La mobilisation étudiante rennaise semble arriver tardivement. Elle est pourtant devenue en quelques semaines l’une des plus incontournables du mouvement étudiant d’opposition à la loi ORE (orientation et réussite des étudiants).
Avec l’université Rennes 2 entièrement bloquée et occupée, et les plus grosses Assemblées générales de France ; l’université Rennes 1 connaissant une forte mobilisation de ses étudiant·e·s malgré un profil moins enclin à la mobilisation, ainsi que Sciences Po Rennes (IEP de Rennes) occupé depuis le 17 avril. Il s’en est pourtant fallu de peu pour voir cette ville universitaire se réveiller et compter dans les sites nationaux de mobilisation.
Une mobilisation minoritaire à Rennes 2 depuis novembre
« La fronde des étudiants contre la loi modifiant l’accès à l’université, ne faiblit pas. Au total, près de 15 campus sont perturbés à travers le pays, mais pas l’Université de Rennes II, d’habitude si prompte à se mobiliser. »
S. Salliou, France 3 Bretagne, 05/04/2018
Depuis plusieurs semaines, beaucoup de médias locaux ne cessaient de montrer leur étonnement sur l’absence de mobilisation de Rennes 2 contre le « Plan Etudiants », fac pourtant traditionnellement très mobilisée, comme ce fut le cas lors du CPE en 2006, ou encore dans la lutte contre la loi travail en 2016. Pourtant, la mobilisation tente de prendre depuis la fin du premier semestre à Rennes 2, organisant des Assemblées générales (AG) sur la question du « Plan Etudiants » depuis le 15 octobre, faisant suite à un cycle d’AG et de manifestations de rentrée sur la loi travail XXL.
Le monde militant de Rennes 2 a considérablement évolué depuis la lutte contre la loi travail en 2016. Les Jeunes communistes sont en perte de vitesse sur l’université, mais renforcés sur les lycées. Côté syndical, Solidaires étudiant·e·s s’est considérablement renforcé, l’UNEF quant à elle se recréée autour d’une petite équipe.
Enfin, les groupes autonomes grandissent et se renforcent dans la mobilisation. Cette évolution du milieu n’a pas été sans impact sur les pratiques de mobilisation menées au premier semestre, limitant en grande partie la massification du mouvement : D’un côté une force de frappe militante réduite concernant l’organisation des diffusions de tracts, interventions en amphi, affichage, etc. Et d’un autre une certaine tendance à se reposer sur une AG et un comité de mobilisation immobiles, et sacralisés dans un premier temps par Solidaires étudiant·e·s, pourtant première force de frappe militante de Rennes 2, les reconnaissant comme seuls cadres d’organisation valables.
On a donc vu deux limites à la massification du mouvement, se produisant pourtant dans beaucoup d’autres universités. Premièrement, le manque d’organisation dans l’information faite aux autres étudiant·e·s ; et deuxièmement, un certain nombre de pratiques n’encourageant pas l’investissement des étudiant·e·s peu politisé·e·s dans les manifestations.
Ainsi, dès les premières manifestations, réunissant environ 200 personnes, c’est quasiment la moitié du cortège qui s’afficha entièrement masqué, de même que dans les blocages, pratique non comprise par une large partie des masses estudiantines, ne se faisant même pas dans le cadre d’actions dangereuses ou illégales. De même, c’est dès les premières manifestations que les slogans contre la sélection et le Plan étudiants furent remplacés par des slogans contre l’Etat et la police, rendant perplexes les quelques étudiant·e·s peu politisé·e·s participant pour certain·e·s à leur première manifestation.
Tout au long du premier semestre et au début du second semestre, les AG n’ont donc plafonnée qu’à 300 ou 400 personnes environ, finissant parfois à moins d’une centaine d’étudiant·e·s. Ainsi, pendant cinq mois, la mobilisation s’est concentrée sur un noyau dur de militant·e·s d’une centaine de personnes, organisant les blocages des journées de mobilisation, ainsi que la perturbation des CFVU (Commission formation et vie universitaire de la fac), empêchant ainsi à plusieurs reprises le vote des attendus mettant en place la sélection à l’entrée de l’Université.
Lors de la manifestation du 22 mars, le cortège de Rennes 2 est si petit (200 personnes maximum), qu’il est empêché par la police de rejoindre le cortège syndical dans le centre-ville : le rapport de force est alors au plus bas. Rennes 1, habituellement peu mobilisée, est alors plus nombreuse dans la rue, comptant sur la mobilisation de l’IEP de Rennes, ainsi que de l’IUT carrière sociale de Beaulieu notamment. Il faudra attendre le détournement de la manifestation intersyndicale par deux militants de l’UNEF et un membre de Solidaires étudiant·e·s sortis de la nasse, puis la casse de celle-ci, pour permettre au cortège de Rennes 2 de défiler de nouveau.
