Loi contre les dérives sectaires : Booba rejoint Le Pen, LFI vote avec le RN… Que se passe-t-il ?

publié le dans
Loi contre les dérives sectaires : Booba rejoint Le Pen, LFI vote avec le RN… Que se passe-t-il ?

Depuis 2023, le gouvernement prépare une loi de lutte contre les dérives sectaires. En effet, si le sujet avait été peu considéré et n’était plus vraiment pris au sérieux depuis 20 ans, considéré comme un problème secondaire voir marginal, il était réapparu violemment dans le champ médiatique à la faveur de la pandémie de covid-19.

Confinement, port du masque, vaccination générale… Tous ces sujets avaient mis en avant dans l’espace public des oppositions farouches, parfois très violentes, portées par des personnalités politiques de tous bords (et souvent majoritaires à l’extrême droite), des gourous et parfois par des médecins en dissidence avec le consensus de leur discipline. Tous visant le même public et la même manière d’agir : instiller non pas le doute raisonnable, mais le soupçon généralisé contre les autorités politiques, universitaires, pharmaceutiques et médicales indistinctement ciblées, sans jamais se soucier des faits.

Le docteur Raoult

Le cas du Docteur Raoult est évidemment le plus démonstratif. Protégé jusqu’à obtenir un entretien personnel avec Macron durant la crise du covid, sur la seule foi de sa popularité, malgré des pratiques médicales sauvages et un management brutal, il est aujourd’hui en marge totale du monde médical et désavoué par la profession.

Pourtant, ses nombreux adeptes ont une confiance absolue en lui malgré toutes les déclarations hors de la réalité qu’il a pu tenir : niant la possibilité d’une seconde vague de covid, vantant son traitement à base d’hydroxychloroquine envers et contre tout sur la base d’études falsifiées, faisant la promotion et l’éloge du documentaire multidébunké Hold Up, venant en soutien des élucubrations de l’imposteur et faux diplômé Idriss Aberkane et d’autres personnalités complotistes, etc.

Le professeur était devenu une personnalité centrale de 2020 en allant publiquement dans les médias pourfendre le consensus scientifique, menant un débat, normalement réservé aux experts, devant des néophytes bien souvent incapables de démêler le vrai du faux, mais hésitant trop rarement à le faire. Et comment leur en vouloir alors que cet homme de science venait leur offrir gracieusement la caution scientifique de leurs fantasmes ? Aujourd’hui, nous savons que ses hypothèses douteuses présentées comme des faits établis ont provoqué dans le monde au moins 17 000 morts évitables et qu’heureusement, une faible minorité a eu lieu en France, car les autorités médicales ont préféré avancer avec l’état des connaissances qu’avec les intuitions d’une minorité en dissidence malgré la pression médiatique.

Malheureusement, le monde politique — comme le monde médiatique qui lui a donné la parole — ont souvent préféré se placer par récupération opportuniste ou par conviction malsaine du côté de cette minorité et nombreux idéologues s’étaient humiliés en prenant part avec tout leur amateurisme décomplexé à ce débat de 2020, de Jordan Bardella qui avait déclaré que Raoult « était surement à la médecine ce que nous [le RN] sommes à la politique » ou encore Jean-Luc Mélenchon qui avait déclaré qu’il n’hésiterait pas s’il était malade à dire  « Donnez en moi [de l’hydroxychloroquine], après tout ça ne peut pas faire plus de mal que ce que fait la maladie » après avoir défendu le médecin face aux critiques des « belles personnes ». De vrais visionnaires…

Bientôt 4 ans plus tard, les 13 et 14 février, le texte de renforcement de la lutte contre les dérives sectaires avec une emphase forte sur leur impact sur la santé se trouve en débat au Parlement. Et on a retrouvé une convergence impromptue des LR-RN à droite et à l’extrême droite et de la FI, isolée à gauche, pour rejeter le texte du gouvernement lors du vote final. Le lendemain, le rappeur Booba, souvent adulé par la gauche malgré son soutien à la complosphère antivax et au docteur Raoult, se fend d’une déclaration de soutien à Marine Le Pen pour son opposition au texte… Comment comprendre et démêler cette convergence improbable et parfois déboussolante ?

Dérives sectaires et médication, quels liens ?

