C’est dans les tribunes du stade Bauer, qu’une chanson résonne « Nous sommes les Red Star fans, on vient de la banlieue rouge, et la Rino s’enflamme, toujours pour l’ Étoile rouge ». À Saint-Ouen, le nom de Rino Della Negra ne s’est jamais effacé. Mis en lumière en tant qu’attaquant prometteur du Red Star, il fut aussi dans l’ombre un combattant engagé dans la Résistance au sein des FTP-MOI dans le groupe de Missak Manouchian.
Fusillé à 20 ans par les nazis, il laisse derrière lui bien plus qu’une carrière brisée : une mémoire qui, encore aujourd’hui, court sur la pelouse et dans les rues de la ville.
De la pelouse aux armes
Rino Della Negra est né en 1923 en France dans le Pas-de-Calais. Sa famille déménagea à ses 3 ans à Argenteuil, où il a grandi au cœur d’un quartier ouvrier surnommé « Mazzagrande ». Fort de l’héritage de sa famille issue de l’immigration italien, Rino sera bercé, comme beaucoup d’enfants du prolétariat, par les idéaux antifascistes.
Passionné de football, il brille sous les couleurs du FC Argenteuillais avant d’intégrer l’équipe de l’usine Chausson, où il travaille comme apprenti. Son talent de buteur ne passe pas inaperçu : en 1942, il rejoint le Red Star Olympique, un club à l’histoire marquée par les luttes sociales.
Mais cette même année, son destin bascule. Refusant de partir en Allemagne pour le Service du Travail Obligatoire (STO), il choisit la clandestinité et s’engage dans la Résistance. Intégré au « 3ᵉ détachement italien » des FTP-MOI, il participe à des actions armées contre l’occupant nazi.
À 19 ans, Rino Della Negra mène une vie en équilibre entre deux mondes que tout oppose. Le jour, il enfile le maillot du Red Star, s’entraîne, joue des matchs sous les projecteurs du stade Bauer, rêve de buts et de victoires. Le soir, il rejoint, arme au poing, ses camarades, prêt à agir face à l’occupant nazi avec ses compagnons de la Résistance.
Les matchs du week-end et les séances d’entraînement ne sont qu’une façade. Ses coéquipiers le connaissent comme un ailier rapide et discret, un attaquant talentueux qui s’entraîne dur et joue avec passion. Ils ignorent presque tous que sa véritable bataille se joue ailleurs : embuscades, sabotages, exécutions ciblées contre des officiers allemands et des collaborateurs. Il apprend à manier les armes aussi bien que le ballon, à courir aussi vite pour échapper aux rafles que pour déborder un défenseur sur le terrain. Il vit avec l’adrénaline d’un attaquant, mais aussi avec la peur, celle d’être dénoncé, d’être pris, d’être exécuté.
Jusqu’à ce jour de novembre 1943 où la chance tourne. Lors d’une attaque contre des convoyeurs de fonds allemands à Paris, une fusillade éclate. Rino est touché, capturé et transféré à l’hôpital avant d’être livré aux nazis. Jugé en même temps que Missak Manouchian et ses compagnons d’armes, il est condamné à mort à seulement 20 ans.
Un héritage vivant au Red Star et au-delà
Si son nom est inscrit sur l’Affiche rouge, la mémoire de Rino Della Negra ne se limite pas aux archives de la Résistance. En 2004, une plaque lui est dédiée sur les murs du stade Bauer, où une tribune porte son nom. Chaque année, supporters et citoyens se rassemblent pour lui rendre hommage, prouvant que son engagement ne s’est pas perdu avec le temps.
Son histoire est un symbole puissant : celui d’un football populaire, ancré dans la lutte sociale et antifasciste. Au-delà des terrains, son parcours rappelle que le sport et la Résistance marchèrent souvent ensemble, portés par les mêmes valeurs de solidarité et de courage. Rino Della Negra, l’ailier et le combattant, ne marquera peut-être plus de buts, mais son étoile, rouge et résistante, brillera toujours.
Dans sa cellule, en écrivant sa dernière lettre, il pense à sa famille, à ses frères d’armes, mais aussi à ses coéquipiers. « Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star », écrit-il à son frère. Comme si, jusqu’au bout, il voulait rappeler qu’il était resté ce jeune footballeur, amoureux du jeu et de la liberté.