TÉMOIGNAGES – COMMENT LES ROUBAISIEN.NE.S VIVENT LA CRISE ?

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TÉMOIGNAGES – COMMENT LES ROUBAISIEN.NE.S VIVENT LA CRISE ?

Avant-Garde ouvre ses pages au journal des jeunes communistes du Nord, L’Offensive. Cette semaine, les témoignages poignants de roubaisien.ne.s impactés par la crise.

La crise de la Covid-19 aura impacté, depuis près d’un an, notre mode de vie dans la totalité de ses domaines. Entre confinement stricte, reconfinement soft, couvre-feu…  La situation que nous vivons est inédite. Les mesures prises à la hâtes, en ce qui concerne la jeunesse tout particulièrement, demandent aux personnels de l’éducation, aux éducateurs, mais aussi directement aux jeunes, une adaptation constante pour travailler et échanger. 

Nous, les jeunes communistes de Roubaix, sommes allé.e.s aux contacts des roubaisiens et roubaisiennes qui vivent cette situation en première ligne et dont la voix est trop peu entendue, pourtant si précieuse. 

A travers les témoignages de Laurence Roelens, enseignante, Mahdi Sakri, éducateur spécialisé, Jaïs, lycéen et Ilyes Magri, salarié de la Mission locale, nous avons voulu dévoiler dans cet article l’impact qu’a eu la crise sur les roubaisiens et roubaisiennes. 

Si les étudiant.e.s en Université sont pour une grande majorité en distanciel, les étudiant.e.s en BTS ainsi que les lycéen.e.s ont repris le chemin de leur établissement depuis la rentrée. dernière. À partir d’octobre, à l’annonce du second « confinement », de nouveaux protocoles ont dû être mis en place rapidement. Laurence Roelens, enseignante à Jean Rostand, explique la difficulté des élèves et des professeurs à tenir le cap malgré ces changements permanents. 

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« Il a fallu constamment s’adapter, notamment quand on a des classes chargées. »

LAURENCE ROELENS

Enseignante en lycée et en BTS à Jean Rostand

« Dans un premier temps ça a eu un impact dans la mesure où, notamment pour les élèves, il a fallu se remettre au travail, reprendre les habitudes, remettre un cadre, renouer avec l’école tout simplement. Ça a demandé un travail mais j’ai trouvé que les élèves étaient assez réactifs et avaient véritablement envie de retrouver l’école, les autres.

Dans un second temps, l’accumulation des différents protocoles dans les établissements scolaires a impacté notre façon de travailler : il a fallu constamment s’adapter, notamment quand on a des classes chargées. La volonté, par rapport aux élèves qu’on a à Jean Rostand, c’était de ne pas avoir de distanciel parce que d’abord les élèves n’en ont pas envie et parce que l’on sait très bien que c’est difficile, que toutes les familles ne disposent pas d’ordinateur ou de connexion pour chaque enfant, donc ça creuse la fracture numérique.

La solution, pour les lycéen.ne.s en tout cas, a été de diviser la classe en deux, et de faire en sorte qu’il y ait un groupe en autonomie. De mon point de vue, ça m’a demandé énormément de travail, parce que laisser 2h des élèves de 16 ans, ça nécessitait vraiment de varier les activités pour qu’il n’y ait pas de décrochage. On essaye de leur montrer que ce travail en autonomie a du sens parce qu’ils sont encore à un âge où le sens qu’on met dans l’école n’est pas toujours évident L’idée c’était vraiment de les amener à prendre conscience que ce travail qui a été fait au lycée sera utile à court terme, pour le BAC et à long terme, à redonner un sens à ce qu’ils font. 

J’ai vu une angoisse de la part des élèves d’être reconfinés, d’être de nouveau livrés à eux-mêmes et de ne pas savoir comment ce serait organisé s’il y avait un reconfienement. S’il y en a un, il est indispensable, vital, que les élèves, les étudiant.e.s, les enseignant.e.s, sachent dans quelles conditions et comment seront organisés les cours.

