3 figures féministes, leur parcours, leur combat, leur message

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3 figures féministes, leur parcours, leur combat, leur message

Rencontre avec trois militantes féministes contemporaines dont on méconnaît souvent la contribution à la lutte féministe

Ernestine Ronai

Les jeunes communistes qui ont déjà eu la chance de rencontrer Ernestine Ronai ne peuvent manquer la force qu’elle dégage, sa volonté de partage et la modernité de son adresse à la jeunesse.  À l’occasion de la semaine du féminisme 2021, nous avons souhaité dresser des portraits de militantes féministes contemporaines, ces conquérantes de nouveaux droits dont on méconnaît pourtant souvent la contribution à la lutte féministe.

SON PARCOURS MILITANT :

Ernestine Ronai adhère à la Jeunesse Communiste à 13 ans et demi, à la suite des manifestations pour l’indépendance de l’Algérie et sur une base classe : elle est issue du milieu ouvrier, née de parents juifs immigrés. Elle rejoint le Parti Communiste Français en 1964, tout en continuant de militer à la JC.  

Responsable de la branche lycéenne parisienne de l’Union des Jeunes Filles de France (UJFF), la militante est déjà féministe, même si cet engagement n’en avait pas le nom à l’époque. 

Le terme féminisme n’était pas encore employé, mais il s’agissait bien d’une lutte contre les discriminations dont les femmes font l’objet. L’UJFF avait cette vocation, et cette structure permettait la promotion et l’émancipation des jeunes femmes du mouvement communiste. 

Par la suite, Ernestine est devenue institutrice et a principalement milité dans son syndicat. D’enseignante à psychologue de l’éducation, Ernestine a connu plusieurs vies. Elle a plus tard quitté l’éducation nationale un temps et est devenue secrétaire nationale de l’association Femmes Solidaires et rédactrice en chef de leur journal, Clara-magazine. C’est durant cette expérience journalistique, au travers d’entretiens avec des femmes, qu’elle prend conscience de l’ampleur des violences faites aux femmes. Ernestine ne reste jamais longtemps en place, et sait former une relève pour lui confier ses trésors. C’est donc l’esprit tranquille qu’elle quitte Clara Magazine, et reprend son métier de psychologue de l’éducation. 

À ce moment-là, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis lui demande de créer l’Observatoire départemental des Violences faites aux Femmes. Cet observatoire, outil d’expérience, de partage, d’analyses et de recherche au service des femmes et des enfants voit le jour en 2002. 

En juin 2012, Najat Vallaud-Belkacem à son tour lui demande de travailler à la mission droits des femmes. Ernestine y œuvrera jusqu’en 2017, tout en poursuivant le développement de l’Observatoire. Elle rejoint en 2013 le HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes), où elle co-préside la commission violences depuis sa création. En 2016 elle co-crée le diplôme universitaire « Violences faites au femmes » à l’université Paris 8. Elle prend part également à l’écriture de plusieurs ouvrages sur les violences conjugales et les violences faites aux femmes. Depuis juin 2020, Ernestine participe au pilotage des ordonnances de protection. 

Ernestine Ronai insiste sur un point : son parcours militant à la JC et à l’UJFF a été déterminant pour le reste de sa vie : il a en effet été très formateur. C’est là qu’elle a appris à organiser des actions, à diriger des réunions, à planifier, etc… « Le MJCF est une école pour apprendre à analyser la société, et pour croire en son pouvoir d’action collective, pour croire en sa propre capacité d’agir sur le monde. »

Son sens de l’engagement a toujours été présent, mais c’est son engagement de communiste qui lui a permis d’organiser son parcours militant autour du travail collectif, dans le but toujours d’aider et d’aller vers le progrès. Si elle a pu faire tout ça, et continuer encore, c’est grâce à cette formidable école qu’a été le Parti. Elle n’a jamais quitté le PCF, elle en a même été secrétaire de section, un temps. Son engagement féministe est un engagement communiste : il ne peut pas y avoir de changement de société sans inclure les droits des femmes et des enfants. Cela s’inscrit naturellement dans sa volonté de mettre fin à la domination et à l’exploitation sous toutes ses formes. 