Du bilan critique à la « stratégie du choc »
Une AG se réunie le 5 avril, réunissant 150 personnes. Les étudiant·e·s présent·e·s ne peuvent alors que constater l’échec de la stratégie mise en place. Les erreurs sont nombreuses, notamment dans l’information faite aux autres étudiant·e·s et le manque d’échange avec les enseignant·e·s et personnels. Jusque-là, la mobilisation se résumait donc à un noyau dur, des AG minoritaires, ainsi que de petits cortèges, et des blocages hebdomadaires le jeudi. La routine était telle que certains BDE organisaient leurs soirées le mercredi soir, sachant la fac fermée le lendemain.
Il s’agit alors de l’AG de la dernière chance, et la stratégie devait être revue, la période des vacances et des partiels se rapprochant. Un accord officieux tombe alors sur le vote d’un blocage reconductible la semaine suivante et la convocation d’une AG dans la foulée. Celle-ci se devra d’être massive, la question de la reconduction du blocage y étant mise en avant. Elle devra être un grand lieu de débat et d’argumentation pour convaincre de la nécessité de lutter et de s’organiser. Cette stratégie de la dernière chance, évoquée comme « stratégie du choc », sera votée par 28 personnes dans une AG réunissant désormais moins de 50 personnes, au plus bas depuis des mois. Le but était de redonner du sens aux Assemblée générales, de redonner une certaine culture de l’AG à une large partie des étudiant·e·s, et d’en faire un véritable temps d’information, quel que soit l’issue du vote sur la reconduction ou non du blocage.
La présidence de l’université, consciente que le blocage a été voté pour plusieurs jours et pourrait être reconduit par la volonté d’une poignée de militant·e·s, décide alors de parier sur un déblocage en appelant l’ensemble des étudiant·e·s à participer à cette AG. Le pari se joue donc des deux côtés et la finalité du vote sera uniquement le fruit de la tenue des débats.
« Ouverte à l’ensemble des étudiant·e·s de Rennes 2, [l’AG] est le lieu d’expression de la communauté étudiante et débattra de la poursuite ou non du blocage »
Mail d’Olivier David, président de l’université Rennes 2, 09/04/2018.
L’AG du 10 avril, point de rupture de la massification
Suite au mail de la présidence, c’est 2549 personnes qui viendront à l’AG du 10 avril, faisant ainsi passer celle-ci d’une AG de 50 personnes, à la plus grande AG de la mobilisation étudiante en cinq jours. Suite aux interventions et au débat construit, avec les différents groupes militants interagissant et parlant des aspects de la loi sous différents angles, c’est 1611 personnes qui voteront le blocage et l’occupation de l’université, pour 880 contres. Au cours des cinq heures d’AG et de débat, le nombre de personnes convaincues par le blocage n’a cessé de grandir. La préparation des interventions en amont et la relative bonne entente et coordination de l’ensemble des groupes militants de Rennes 2 a été un véritable point décisif de cette rupture.
Cette Assemblée générale a permis non seulement d’informer et de débattre sur la loi ORE, mais aussi de faire le lien avec les autres secteurs d’activité en lutte. Ainsi, plusieurs interventions se sont succédées concernant les grèves à la SNCF, dans les EHPAD, ou encore à la poste, révélatrices d’un problème global dans la libéralisation des services publics. Il s’agissait aussi de s’informer sur la répression de la mobilisation étudiante subie dans plusieurs villes soit par la police, soit par un certain nombre de groupuscules fascistes.
Suite à cette AG, le noyau militant de la mobilisation a considérablement augmenté. L’organisation du campus se mettant en place, ainsi qu’une université populaire dédiée à l’animation politique de celui-ci autours de conférences et cours alternatifs, plusieurs centaines de personnes sont présentes en journée et une centaine la nuit.
L’AG suivante, convoquée le lundi 16 avril, réunie deux fois plus de personnes que la précédente, 5000 selon la tribune, 6000 selon les personnels de sécurité de l’université présents sur place. Celle-ci vote la reconduction du blocage à une écrasante majorité, environ 4/5ème, ne nécessitant pas de comptage individuel, et n’étant pas contestée par les étudiant·e·s anti-blocages. La proportion de cette Assemblée générale semble historique, un enseignant travaillant à Rennes 2 depuis 1991 dit lui-même à la tribune qu’il n’a jamais vu ça de sa carrière, bien que les AG du CPE aient plafonnées à 7000 membres selon les sources de l’époque (UNEF, SUD étudiants).
La même semaine, l’intersyndicale des personnels de Rennes 2 a décidée de la création d’un comité de mobilisation des personnels (SNESup-FSU, SNEP-FSU, FERCSup-CGT, SNPREES-FO, SUD-Education, et non syndiqué·e·s.) afin de soutenir les revendications étudiantes. Celui-ci organise une Assemblée générale commune (Personnels et étudiant·e·s), réunissant le 19 avril environ 500 personnes. Le départ en manifestation suivant l’AG réuni près de 2000 personnes au départ de Rennes 2 : du jamais vu depuis le CPE.
La prochaine AG s’annonce elle aussi impressionnante, elle se réunira la veille de la journée internationale des travailleurs/ses, le 30 avril. Il s’agit aussi du premier jour de la semaine de partiels, ceux-ci étant donc déjà reportés.