Il y a aussi un impact psychologique dans le sens où il y a un vrai questionnement de la part des élèves sur la valeur du diplôme qu’ils vont obtenir, chez les lycéen.e.s et les étudiant.e.s, ce qui est à mon avis une fausse question et sur laquelle nous enseignant.e.s nous devons absolument rassurer les élèves. On en est tous au même point, dans toutes les écoles de France. Bien sûr, il y a des parties du programme qui ne sont pas faites mais ce ne sont que des connaissances, les connaissances peuvent s’acquérir après, par contre les compétences tant qu’elles sont développées ça permet de s’en sortir. Il n’y a pas de dévalorisation du diplôme à déplorer à mon sens et ça c’est vraiment un message important pour les jeunes.

D’un point de vue général, ce n’est pas le cas uniquement à Roubaix, le protocole mis en place est très variable selon les établissements et nécessairement ça pose la question de l’équité par rapport aux examens. Tous les élèves de France, qu’ils soient lycéen.e.s ou étudiant.e.s, n’ont pas les mêmes conditions de préparation aux examens. 

Dire qu’il y a plus de décrochage à cause de la crise je n’en suis pas certaine, en tout cas à mon niveau. Je pense que les élèves ne décrochent pas plus en raison de la crise. Ils décrochent pour d’autres raisons. Globalement, ils sont très présents et ont envie de revenir dans une société, dans un collectif. 

Pour les enseignant.e.s c’est comme tout le monde, la période est difficile parce qu’il n’y a pas de perspectives, parce qu’on se pose des questions, on se demande quand ça reviendra à la normale. Mais en même temps, on peut se dire que c’est peut-être le moment pour qu’il y ait un nouveau monde qui naisse. »

Si, selon Laurence Roelens, les jeunes n’ont pas particulièrement décrochés à cause de la crise, leur situation est  rarement évoquée. Nous sommes donc allé.e.s à la rencontre de Mahdi Sakri, éducateur spécialisé à l’AEP. Il nous en dit plus sur les difficultés matérielles et sociales rencontrées par ces jeunes et leurs familles. 

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« On savait qu’il y avait ces soucis là, mais ils se sont révélés au grand jour. »

MAHDI SAKRI

Educateur Spécialisé et Coordinateur du dispositif SACE (Service d’accueil des collégiens exclus)

À l’AEP (Association d’Éducation et de Prévention)

«On ressent bien que la crise du Covid a mis en lumière certaines difficultés qui étaient plus ou moins isolées, ou internes aux cellules familiales : la fracture numérique et les problèmes de moyens au niveau des outils informatiques ou de l’apprentissage, ne serait-ce que la maîtrise de Pronote. Il y a une certaine précarité qui s’est révélée davantage et pour d’autres, on voit que la fermeture des activités extra-scolaires, cette absence des clubs de sports, à des dommages collatéraux sur le bien-être des jeunes. Aujourd’hui, par rapport au service que j’encadre, où l’on accueille des collégiens exclus, on sent bien, ne serait-ce que sur les raisons d’exclusion, ou dans leurs propos, qu’il y a un manque à ce niveau-là et que le mal être pèse sur les jeunes ce qui peut expliquer certaines exclusions. 

On s’appuie sur les besoins que l’on observe auprès des familles ou des jeunes qu’on accompagne. Au niveau de mes collègues, je sais qu’il y a une forte demande de colis alimentaires, de demande d’explications pour remplir des papiers administratifs notamment numériques. Il y a un réel apprentissage de l’utilisation des outils numériques qui doit se faire auprès des familles et auprès des jeunes. Il y a eu énormément de demandes sur ces choses-là. 

Il y a, pour certains, un sentiment d’exclusion qui s’amplifie. Un sentiment de mal être, et aussi d’abandon. Les jeunes le verbalisent, nous parlent de cette difficulté de vivre à l’intérieur de chez soi au vu des conditions qu’ils avaient. Vivre dans des appartements de 20m2 à plusieurs, c’est difficile. 

Cette crise a révélé ces choses mais on le savait, même au niveau des médias, on savait qu’il y avait ces soucis-là mais ils se sont révélés au grand jour et pour certains ça s’est accentué. Donc finalement un problème qu’on pouvait, peut-être, essayer de gérer s’est accentué. On reconnaît que la situation s’est dégradée. »

Nous avons, alors, interrogé Jaïs, lycéen, pour lui demander comment lui et ses camarades de classe, vivent la crise. 