SON COMBAT LE PLUS MARQUANT

Avec Clara-magazine, elle avait mené une campagne en 1992 pour la libération de toutes les prisonnières palestiniennes des prisons israéliennes. Ce fut une lutte de longue haleine. Durant l’été 96, Ernestine Ronai se rend en Palestine avec ses camarades. Les femmes des associations palestiniennes voulurent leur faire rencontrer Yasser Arafat pour qu’elles lui parlent des prisonnières palestiniennes et défendent la parité. Il était difficile d’obtenir la libération de tous les prisonniers, Ernestine et ses camarades se concentrèrent donc sur une revendication : elles demandèrent à Arafat de faire sortir les femmes, et en 1997, plus aucune de ces prisonnières palestiniennes n’était encore enfermée. L’une d’elle aurait pu de pas sortir car elle avait tué un soldat israélien dans un acte de résistance. Les autres prisonnières ne voulurent pas sortir si l’une d’elles restait enfermée, alors elle fut libérée elle aussi. Cette sororité a profondément marqué Ernestine. 

À Ramallah en Palestine, Clara-magazine était très connu, plus qu’en France. Ernestine tient à souligner l’impact formidable que l’on peut avoir en s’engageant. « Il faut rester persévérant, car ces luttes sont longues. » L’histoire ne s’arrête pas là : quinze ans plus tard, Ernestine est allée faire une formation à Stains pour des personnes étrangères, notamment des Palestiniennes. Elle y a rencontré la femme qui a pu sortir grâce à la solidarité des autres. Cette rencontre inattendue fut un grand moment. C’était un épilogue très beau de pouvoir rencontrer cette femme libérée qui travaillait alors pour l’autorité palestinienne. 

LE MESSAGE QU’ELLE SOUHAITE NOUS FAIRE PASSER :

Ernestine Ronai tient à nous communiquer sa combativité : « Il faut croire en sa force, en sa capacité de transformer le monde et ne jamais renoncer à ça. »

Elle conclut avec quelques recommandations, ou rappels, concernant la lutte contre les violences : « face à des violences et notamment des violences faites aux femmes et violences sexuelles, il ne faut jamais passer son tour quand on identifie des violences, une victime. Il faut toujours l’accompagner, l’aider. Une victime a besoin d’aide pour sortir des violences, c’est donc déterminant d’être cette personne lorsqu’on en a l’occasion. Dans la lutte contre les violences, il faut aussi faire attention à ne pas être soi-même violent, notamment dans la violence psychologique. Au niveau sexuel, on doit toujours garder en tête qu’un acte sexuel quel qu’il soit, une relation, doit être dans la réciprocité : j’ai envie, il ou elle a envie. La réciprocité est toujours importante. Il faut donc être attentif à l’autre, à ce qu’il ressent et pense. »

Suzy Rojtman

Pour qui fréquente régulièrement les manifestations et rassemblements féministes de la capitale, Suzy Rojtman est une figure bien connue. 

Inlassable militante, elle est aussi à l’aise derrière un mégaphone, qu’en formation pour les jeunes communistes de Paris, ou dans l’ombre, à organiser les événements et participer à la rédaction de lois progressistes.

SON PARCOURS MILITANT :

Le parcours militant de Suzy débute en mai 68. Elle a alors 15 ans, et sa famille ne lui permet pas de militer, la jugeant trop jeune. Lorsqu’elle entre au lycée (« chez les grands! ») en septembre de la même année, elle est déterminée à ne plus laisser d’obstacle la retenir de participer à la lutte anticapitaliste. Adhérente dans un premier temps d’une organisation trotskyste, où les femmes participent au combat mais où les grandes figures sont toujours masculines, elle s’intéresse de plus en plus aux luttes des femmes. En 1970 venait d’avoir lieu le premier acte lançant le mouvement féministe : le dépôt d’une gerbe à la femme du soldat inconnu. 

« le mouvement féministe des années 70 était très fort, radical, insolent et très politisé ».

