SOS homophobie a rendu ce lundi 18 mai son rapport annuel sur son activité de l’année passée. La publication de ce rapport fait le point sur l’activité de l’association et revient sur les témoignages de LGBTIphobies recueillis entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019. Cette publication est réalisée chaque année depuis 20 ans, il ne s’agit pas d’un recensement exhaustif des LGBTIphobies ayant eu lieu en France pendant l’année écoulée dans la mesure où le rapport se fonde sur des témoignages et non sur une tentative de recensement ou une enquête de victimologie.
En 2019, SOS homophobie a recueilli 2 396 témoignages, soit une augmentation de 26 % par rapport aux données de 2018 où l’association avait enregistré 1 905 témoignages. Il s’agit là de la quatrième année consécutive de hausse des actes LGBTIphobes. L’année 2019 enregistre les deuxièmes chiffres les plus élevés depuis la création de l’association, les premiers étant ceux pour l’année 2013. Les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur sont eux aussi alarmants avec une augmentation de 36 % du nombre de victimes de LGBTIphobies par rapport à 2018 avec 1870 plaintes déposées.
Dans son rapport, SOS homophobie relève particulièrement les agressions à l’encontre des lesbiennes et des personnes transgenres.
Des situations quotidiennes de lesbophobie
Les lesbiennes en tant que femmes et homosexuelles subissent à la fois le sexisme, l’homophobie, mais également des stéréotypes très spécifiques aux lesbiennes, dans une société où l’hétérosexualité est la norme. Les agressions s’expriment par des propos haineux et violents et peuvent se manifester par l’emploi de violence physique.
Sans qu’elles s’expriment sur leur orientation sexuelle, les femmes subissent les stéréotypes qui font la part belle aux manifestations lesbophobes. Une femme aux cheveux courts va être perçue comme un garçon manqué, des remarques comme « les filles aux cheveux courts sont toutes des lesbiennes » sont des expressions qui tendent à catégoriser un « comportement lesbien ». Ces stéréotypes tendent à enfermer nombre de femmes dans des comportements attendus, et à en exclure d’autres, participant à l’invisibilisation des lesbiennes dans la société.
La lesbophobie est présente au quotidien et se manifeste dans n’importe quelle sphère de la société : à l’école, dans la famille, au travail, au sein du voisinage, et dans le cercle amical ; les « sales gouines, sales putes, vous êtes des déchets de la société, gouinasses de merde » sont monnaie courante. Sur les réseaux sociaux, les insultes pleuvent, et des femmes sont par ailleurs menacées de viol.
Le droit de constituer une famille pour les lesbiennes est particulièrement remis en cause. Elles sont perçues comme étant de mauvaise mère, on leur reproche de priver les enfants de leur père et de fabriquer ainsi des orphelins. Le modèle traditionnel « un papa, une maman » est érigé en modèle universel et immuable. Elles sont les premières victimes des mouvements réactionnaires contre l’égalité des droits pour les personnes LGBTI, insultes, rejets, place dans l’espace public à l’affichage réactionnaire des anti-PMA, « Je suis écœurée de devoir passer avec mon fils de 4 ans devant ces affiches », témoignent l’une de ces femmes. Les enfants de ces familles subissent le poids de la stigmatisation d’avoir deux parents du même genre par leur camarade d’école, ils peuvent subir le rejet de ces derniers, mais également celui de leur famille qui ne désirent pas de contact entre leurs enfants et l’enfant d’une famille homosexuelle.
Une visibilité réprimée pour les lesbiennes dans l’espace public
De manière générale les espaces domestiques et publics sont tendance à être le théâtre des agressions à l’encontre de l’ensemble des femmes, comme en témoignent notamment les chiffres sur le harcèlement de rue et sur les violences intrafamiliales.
SOS homophobie a enregistré 300 cas spécifiquement lesbophobes en 2019, 19 % des violences subies ont lieu dans l’espace public et près de 16 % dans la sphère familiale. Les lesbiennes subissent davantage d’agressions dans ces espaces que les hommes homosexuels ou les personnes transgenres.