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« J’ai un prof qui ne nous a pas donné de nouvelles pendant 2 ou 3 mois parce qu’on l’avait en distanciel. »

JAÏS 

Lycéen en Seconde à Van Der Mersch

« Quelques mois après la rentrée on a été séparé en plusieurs groupes et on a reçu des nouveaux emplois du temps. Ces emplois du temps ont été faits pour qu’on se croise le moins possible. On a aussi moins d’heures de cours, on est en classe entière seulement en cours d’EPS et en cours forcément on garde le masque toute la journée. On doit aussi se placer très spécialement pendant les cours c’est à dire qu’on se place un peu comme sur un damier : on doit être à côté de personne, devant personne et derrière personne. Tout ça depuis le mois d’octobre. On est majoritairement en présentiel mais on a un ou deux cours en distanciel mais je pense que ça sert à rien. J’ai l’impression que personne ne les suit et que même les profs ne nous donnent pas le travail qu’on devrait faire. J’ai un prof qui ne nous a pas donné de nouvelles pendant 2 ou 3 mois parce qu’on l’avait en distanciel.

Depuis qu’on est en demi-groupe, les cours sont plus calmes et le prof peut se concentrer sur certains élèves puisqu’on est moins. C’est plus motivant pour travailler mais du coup, on ne voit plus l’autre moitié de la classe. C’est un peu embêtant parce qu’on avait des amis et tout ça, mais c’est aussi intéressant parce qu’il y aura toujours un groupe en avance sur l’autre, du coup, on peut se prévenir sur quoi réviser et sur quoi porteront les prochains cours.

Je pense que pour l’instant on ne s’inquiète pas beaucoup pour notre avenir parce que, comme je l’ai dit, on est majoritairement en présentiel et je n’ai pas l’impression que ça nous cause plus de problèmes que ça. Je pense que ça impacte plus les étudiants qui eux sont en distanciel. 

Je pense que la crise sanitaire a eu un impact sur la vie sociale de toutes les personnes de mon âge. C’est devenu beaucoup plus difficile de sortir, on doit rentrer avant 18h maintenant, pour le couvre-feu, du coup on doit sortir plus tôt. Il y a beaucoup d’endroits fermés, les cinémas, les restaurants… On doit garder un masque toute la journée selon là où on traîne. Alors, ça ne me choque pas de voir des soirées organisées en cachette, illégalement ou de voir des gens qui ne respectent plus le couvre-feu. Moi-même je ne respecte plus le couvre-feu.

C’est aussi très compliqué pour les sportifs. J’avais repris la boxe en septembre et ma salle a fermé plusieurs fois depuis et elle est fermée actuellement. Normalement, elle devait fermer 15 jours mais ça fait bientôt 1 mois et demi qu’on n’a plus de nouvelles. J’ai aussi beaucoup d’amis qui faisaient du foot, donc en extérieur, mais qui ne peuvent plus en faire du tout. »

La pratique du sport est interdite depuis janvier pour les mineurs et les majeurs. Les écoles et structures de formation, hors université, sont parmi les seuls établissements à pouvoir encore proposer des séances de sport. C’est une mesure que déplore Ilyes Magri, puisqu’elle remet complètement en question son travail. Il accompagne des jeunes déscolarisés entre 16 et 25 ans dans leur vie professionnelle, via la pratique du sport. Face à l’impossibilité de mener ses ateliers, il organise la solidarité à Roubaix. 

« Chez les jeunes, je pense que l’impact de la crise est surtout d’ordre social et psychologique. »
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ILYES MAGRI 

Coach d’insertion par le sport à la Mission Locale de Roubaix et à l’APELS (Agence pour l’éducation par le sport)

Président de l’association sportive Roubaizilian

« Mon travail est vraiment remis en question. Pour le coup, la Mission locale ne peut plus proposer de séances de sport. Je ne peux les faire qu’en extérieur et à Roubaix ce n’est pas idéal. Du coup, j’essaye de trouver des alternatives. À l’association c’est un peu la même chose, il n’y pas de séances de sport. Les créneaux sportifs, la capoeira, prenaient bien, on était en train d’ouvrir le yoga et à chaque fois on avait 70 adhérents environ, des enfants, des adultes… Et ça s’est coupé d’un coup. C’est pour ça qu’on essaye de maintenir le lien social à travers des projets solidaires tels que les maraudes, les clean-up etc. À la base, on avait un créneau « projet » à l’association qui était le jeudi de 18h à 20h. Ce n’est plus possible avec le couvre-feu. Donc maintenant on le fait le samedi de 11h à 13h et là on parle peut-être d’un confinement le week-end (rire). Je fais que m’adapter, c’est hyper-compliqué.