Petit à petit, elle concentre son action sur la lutte pour les droits des femmes, toujours dans un contexte de lutte contre le capitalisme. Elle quitte LCR en 1978 pour se consacrer aux luttes féministes. Avec des camarades, elle se lance dans la radio libre féministe ; les radio libres étaient alors interdites. Pendant plusieurs années, elle anime une émission – « mais qu’est-ce qu’elles morflent ! » – où elle évoquait des sujets tels que le viol. En mai 1985 eurent lieu trois viols publics, sans réaction des témoins pour aider les victimes. C’est une onde de choc, il faut agir. Suzy Rojtman co-fonde le CFCV, collectif féministe contre le viol, où elle anime des groupes de paroles pendant 13 ans. 

En 1990 est créée la CADAC – coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception. L’avortement avait été gagné en 1975, mais la loi devait être améliorée, et il fallait lutter contre les attaques de commandos anti-avortements, qui intimidaient à l’entrée des hôpitaux ou cliniques et s’y introduisaient pour perturber les soins. La loi contre le délit d’entrave à l’IVG a été obtenue en 1993, à la suite d’une forte mobilisation. Suzy et ses camarades ne lâchèrent rien, car en 95 il fallut se battre contre le projet d’amnistie des commandos anti-IVG, combat qu’elles gagnèrent. A la suite d’une grande mobilisation nationale le 25 novembre 1995, le Collectif National pour les Droits des Femmes est créé, collectif dont Suzy est la porte-parole.

Suzy Rojtman a participé à la rédaction de la proposition de loi cadre contre les violences faites aux femmes, qui s’inspire de la loi espagnole. Grâce à leur ténacité, ses camarades et elle ont réussi à faire adopter la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Ce fut une victoire, mais elle garde en tête qu’il s’agit d’une victoire d’étape : les combats continuent pour faire voter d’autres éléments de leur projet. Il reste en effet beaucoup de travail à faire en termes de législation.

SON COMBAT LE PLUS MARQUANT :

Celui contre les violences faites aux femmes et aux enfants, qui a permis l’adoption de la loi du 9 juillet 2010. Cette loi, bien qu’incomplète, est une avancée : elle a notamment  introduit les ordonnances de protection. 

LE MESSAGE QU’ELLE SOUHAITE NOUS FAIRE PASSER :

Quand on lui propose de s’adresser à la jeunesse, deux conseils viennent à la bouche de Suzy Rojtman : « Il ne faut jamais lâcher, car lorsqu’on lâche quelque chose, ils reviennent à la charge pour revenir sur nos acquis ». Cette mise en garde rappelle celle d’Ambroise Croizat. Comme dans la lutte contre le capitalisme, nos conquêtes féministes peuvent nous être arrachées si nous ne les défendons pas. 

Elle tient à terminer sur un dernier message : « Le mouvement féministe doit se réunifier, pour gagner, comme dans d’autres pays tels que l’Argentine. Il faut laisser de côté nos désaccords pour lancer des mouvements massifs ! Par exemple, une grande grève du 8 mars ». 

Hélène Bidard

SON PARCOURS MILITANT

Hélène Bidard commence à militer sur le Traité Constitutionnel Européen, alors qu’elle était étudiante à Tolbiac. Avant cela, elle fréquentait quelques petits groupes militants, “gauchistes”, où il y avait beaucoup de débats, de discussions, mais peu d’action concrète. C’est donc en 2004 qu’elle rejoint le MJCF, via sa branche étudiante l’UEC (l’Union des Étudiants Communistes) à la Sorbonne, et “passe de discussions de comptoir à un vrai militantisme.” 

Il faut dire que le référendum de 2005, gagné, lui a donné des ailes : c’était une victoire, celle du “NON”. Il y a eu ensuite l’enchaînement avec Villepin et ses réformes, sur le CPE par exemple, et cette fois c’était dans la rue : là où pour le referendum c’était avant tout le PCF et les partis politiques qui menaient la bataille, cette fois c’était à l’UEC et aux organisations de jeunesse de mener la lutte sur le terrain. Hélène adhère au PCF lorsque ses études se terminent, et devient ensuite salariée à la mairie de Créteil. En 2008, elle est élue conseillère municipale à Paris sur la liste du PCF, avant de devenir adjointe à la Mairie, chargée de l’égalité femmes-homme et de la jeunesse, suite aux élections municipales de 2014. 

Sa démarche a été celle d’une vraie cohérence entre sa vie professionnelle et sa vie militante, alliant une passion de la politique et un travail très concret sur le terrain. Toujours membre de la section PCF du 11ème arrondissement, elle est également élue de cet arrondissement.

SON COMBAT LE PLUS MARQUANT 

Il s’agit sans aucun doute de l’affaire du 57 boulevard de Strasbourg, surnommée “l’affaire des salons de coiffures”. Les coiffeuses de ce numéro de rue étaient des victimes de la traite des êtres humains. Ce fut alors un croisement entre militantisme et politique, car Hélène pouvait, à partir des institutions, prendre part à leur lutte, qui mélangeait combat syndical de plusieurs mois, féminisme, lutte de classes, antiracisme, et une lutte pour la régularisation. Ce combat fut incarné par 18 femmes, qui y étaient prisonnières. La lutte a duré des années. Le procès a eu lieu en 2017 et ce fut le premier dans son genre en France, face à une exploitation de la sorte et à une traite des êtres humains dissimulée en plein cœur de Paris. La bataille juridique et syndicale fut ardue, mais le procès fut gagné, et le gérant tomba.

Hélène fut témoin lors du procès. Comme elle l’avoue elle-même, ce fut une situation délicate car elle était à la fois actrice de la lutte, avec un pied dans les institutions et l’autre dans le militantisme, et observatrice ; “simple” intervenante de la procédure judiciaire. Elle fut au final directement placée au cœur de la bataille juridique, en plus d’être directement impliquée dans la situation de ces femmes.

L’affaire eut beaucoup d’échos dans les médias, et il faut aussi rappeler que c’était aussi une bataille contre le gouvernement socialiste de l’époque, celui de Manuel Valls, qui ne voulait pas voir ce procès gagné, considérant qu’il aurait entraîné d’autres situations du genre où l’état serait obligé – légalement – de protéger les victimes. La crainte était celui d’un “appel d’air”, et ils ne voulaient pas “en ouvrir la porte”. La société évolua vraiment à son échelle avec cette affaire-là, avec cette victoire.

SON MESSAGE POUR LA JEUNESSE

Hélène Bidard tient à nous dire une chose : notre génération vit une crise historique que personne d’autre n’as vécu depuis presque un siècle. Cela va bien au-delà du COVID, car il faut aussi considérer la crise écologique, qui vient mais qui est déjà là, la crise économique, les effets psychologiques de ce que nous vivons sur notre santé. 

Mais pourtant, il n’y a jamais eut autant de jeunes qui s’engagent depuis longtemps, notamment sur la question de la lutte contre les violences, que ce soit par le mouvement BLM – par exemple – ou pour les associations luttant contre les les LGBTphobies. Il y a quelque chose de spécial qui se passe. Elle s’aperçoit qu’il y a un vrai goût pour la politique et le travail en commun, beaucoup plus important que dans les générations passées, même pour la sienne, comme si nous étions en train de remplacer les valeurs du libéralisme, de l’individualisme, du “tout pour soi-même” par autre chose…  

Il y a des chiffres : 45 % de 18-30 ans ont déjà soutenu une cause ou milité, c’est 10 % de plus qu’en 2016, même si ça se concrétise plus dans l’associatif que dans le syndical ou le vote. C’est aux partis et aux syndicats de se remettre en question aussi. Il y a un vrai danger pour la démocratie, et la jeunesse fait partie de la solution et non du problème. Hélène tient aussi à préciser que le mouvement féministe récent va plus loin qu’une simple vague ; ça a été un sursaut, un réveil, avec #metoo et les réseaux sociaux qui ont pu aider (malgré des effets négatifs) : il y a une vraie reconnaissance du caractère systématique et international des violences. Pour Hélène, c’est bien plus que quelque chose qui a monté et qui va redescendre bientôt, c’est plus profond qu’une simple “vague”, qu’une quatrième vague du féminisme : c’est  une transformation profonde de la société qui mute et qui change.


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