Les derniers rapports de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) alertaient sur une explosion des signalements et mettant l’accent sur la porte d’entrée vers les sectes que constituent les médecines dites « alternatives » à la médecine conventionnelle, c’est-à-dire non soutenue par le consensus scientifique ni par la méthode scientifique, il était donc parfaitement nécessaire pour la majorité présidentielle — comme toute autre majorité à leur place prétendant travailler sérieusement sur la question — de lier le sujet des dérives sectaires à celui des ruptures de soins motivées par les promesses des charlatans ou des gourous.

Dans ce texte de loi, c’est l’article 4 qui a fait l’objet des débats les plus houleux. Cet article prévoyait des condamnations pour l’incitation à abandonner des soins ou à adopter des pratiques dangereuses pour la santé. Un article important qui, dans sa philosophie, pourrait permettre de condamner plus efficacement des gourous religieux extrêmement dangereux comme Thierry Casasnovas, accusé d’exercice illégal de la médecine, multicité dans le rapport de la Miviludes, car objet de nombreuses saisies pour incitation à l’abandon de soin, y compris dans des cas de cancer ou de diabète. Mais il pourrait aussi permettre de plus facilement condamner les promoteurs de l’anti-vaccinisme qui se sont dangereusement multiplié malgré avoir été mis systématiquement en tort devant les faits et dont la propagande est responsable de nombreuses maladies évitables et de retards de soins.

L’extrême droite, complice des charlatans

Le débat autour de cette loi a été préparé médiatiquement dans les habituelles émissions de diffusion des idées conspirationnistes et antirationalistes proches des courants politiques d’extrême droite, tandis que les médias de gauche en ont très peu parlé.

Chez Hanouna, la loi a par exemple été présentée de manière extrêmement malhonnête comme une « loi ayant pour but d’interdire la critique contre le vaccin du Covid » éludant totalement l’objet réel de son champ d’action. Les chroniqueurs, relais habituels des théories du complot, soutenus par les invités des droites extrêmes, se sont donné à cœur joie dans la multiplication de fausses informations médicales et politiques et le lynchage des défenseurs de la vaccination contre le covid-19 et des savoirs soutenus par la science, quasiment absents du plateau, sans surprise.

Au Parlement, c’est là-dessus que se sont joué les principaux assauts de l’extrême droite, le député conspirationniste Nicolas Dupont Aignan — qui a trouvé un soutien total du RN sur le sujet — a insisté sur sa volonté de distinguer toute opposition au consensus scientifique des dérives sectaires. S’adressant au gouvernement, il a déclaré « vous ne luttez pas contre les dérives sectaires, vous luttez contre ceux qui ne pensent pas comme vous ». Au nom de la défense de la liberté d’expression, il s’agissait pour lui de défendre le droit de prodiguer sans aucune connaissance médicale établie des « conseils » ou prétendus soins pouvant entrainer de graves dangers pour les victimes. Le tout, sous les regards de plusieurs conspirationnistes, notamment antivax, qu’il avait invité à assister à la séance de l’Assemblée nationale pour le soutenir.

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Nicolas Dupont-Aignan défend ses positions en disant n’importe quoi dans un infect marasme conspi-antivax.

Dans sa profonde incapacité (ou mauvaise volonté ?) à comprendre les enjeux élémentaires du débat, il a confondu la formulation « en l’état des connaissances médicales » par la volonté du gouvernement de figer l’état des sciences dans ce qu’il a appelé une « science d’État ». Bien sûr, il s’agissait en fait d’intégrer à la loi une chose élémentaire dans le monde scientifique : qu’une vérité scientifique est relative à l’état donné des sciences au moment où elle est énoncée. Par exemple : la loi universelle de la gravitation de Newton est vraie… jusqu’au cas où elle est dépassée par les « corrections » apportées par les nouveaux apports d’Einstein. Les prédécesseurs d’Einstein qui se fiaient à Newton n’avaient pas tort, ils avaient raison, mais relativement à l’état des connaissances de leur temps. Il en va de même en médecine au gré des avancées.

La formulation « en l’état des connaissances » est donc l’exact inverse d’une formulation fixant cet état à un moment donné, mais reconnaissant justement sa nature intrinsèquement évolutive.

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Marine Le Pen explique que la liberté d’expression des gourous de secte est supérieure à l’intégrité des victimes de secte après une intervention de Véran. Ensuite, elle défend le professeur Raoult.