Chez les jeunes, je pense que l’impact de la crise est surtout d’ordre social et psychologique. Il y a des gens, moi le premier, qui pètent les plombs. Rentrer chez soi à 18h c’est relou. Je pense qu’il y a un ras le bol déjà parce que tout le monde a fait des efforts. Et ça casse du lien, on doit se dire bonjour de loin. C’est des choses qui sont en train de rentrer dans les mœurs et qui font vraiment du mal aux gens. Moi ça me fait du mal profondément. Je le remarque aussi chez les jeunes parce que c’est verbalisé, ils le disent qu’ils en peuvent plus. On essaye de faire des séances de sport à l’extérieur le plus souvent possible et j’ai remarqué qu’ils étaient beaucoup plus réceptifs. Dès qu’il y a un projet, plein de gens veulent y participer, pour les maraudes par exemple, alors qu’avant ce n’était pas forcément le cas. Comme les jeunes ont été privés de certaines choses, là ils ont envie de s’inscrire dans plein de projets différents, d’avoir un engagement citoyen. Ça a encore plus de sens aujourd’hui je trouve. Comme il y a plein de gens dans la merde, tu as d’autant plus envie d’être solidaire maintenant. La crise ça touche tout le monde. Il n’y a plus les étudiants d’un côté et les demandeurs d’emploi de l’autre, on est tous dans la même merde. 

Il y a de plus en plus de jeunes qui s’inscrivent à la mission locale dont certains qui s’inscrivent en étant scolarisés. C’est la première fois que je vois ça ! Les problèmes de chômage chez les jeunes se sont accentués par la crise et comme ils sont impactés par ça sans avoir de pouvoir là-dessus, je pense que beaucoup de jeunes essayent de se rattacher à un accompagnement qui peut être proposé par telle ou telle structure. C’est des appels au secours en vrai. En tout cas, sur le chômage et sur la construction d’un parcours ou d’un projet professionnel, c’est compliqué. 

Moi je le vis plutôt bien parce que j’ai l’association à côté, donc j’ai aussi un engagement où c’est moi qui crée les choses. J’aide à insuffler des projets, des envies chez des gens. Ce qui me fait tenir c’est qu’il y a des gens derrière qui attendent des choses. Et aussi parce que ma fonction de travailleur social au sein de la mission locale est différente des conseillers en insertion professionnelle. Je pense qu’eux doivent vraiment très mal le vivre. Les moyens ne sont pas forcément plus donnés malgré la crise. C’est des structures pas adaptées au public, pas adaptées au salariés et avec la crise on a des demandes qui affluent avec des objectifs à très court terme. C’est « non je veux maintenant, tout de suite » alors que tu as déjà plus de 100 bonhommes qui te disent « maintenant, tout de suite » donc tu as des gens qui pètent les plombs. Je pense qu’il n’y a pas assez de moyens financiers, il faudrait créer plus de postes aussi, et c’est cours. Je pense, mais c’est les idées que j’ai, qu’il faut faire table rase de tout ce qu’il y a dans l’agglomération et vraiment essayer de construire des vrais trucs tous ensemble, des structures d’insertion. On va arrêter de se jeter la balle et vraiment faire un truc commun. »

“Faire un truc en commun”.

Quand Macron nous parlait, dès le début de la crise, de la nécessité de construire le “Monde d’après”, les roubaisiens et roubaisiennes savent quel modèle ils souhaitent défendre. 

Sans les classes surchargées, le protocole sanitaire aurait plus rapidement été mis en place. 

Avec des moyens mis dans le sport et l’accompagnement des jeunes, nombre d’entre eux auraient mieux vécu la crise. 

Si le gouvernement prenait des mesures concertées et logiques, dans un sens purement sanitaire, la pandémie aurait été stoppée depuis longtemps. 

Ces témoignages ne sont que le reflet des échecs de la politique libérale et du gouvernement actuel qui la mène.

Preuve que ce n’est qu’ensemble, travailleurs et travailleuses, lycéens et étudiants, que nous construirons un modèle social et économique efficace, solidaire et responsable. 


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