Si les lesbiennes subissent une certaine invisibilisation dans la société, de par notamment les stéréotypes à leur encontre, mais également par le fait que leur sexualité est bien souvent niée, c’est quand elles sont visibles dans l’espace public qu’elles sont d’autant plus victimes d’agressions. Les femmes lesbiennes et bisexuelles sont en effet particulièrement exposées à subir des violences quand elles sont en couple avec une femme, 58 % des agressions lesbophobes dans l’espace public visent ainsi les femmes et leur compagne. À titre de comparaison 22 % des agressions dans l’espace public à l’encontre des gays ont lieu quand ils sont en présence de leur conjoint. Les gestes les plus anodins pour les couples comme se tenir la main, se serrer dans les bras ou s’embrasser exposent ces femmes à des agressions lesbophobes. Comme en témoigne une partie des témoignages recueillis, les agressions lesbophobes sont sujettes à l’expression de la culture du viol « Tu verras je vais te faire changer de bord et aimer ma grosse bite veineuse ».
D’autres témoignages remontent les attitudes de passants à l’encontre des femmes lorsqu’elles rendent visible leur couple : crachats, insultes, photographie prisent à leur encontre, harcèlement, agressions physiques. Des hommes imposent à des femmes l’expression de leur fantasme de la sexualité des couples lesbiens, c’est notamment le cas d’un des témoignages où un étudiant a imposé sa vision d’ébats sexuels après qu’il ait découvert dans la rue que la jeune femme était en couple avec une autre femme.
Une augmentation inquiétante des agressions transphobes
Les agressions physiques augmentent de façon inquiétante, particulièrement à l’encontre des personnes transgenres où le nombre de témoignages reçus a plus que doublé par rapport à 2018, SOS homophobie enregistre en effet le chiffre alarmant d’une augmentation de 130 % des témoignages d’agressions physiques.
Sur tous les cas rapportés en 2019 par l’association, 587 concernent les personnes trans et non binaires, dont 208 cas spécifiquement transphobes. La transphobie se manifeste largement par du rejet (78 %), mais aussi par des insultes dans plus de deux cas sur cinq. La majorité des cas concernent des femmes trans (42 %), mais il faut aussi souligner les violences qui touchent les personnes non binaires (5 %). La surprenante proportion d’actes visant les hommes cis (16 %) s’explique par les nombreuses attaques transphobes à l’encontre de Bilal Hassani. Ces violences s’expriment le plus souvent sur Internet, qui compte pour un quart des agressions, mais aussi dans les lieux publics (14 %) ou dans un contexte familial (11 %). C’est dans les témoignages de transphobie que les discriminations sont les plus marquées (35 %). Les personnes trans sont plus exposé·e·s aux violences physiques et sexuelles, pas moins d’un cas sur cinq rapporté à SOS homophobie déclare ces agressions.
SOS homophobie a intégré la lutte contre la transphobie en 2009, c’est donc dans son rapport annuel de 2010 qu’est apparu pour la première fois les données reçues par l’association à ce sujet. L’un des premiers constats est que la manifestation courante de la transphobie persiste : mégenrage (non-respect de l’identité de genre d’une personne ; le mégenrage est le fait d’employer volontairement un prénom et/ou un pronom qui ne correspond pas au genre de la personne), insultes (« travelo », « pédé ») et agressions physiques. La différence depuis 2010, c’est la prise de parole trans : ne plus se taire, ne plus se laisser faire. En 2019, c’est presque 14 fois plus de cas de transphobie qui ont été signalés auprès de SOS homophobie depuis 2009. Le rapport annuel de SOS homophobie est établie sur la base des témoignages recueillis, avant 2009 l’association ne prenait pas en compte les données en lien avec la transphobie. Cela ne signifie donc pas qu’il y a 10 ans notre société était moins transphobe, mais qu’aujourd’hui SOS homophobie gagne en visibilité sur ces problématiques et, est désormais contactée par les personnes qui subissent des violences transphobes.
L’année 2019 enregistre une augmentation de 130 % des signalements d’agressions physiques visant des personnes trans. Ces 32 cas (contre 14 en 2018) sont majoritairement le fait de groupes d’hommes voulant forcer leurs victimes à taire leur identité et à se conformer à des stéréotypes de genre. En décembre 2019, alors qu’elle sort d’une boîte de nuit, Nana témoigne de l’agression qu’elle a vécue, elle était en présence d’un groupe d’amies quatre hommes se sont approchés d’elles. Lorsqu’ils réalisent que Nana est trans, le groupe se met à l’insulter et la frapper, avant de la jeter par-dessus le parapet protégeant la voie d’accès à un parking souterrain. La jeune femme fait une chute de plusieurs mètres. Les agresseurs prennent alors la fuite. La victime, qui souffre de multiples contusions, a obtenu 10 jours d’ITT. Une enquête a été ouverte suite à la plainte qu’elle a déposée. Le 6 mars 2020, deux hommes ont été condamnés à une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour violence en réunion liée à l’identité de genre.
SOS homophobie révèle dans son rapport plusieurs témoignages qui reprennent ce même enchaînement de faits ; des hommes interpellent une femme, ils la soupçonnent d’être transgenre, ils emploient en réaction une violence verbale qui peut évoluer rapidement en violence physique.
La santé des personnes transgenres particulièrement menacée
Le milieu médical est lui aussi parcouru par des comportements transphobes, ces comportements menacent la santé des personnes transgenres.
Le milieu médical est en perpétuelle quête de psychiatrisation du parcours de transition. Aujourd’hui en France le « parcours officiel » pour obtenir une transition médicale remboursée par la sécurité sociale impose aux personnes un suivi psychologique et psychiatrique pour évaluer si le genre de la personne est avéré. À cette contrainte d’un suivi psychologique, notre système de santé impose aux personnes transgenres de souscrire à l’ALD 31 (affections de longue durée — hors liste) pour le remboursement d’une partie des opérations, sur le traitement laser… L’ALD permet certes le remboursement des transitions dans leur intégralité, mais toutes les régions ne l’attribuent pas égalitairement aux personnes transgenres qui se la voient parfois refuser. L’ALD permet une prise en charge intégralement remboursée de la transition, mais elle est également prise en compte par les assurances et banques comme attestation permettant d’évaluer les personnes détentrices comme étant à risque, les personnes transgenres sont susceptibles de payer des assurances plus cher et de se voir refuser des prêts financiers.
De manière générale, les personnes transgenres ont des difficultés quant à leur parcours de soins. En effet, selon une étude publiée à l’occasion d’un colloque sur la santé des LGBTI à Bordeaux en 2018, 72 % des personnes transgenres interrogées se sont senties mal à l’aise dans leurs parcours de soins du fait de leur identité de genre.
Certains signalements de 2019 témoignent des difficultés que les personnes transgenres rencontrent avec le monde médical, notamment celui de Justine, qui doit au fil de sa lutte contre le cancer faire face aux brimades de son oncologue, à l’humiliation chez son médecin généraliste qui minimise les violences subies et au personnel qui la traite comme une bête de foire à l’hôpital. « Je ne prends pas ça », dit un jeune médecin qui doit encadrer sa chimiothérapie. Justine avait informé son médecin qui la suit depuis quelques années qu’elle est trans, le praticien l’accuse d’usurpation d’identité, il inscrit parfois « Monsieur » sur ses ordonnances, dégradant le suivi médical de Justine. En effet, cela pose problème à la pharmacie, et si Justine a un problème, les ambulanciers trouvant des ordonnances destinées à Monsieur et Madame risquent la confusion et de mal la prendre en charge.
Quand travail rime avec transphobie
Les personnes transgenres sont davantage confrontées au chômage que le reste de la population, en effet 17,5 % d’entre elles sont au chômage et 19,5 % au RSA, des taux bien supérieurs que le reste de la population. Elles subissent en effet le poids des discriminations à l’embauche (33 % d’entre elles selon une étude de 2015).
Mais une fois passée la barrière de l’embauche, elles sont victimes de licenciement abusif, de mise au placard ou de harcèlement pouvant entraîner des abandons de postes. Selon cette même étude de 2015, 28 % des personnes transgenres auraient vécu ces situations de déprise professionnelle.
