Le télétravail a le vent en poupe. A la faveur du confinement 8 millions de salariés ont télétravaillé, soit 27% d’entre eux. Ils ne sont plus désormais que 15%.
Partout en Europe le recours au télétravail a progressé, particulièrement dans les pays du nord de l’Europe. On peut trouver différents chiffres montrant notamment un impact du télétravail bien supérieur en Angleterre. Cela peut s’expliquer par l’importance du secteur financier qui pèse 2 millions d’emplois outre-Manche contre 650.000 en France.
Un engouement à relativiser
Le télétravail ne concerne tout d’abord qu’une partie des salariés employés à des tâches improductives. Pour les travailleurs productifs, il s’agira non pas de télétravail mais de travail à domicile, ce qui suppose d’avoir les outils chez soi, de se fournir les matières premières et de réexpédier le produit transformé. Tous les emplois ne sont par conséquent pas « télétravaillable », même s’ils peuvent être fait à domicile.
Si 58% des cadres sondés pour l’étude de Robert Walters souhaitent continuer à télétravailler au moins un jour par semaine, ils ne sont que 16% à souhaiter télétravailler en permanence. Ces chiffres doivent aussi être pris en compte au regard de la durée sur laquelle ils portent. Il n’est pas certain que cet attrait pour le télétravail se maintienne après plusieurs mois en télétravail. Cette nouvelle relation au travail pourrait bien être grisante au début pour finalement s’estomper.
Car si l’on supprime certes les trajets travail-domicile qui ne cessent de s’allonger ainsi que certains déplacements intraprofessionnels, on perd les moments de socialisation comme les pauses, les repas, les verres après le travail, les réunions, etc. Les formes d’échanges qu’il entraîne peut aussi être facteur de tensions, un mail peut être plus facilement mal interprété qu’une conversation face à face. Les interactions sont non seulement réduites, mais en plus modifiés et sujettes à confusions.
En effet, le développement des visioconférences et échanges à distance lié au télétravail rend tout plus complexe et plus long. Ce qui peut se régler par un échange direct en face à face en quelques minutes peut prendre énormément de temps en distanciel.
Un risque pour la santé
Le télétravail, quoiqu’il représentait un intérêt sanitaire pendant la période de confinement, ne doit pas faire oublier les risques qu’il comporte pour la santé physique et mentale des travailleurs.
Le télétravail interroge notamment sur le sens du travail même et de son utilité. Le fait de n’être pas présent dans l’entreprise, d’être à distance de son équipe, en particulier lorsqu’on l’encadre, peut poser la question de son utilité.
Le télétravail peut également conduire à la dépression, à l’épuisement professionnel (burn out) ou à différents troubles tels que des troubles alimentaires ou du sommeil. Une étude de la DARES révèle que les télétravailleurs intensifs (2 jours ou plus dans la semaine) sont deux fois plus exposés que les autres salariés au risque dépressif sévère. En cause la perte de sens mais aussi l’isolement et la difficulté à remplir ses objectifs.
Sur l’état de santé physique, le bilan n’est pas meilleur. En effet, on observe, toujours grâce aux chiffres de la DARES, qu’en 2017 la moitié des télétravailleurs intensifs ont été arrêtés quand les autres travailleurs concernés par un arrêt maladie sont autour de 30% selon les catégories définies dans l’étude.
Le télétravail peut en effet provoquer des troubles musculo-squeulettiques (TMS), notamment lorsque l’on a pas de matériel adapté comme un siège de bureau. Mais l’on observe également des problèmes de dos ou des problèmes cardio-vasculaires.
L’enquête de la CGT montre que 97% des télétravaileurs n’ont pas eu d’équipements ergonomiques mis à disposition et que 33% des cadres déclarent avoir ressenti une anxiété inhabituelle. 40% de ces derniers ayant eu à assumer une charge de travail plus importante.
Un risque pour les libertés
Loin de la présentation idyllique qui voudrait faire du télétravail une organisation facilitant la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, qui offrirait un espace de liberté et d’autonomie, il existe au contraire de graves conséquences sur les libertés.
Le télétravail, c’est aussi la télésurveillance avec des moyens de contrôle développés par les entreprises. C’est le cas notamment avec les « keyloggers », des logiciels qui permettent d’enregistrer à distance toutes les actions accomplies sur un ordinateur. On peut citer Hubstaff qui prend des captures d’écran de manière aléatoire et géolocalise les appareils.
Nous pouvons même trouver des témoignages, comme celui d’une salariée dont l’employeur lui a demandé d’activer sa webcam et de partager son écran en permanence durant ses horaires de travail.
Ce faisant, le télétravail sert de prétexte à une surveillance accrue des salariés, ce qui n’est pas sans contribuer au stress de ces derniers. Au-delà, il s’agit d’une véritable violation de la vie privée qui est ainsi exposée en partie à l’employeur. Le télétravail abolissant en réalité la frontière entre vie privée et vie professionnelle plutôt que de permettre de mieux les concilier.