L’extrême droite s’est donc dévoilée dans tout son obscurantisme, prônant au nom de la « liberté » la cause des charlatans contre celle de leurs victimes. La loi du plus fort et la sécurité pour les charlatans comme seule boussole de leur action parlementaire.

Les insoumis, idiots utiles des sectes ?

Du côté de la gauche, si celle-ci n’a pas été aussi outrancière et hors sujet que l’extrême droite, en dehors des députés socialistes qui ont excellemment compris les enjeux du débat, on ne peut pas dire qu’elle se soit brillamment illustrée… Le député insoumis Jean-François Coulomme a présenté les positions de son groupe comme voulant défendre avant tout les consommateurs de ce qu’il interprète moins comme des charlatans ou des gourous que comme des escrocs qui prospèrent sur la crise… Une position qui semble un peu légère, mais qui a le mérite au moins de lier la crise de confiance dans les institutions médicales avec la crise économique et politique que nous traversons. Jusqu’à ce point du discours, nous pourrions rester d’accord.

Mais… Il a ensuite défendu la liberté de conscience la liant à la liberté de choisir sa médication ! Comme si le choix des individus était sacré et comme si ce choix était libre et éclairé et non soumis aux influences extérieures : éducation ou absence d’éducation, religion et croyances, emprise mentale, etc., et comme si toutes les médications étaient équivalentes sur le plan scientifique : comme si l’homéopathie, la naturopathie ou le chamanisme pseudoquantique étaient à mettre à égalité avec la médecine conventionnelle, comme si les études n’avaient pas à chaque occasion montrée qu’il n’en est rien.

Non seulement c’est une dague plantée au cœur du rationalisme, mais finalement au point qu’en croyant défendre la liberté de conscience des patients, les insoumis ont d’abord choisi de défendre la liberté des gourous, de les manipuler, se retrouvant ironiquement, tout en croyant les combattre, dans le même camp que l’extrême droite et les charlatans manipulateurs !

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Coulomme explique qu’il craint plus les dérives potentielles du texte que des dérives actuelles.

En somme, si le RN a défendu la liberté des manipulateurs, la FI a défendu la liberté des victimes de rester sous leur emprise. C’est d’autant plus incroyable que ne pas voir le lien entre liberté de choix dans la médication et capacité de manipuler ce choix est précisément la raison même de tout ce débat… En ce sens, dans le meilleur des cas, ce que les insoumis ont montré, c’est que leur rejet du gouvernement les rendait plus craintifs à l’idée d’une éventuelle dérive de la loi dans le futur qu’aux dérives très actuelles qui se produisent du fait de l’absence de ladite loi. Il aurait suffi de prendre un peu de recul pour réaliser que cet argument est en réalité le même que celui de l’extrême droite : priorité à la liberté… des charlatans.

Ce n’est pas étranger non plus aux liens réels que la France Insoumise a construit avec certains milieux écologistes antirationalistes (antivaccins, antinucléaires, anti-OGMs, etc.) dont certaines sectes comme l’Anthroposophie et autres gourous du New Age sont très proches épousant leur relativisme antiscientifique.

On se souvient par exemple de Jean-Luc Mélenchon discourir plein d’éloges en 2022 sur le mode de vie du village d’Eourres, cœur des ésotérismes New Age en France et lieu de nombreuses dérives documentées où il avait déclaré « j’arrive ici, j’ai envie de rester », de Mathilde Panot, cheffe des députés insoumis, vantant les mérites imaginaires de la biodynamie (pratique d’agriculture de la secte anthroposophe) malgré avoir été avertie des faits par des lanceurs d’alerte reconnus ou de Jean-François Coulomme dans son discours d’explication de la position de son groupe qui qualifie de « pratiques de soin complémentaire » les médecines alternatives, reprenant là une expression forgée de toute pièce par les lobbys de l’homéopathie (on retrouve cette terminologie sur le site des laboratoires Boiron par exemple alors qu’elle est complètement rejetée par la médecine conventionnelle) qui les promeuvent pour les faire accepter comme sérieuse au détriment des experts et des études reconnues qui démontrent continuellement l’inverse.