Les personnes transgenres sont ainsi confrontées aux comportements transphobes sur leur lieu de travail, en effet 10 % des cas de transphobie signalés à SOS homophobie se sont déroulé au sein de ces espaces. Les témoignages rendus visibles dans le rapport annuel de l’association mettent ainsi en lumière les difficultés des personnes transgenres suite à leur outing.
Le témoignage d’Élisabeth atteste qu’en apparence son coming out c’était bien passé auprès de ces collègues, elle avait alors décidé de se présenter à une réunion habillée comme le reste du personnel féminin, en jupe et sandale, pourtant le lendemain elle fut convoquée, son manager lui signala que l’ensemble de l’équipe du magasin fut mal à l’aise face à sa tenue. Élisabeth s’est vue reprocher l’affirmation de son genre, le manager lui a signalé que l’entreprise avait embauché un homme et non une femme, cherchant à décrédibiliser ses choix un autre manager a reproché à Élisabeth des attitudes sexistes par le passé.
D’autres témoignages attestent de la transphobie vécue au travail et notamment en lien avec du public. C’est notamment le cas de Jasmine. Elle travaille comme animatrice dans une mairie, quand elle débute sa transition en 2017 elle en informe sa RH puis ses collègues et les familles qu’elle côtoie dans le cadre de son travail. Elle constate que les relations avec l’équipe et les familles se dégradent, ses collègues l’assènent de questions déplacées sur sa vie privée, son intention de réaliser des opérations, ils lui demandent de montrer des parties de son corps, ils l’insultent en la qualifiant notamment de « pute ». De leur côté, les familles que Jasmine côtoie demandent à ce qu’elle ne soit plus visible, notamment par les enfants. Jasmine finit par faire un burn out, alors en arrêt maladie sa direction la convoque régulièrement pour savoir si elle compte quitter son poste. Son état psychologique se dégrade suite à ces situations de harcèlement au travail. Son contrat arrive à échéance n’ayant pas été renouvelé. Ne trouvant pas de nouvel emploi, elle se retrouve alors dans une grande précarité.
D’après une étude de 2014 du comité IDAHO et du think tank république et diversité près de 85 % des 281 personnes interrogées, par le biais de questionnaires relayés par des associations, déclarent avoir souffert d’un acte transphobe. Près de 20 % des répondant·e·s déclarent avoir fait une tentative de suicide, 69 % y ont déjà pensé et près de 60 % ont vécu une dépression. 15 % d’entre elles et eux ont par ailleurs subi des agressions physiques ayant entraîné une interruption temporaire de travail (ITT) de plus de quatre jours.
Le rapport publié par SOS homophobie ne permet pas de réellement tirer un bilan sur l’évolution des LGBTIphobies au fil des années, mais il permet de tirer une tendance sur la visibilité de la LGBTIphobies dans la société en fonction des années et des débats pour l’extension des droits aux personnes LGBTI. On observe notamment qu’en 2013 et 2019 les témoignages reçus sont plus importants que les autres années.
Les mêmes mouvements qui s’étaient organisés contre le mariage pour tou·te·s on fait entendre leur voix depuis la fin de l’année 2018 contre l’extension de l’accès à la Procréation Médicalement Assistée. De la même manière qu’en 2013, avec les débats sur le mariage pour tous et l’adoption, où l’espace médiatique qui a été offert a laissé la part belle à un déferlement de propos stigmatisants et haineux à l’encontre des personnes LGBTI. Les voix réactionnaires de ce pays ont exprimé leur opposition à l’égal accès aux droits pour l’ensemble des citoyen·ne·s quels que soient leur genre et/ou leur orientation sexuelle.
En ne légiférant pas sur la PMA et en repoussant à plusieurs reprises les votes sur la question, le gouvernement entre calculs électoraux et frilosité a laissé cette haine se déverser publiquement et d’une certaine manière a légitimé ces discours en n’agissant pas à leur encontre. Les propos LGBTIphobes n’ont pas été condamnés, les collectifs réactionnaires ont pu être présents et s’afficher dans le débat public.