Les femmes encore plus durement touchées
Les femmes ont acquis une part croissante dans cette organisation du travail. Employées dans des professions intermédiaires et dans des petites entreprises qui se sont mises au télétravail durant le confinement, elles ont été plus touchées qu’elles ne l’étaient auparavant.
Leur ressenti sur le télétravail est plus négatif que celui des hommes. La différence est de 10 point d’après l’enquête de l’UGICT-CGT « le travail sous épidémie ».
Et pour cause ! Les femmes ont bien souvent encore une fois la double charge de leur propre travail et de la gestion du foyer, en particulier avec des enfants. La situation étant particulièrement complexe pendant le confinement avec l’école à distance.
Difficile dans ces conditions de pouvoir faire son travail. Une salariée de STMicroelectronics témoigne ne pouvoir travailler que deux heures dans la journée et de 21 heures à minuit une fois les enfants couchés. Des chercheuses britanniques ont également observé que pendant le confinement la part d’articles proposés par des femmes pour une revue scientifique était passée de 20 à 12%.
Une interrogation sur l’organisation des entreprises
Certaines entreprises jouent totalement la carte du télétravail. Chez l’assureur anglais Aviva on prévoit en septembre de n’avoir que 10% des 17.000 salariés en présentiel. L’assureur allemand Allianz prévoit quant à lui qu’au moins 40% de ses 150.000 salariés seront en télétravail.
La DRH du gestionnaire de fonds Schroders, Emma Holden, nous livre une clé de compréhension de ce phénomène : « en quelques mois, nous avons accompli vingt ans de progrès dans notre attitude vis-à-vis du travail flexible ». Ce qui séduit les directions, peut-être plus que les salariés, c’est la flexibilité offerte par le télétravail. Mais aussi quelques économies sans doutes…
Le télétravail contribue au rêve d’une frange de la bourgeoisie des entreprises sans usines. Traduisez : retour au XIXe siècle avec une masse de travailleurs propriétaires de leurs outils de travail qui sont à domicile. Ici, ce n’est plus un ouvrier tisseur qui va acheter la laine ou la soie pour la mettre sur son métier, mais un jeune cadre dynamique qui conclut des contrats d’assurance depuis son salon.
Dans ce modèle, les entreprises peuvent diminuer, voire supprimer, leurs locaux en fonction du nombre de télétravailleurs ou de travailleurs à domicile. Elle n’est plus qu’une boîte aux lettres, voire une boîte mail, par laquelle transite les contrats et les fiches de paye.
L’entreprise peut aussi se délester ainsi de certains coûts. Les loyers diminuent naturellement lorsque l’on peut supprimer des locaux, mais d’autres coûts assurés par l’entreprise passent à la charge du salarié.
C’est le cas des factures internet et de téléphone, que l’employeur est sensé (il faut insister sur le « sensé », 84% des télétravailleurs n’en ayant pas bénéficié durant le confinement d’après l’enquête CGT) prendre en charge pour la part liée au télétravail. Le salariés est alors dépendant des infrastructures, là où l’entreprise a généralement choisi son emplacement ou fait les investissements nécessaires. A cela s’ajoute l’électricité, le chauffage et l’eau. Quid du papier et de l’encre…
Les entreprises se déchargent de la gestion de leur personnel en renvoyant les travailleurs chez eux. Et comme le capitalisme n’est jamais à bout d’idées saugrenues, on voit se développer des espaces de coworking où les télétravailleurs qui n’en peuvent plus de travailleur chez eux – ou de vivre dans leur bureau – vont payer pour bénéficier d’un espace de travail collectif !
Cela a également un intérêt en terme d’exploitation de la force de travail. Une étude menée par Cog’X révèle que 44% des sondés déclarent travailler sur des plages horaires plus importantes, souvent pour compenser une baisse de productivité supposée, et 41% se déconnectent moins le soir et les week-end. Le temps de travail, gérable sur site, laisse place aux objectifs. C’est le retour du travail aux pièces.
Cela interroge enfin l’emploi. L’étude de la DARES précitée révèle que les télétravailleurs intensifs sont plus exposés au risque de perdre leur emploi, aux restructurations et aux plans de licenciement. D’une part ils sont des salariés plus « flexibles » ou « agiles ». D’autre part, ce qu’un travailleur français fait à domicile, un autre travailleur à l’autre bout du monde ou du marché commun européen peut le faire pour bien moins cher. L’OFCE évalue ainsi à 32% les emplois français télétravaillables susceptibles de délocalisation, soit 8,4 millions de salariés.
L’aspiration au télétravail et la quête de plus de liberté et d’autonomie est pourtant réelle chez les travailleurs. Mais celle-ci ne saurait se réaliser dans le cadre d’un télétravail organisé aux fins d’accroître les profits des grandes sociétés et sans un encadrement très strict d’une telle pratique qui isole les travailleurs quand les sociétés humaines se fondent sur la base du travail social.