Retrouver un consensus rationaliste et protecteur

Il faut néanmoins comprendre pourquoi la gauche dans sa majorité s’est trouvée insatisfaite de la rédaction de ce fameux article 4 (comme d’une partie du texte).

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Le député socialiste Arthur Delaporte défend le bienfondé de l’article 4 et fait honneur à la gauche.

Dans sa rédaction première, il ne distinguait pas l’incitation à abandonner des soins sur la base d’informations scientifiques que sur la base de prétentions ne reposant pas sur la science. Une seconde proposition déposée par la majorité et corrigée avec l’intervention des socialistes a pu être adoptée, elle intègre une exception notable pour les lanceurs d’alerte, point de divergence soulevé par les députés du RN, de LR, comme par les insoumis, les écologistes et les communistes.

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Emeline Kbidi explique pourquoi le groupe GDR s’abstient sur la base de trop peu de temps pour rendre un avis après le redépôt de l’article 4 et les problèmes de rédaction de l’article.

Après cette modification, les votes d’oppositions des communistes se sont changés en abstention, mais le RN, LR et LFI ont préféré maintenir le vote d’opposition, montrant que cette dimension avancée dans les débats n’était d’abord qu’un prétexte pour ces trois derniers… L’extrême droite n’ayant eu aucune gêne à bombarder le débat de relativisme douteux, tentant de nous faire passer le docteur Raoult pour Irène Fachon sans être repris par les insoumis.

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Un député d’extrême droite utilise la figure d’Irène Fachon pour défendre la suppression de l’article 4.

On peut regretter cette absence de clarté des députés communistes et questionner le sens de rejeter une loi ou un article avec laquelle on dit être d’accord sur le fond et les perspectives, mais regretter les absences de moyens et la faiblesse de certaines rédactions.

Lorsque le froid s’abat, une couverture trouée vaut pourtant généralement mieux que pas de couverture du tout… Le processus législatif étant toujours en cours, gageons que la suite permette de conforter une décision allant toujours dans la bonne direction.

Aussi, le sénateur et vice-président communiste du Sénat Pierre Ouzoulias s’est exprimé en faveur d’une meilleure écriture pour conserver l’esprit de l’article dans une nouvelle rédaction arguant qu’« un texte qui défend la rationalité doit être écrit dans des termes rationnels » et que si le gouvernement ne se montrait pas à la hauteur de l’enjeu, il s’investirait dans ce sens dans la commission mixte paritaire chargée de travailler sur le sujet. Il est encourageant que les communistes s’investissent dans ce sens, tout à fait en cohérence avec les récentes propositions d’un moratoire sur l’ouverture de nouvelles écoles privées comme de la constitution d’une « commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur toutes les dérives existantes dans les écoles privées sous contrat », ce qui n’est pas sans lien avec le sujet des dérives sectaires.

L'acceptation des cookies de Twitter est nécessaire pour voir le contenu.

Ouzoulias s’exprime en faveur de l’article 4, mais plaide pour une réécriture en CMP.

Conclusion

La construction de ce texte important comme premier pilier d’une lutte contre les charlatans et les profiteurs de crises qui font le terreau de l’extrême droite par le biais de la défiance envers la culture scientifique et rationaliste doit être soutenue aussi.

Assurerons-nous que les sénateurs et députés communistes jouent un rôle le plus important possible pour protéger les populations fragiles. La distinction avec le gouvernement restera tout aussi claire sur le véritable point de clivage qui nous différencie : Si le gouvernement s’attaque en l’occurrence très justement aux conséquences de la crise de confiance généralisée, il oublie de prendre la mesure qu’il l’a en bonne partie provoquée.

Pour conjurer le sort, l’aspect répressif de cette loi est utile, mais il devra demain être accompagné d’un véritable effort d’investissement tant dans l’éducation que dans la construction d’un chemin de progrès social et démocratique, fermant la voie au repli identitaire et au soupçon et ouvrant la voie à la confiance et à la rationalité universaliste. Sans quoi la répression ne servira qu’à continuer d’alimenter le cercle vicieux de défiance, de paranoïa et de rejet du collectif par lequel elle est rendue nécessaire.

Quoi qu’il en soit, après le vote de la loi, charlatans et conspirationnistes ont fait immédiatement part de leurs craintes, s’il fallait une preuve que ce texte va dans le bon sens, la voilà.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques