ordre de ne tolérer aucun rassemblement et de « faire preuve d’énergie » contre les manifestants.
Maurice Papon (1910-2007) fut secrétaire général de la préfecture de Gironde sous le régime de Vichy et organisa à ce titre la déportation des Juifs de la région bordelaise. Il continua sa carrière après-guerre et devient préfet de police en 1958. Outre Charonne, il est aussi responsable de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. Il sera finalement condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité.
On équipe les forces de l’ordre de gaz lacrymogènes et des fameux « bidules », ces longues matraques de bois de 85 cm de long connues pour faire des ravages.
Le soir de la manifestation, la place de la Bastille est bouclée par la police. Les manifestants se rassemblent pacifiquement en différents cortèges constitués aux abords de la place. Alors que les organisateurs s’apprêtaient à disperser le rassemblement, la police charge avec brutalité.
Au niveau du carrefour Voltaire – Charonne, les coups pleuvent. Le conseiller général communiste Léo Figuères, ceint de son écharpe d’élu, est violemment matraqué alors qu’il tentait de s’interposer. Ordre a été donné aux forces de l’ordre de bloquer le boulevard Voltaire en direction de la place Léon Blum : les manifestants sont pris en tenailles. Paniqués, certains essaient de trouver refuge dans les rues latérales ou dans les immeubles mais ils sont poursuivis sur plusieurs étages par la police. D’autres tentent de s’engouffrer dans la bouche de la station de métro Charonne. Les coups de matraques continuent de pleuvoir et la fuite par la bouche de métro vire à la bousculade. Plusieurs corps gisent inanimés. Les témoins raconteront que les policiers ont jeté des grilles de protection d’arbres sur les manifestants.
Le bilan de ces violences policières est lourd. On dénombre 8 morts et plus de 250 blessés. Parmi les blessés, Maurice Pochard, 48 ans, décèdera le 20 avril des suites de ses blessures. Le bilan final est donc de 9 morts, tous adhérents à la CGT dont 8 étaient également membres du PCF.
Responsabilités et mémoire
Dès le lendemain du drame, les autorités accusent les manifestants d’avoir provoqué la police. La version officielle tente d’expliquer les morts par le fait que les grilles de métro étaient fermées et que les manifestants se seraient donc retrouvés coincés dans la bouche du métro. C’est un mensonge. Les grilles étaient bien ouvertes et les policiers ont poursuivis les manifestants jusque sur les quais de la station. Cela n’empêchera pas Michel Debré, premier ministre de l’époque, de rendre à Maurice Papon, dans une lettre en date du 13 avril, « un particulier hommage à ses qualités de chef et d’organisateur ».
La violence de Charonne n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans un contexte d’impunité policière et de brutalité extrême contre les manifestations hostiles à la guerre. Déjà, le 10 décembre 1961, une manifestation contre la guerre et l’OAS s’était soldée par une centaine de blessés. Encore deux mois avant, le 17 octobre, une manifestation d’Algériens protestant contre le couvre-feu avait été réprimée dans le sang. Les manifestants ont été battus à morts, abattus par armes à feu ou noyés dans la Seine. Le nombre de victime reste encore inconnu mais les estimations portent sur entre 50 et 100 morts et une centaine de disparus.
Les responsables de ces répressions sauvages ne seront jamais inquiétés. En effet, en 1966, est votée une loi d’amnistie couvrant les manifestations de 1961 et 1962.
L’émotion suscitée par la répression est cependant énorme dans l’opinion publique. A l’inverse de la répression du 17 octobre 1961 (où la censure avait joué à fond), la répression de Charonne est largement couverte par la presse et le public s’indigne. Le 13 février, entre 500 000 et un million de personne participent aux obsèques des victimes. La mémoire de ce drame est notamment entretenu par le « Comité vérité et justice pour Charonne » mis en place par la CGT et le PCF. Chaque année, des rassemblements commémoratifs sont organisés. L’Etat n’a cependant toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce drame.