Sur le port de pêche du Rosmeur, à Douarnenez, de novembre 1924 à janvier 1925, 2500 personnes défilent en chantant derrière le drapeau rouge. 1700 sont des femmes.
Toutes sont ouvrières, des sardinières. La plupart travaillent dans l’une des 40 conserveries ou usines de boite de la ville. Elles sont en grève depuis le 21 novembre 1924. Elles le seront 46 jours durant.
L’Avant-Garde revient aujourd’hui sur l’épopée de cette grève historique.
« Douarnenez, c’est Germinal ! »
Douarnenez a, comme toutes les villes industrielles, connu un essor prodigieux durant la révolution industrielle. La ville ne compte que 2000 habitants en 1830 ; plus de 15 000 en 1905. Une quarantaine d’usines ouvrent leurs portes depuis 1850 dont 21 en 1924, une industrie colossale qui aujourd’hui encore anime Douarnenez.
Les femmes venues de la campagne travaillent en usine et les hommes à la pêche, tout y passe, sardine, thon, maquereau, sprat… Dès 12-13 ans, voire 10 pour les familles les plus pauvres, elles deviennent “filles de friture”. Elles traitent jour et nuit les tonnes de sardines, les font frire, et les mettent en boîte. Lorsque les bateaux tardent à arriver, les heures passées à attendre les déchargements de sardines dans l’usine ne sont pas payées. Elles ne sont pas mieux majorées le soir, mais enchaînent souvent 10h de travail à la chaîne. Certaines font 80h de labeur en 5 jours, ou alors sont appelées au besoin tard le soir, pour se rendre aux postes de fritures. Quand le poisson est là, il faut le travailler.
Le salaire, lui, est de 80 centimes. En 1905, les femmes s’étaient déjà battues et avaient obtenu des suites d’une grève que le travail soit payé à l’heure et non au 1000 sardines.
Comme le dit Charles Tillon : « Douarnenez, c’est Germinal ! » Une note du préfet du Finistère en dit long sur les conditions de vie des ouvriers. « Les marin pêcheurs et ouvriers se nourrissent en hiver de pain, de pommes de terre et de poisson salé. Le pain compose 60 % de la nourriture des familles pauvres qui ne peuvent équilibrer leur budget qu’en diminuant la ration de pain ».
« Vingt sous ce s’ra ! »
Dès le 21 novembre, devant la conserverie Carnaud qui produit essentiellement des boîtes de conserves pour l’industrie de la ville, la grève débute. Les sardinières demandent une augmentation de 20 centimes de l’heure pour les femmes et les hommes. Une revendication refusée catégoriquement par le patron. Elles scandent « Vingt sous ce s’ra ! » (Pemp real a vo !), la grève s’étend à 20 usines qui sont à l’arrêt total le 23 novembre. Le 25, toute l’industrie est prise par la grève.
Un comité de grève se forme. 11 grévistes et 4 représentants de la CGTU y participent. Parmi eux, Lucie Colliard, membre de la commission féminine de la CGTU et suppléante du Comité Central du PCF, Charles Tillon, qui sera élu au bureau permanent de la CGTU en 1931, Marie Le Bosc déléguée syndicale des sardinières aux manufactures de tabac de Nantes, en tournée dans le Finistère. À leur appel le 7 novembre, plusieurs syndicats sont formés à Douarnenez.
« La Bataille de Douarnenez »
Depuis 1921, les ouvriers peuvent compter sur le soutien de la mairie communiste et de leur maire Daniel Le Flanchec, secrétaire fédéral du parti communiste au Finistère. Personnalité locale, borgne et bon orateur, il se distingue parmi tous. Ils vont alors organiser la grève, et la faire connaître nationalement.
Le 26, le juge de paix convoque les deux parties à se concilier lors d’une réunion, le patronat ne se déplace pas. « Aucune conciliation avec les communistes ! » Le même jour, une plainte est déposée contre Le Flanchec pour « ébauchage par la violence, atteinte à la liberté du travail, violation de domicile et de propriété privée, et menace ». Les choses sont claires : le patronat ne négocie pas avec les communistes. Le préfet en appel au président du conseil, les messages du ministère de l’Intérieur sont de « suivre et surveiller de façon constante le mouvement ouvrier de Douarnenez ».
Durant 46 jours, le comité de grève organise la vie de ces 7 000 femmes et hommes en grèves : nourriture, logement, caisse de grève, tout y passe. La vie s’organise. Les marins vont pêcher en mer et nourrir la population. Dès le premier jour, cette soupe du comité de grève est servie à 413 grévistes. Chaque jour est rythmé par une manifestation.
Le 4 décembre, un camion tente de déposer des stocks de conserves à la vieille gare au bout du pont surplombant le port Rhu. Sur ce pont, 200 grévistes, dont Le Flanchec se dressent face au camion. Les gendarmes chargent les manifestants. Le 5, Flanchec est suspendu de ses activités de maire. Daniel Renoult, Journaliste à l’Humanité, inscrit la grève de sardinières en première page et titre « La Bataille de Douarnenez ».