L’anticolonialisme de Fanon sur grand écran

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L’anticolonialisme de Fanon sur grand écran

Le réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny revient en 2025 avec un film biographique centré sur Frantz Fanon, joué par Alexandre Bouyer.

Psychiatre de formation, Fanon est une grande figure militante de l’anticolonialisme et acteur de la guerre d’indépendance algérienne. Le film revient sur ses années en Algérie française, de la découverte concrète de la colonisation au soutien actif à la lutte de libération nationale du peuple algérien.

Peau noire, blouse blanche

1953, le jeune psychiatre Frantz Fanon est nommé chef de division dans l’hôpital psychiatrique de Blida. Le film met d’emblée en scène l’affrontement entre un Fanon humaniste et moderne et des pratiques psychiatriques et coloniales rétrogrades, racistes et déshumanisantes. 

Fort de sa légitimité de psychiatre, mais miné par sa couleur de peau, Fanon résiste à l’immobilisme de l’administration coloniale. Il lie son destin à celui de ses patients musulmans, traités comme des bêtes. 

Le film illustre l’affrontement entre la sociothérapie moderne et les thèses racistes de l’école algérienne de psychiatrie, mettant en scène les conséquences du colonialisme dans la prise en charge des “aliénés”. Jusqu’au bout, Fanon se bat pour humaniser et trouver une porte de sortie à des patients vaincus par la sauvagerie coloniale. 

Le lien entre les enjeux médicaux et coloniaux sont la colonne vertébrale de l’évolution du personnage de Fanon. Méprisé dans sa personne et dans ses méthodes, c’est très naturellement que le film montre le psychiatre glisser de la lutte médicale au soutien à la lutte armée du peuple algérien. 

Si la réalisation est pudique sur ses motivations, de nombreuses scènes mêlent la rédaction des écrits anticoloniaux de Fanon à ses expériences concrètes de la colonisation. L’œuvre illustre les convergences naturelles entre les discriminations subies par le médecin guadeloupéen et l’asservissement du peuple algérien. Le tout se mêle aux enjeux des avancées en recherche psychiatrique. 

Le film met en avant une lutte de libération nationale juste et nécessaire face à un ordre colonial inhumain. Mais loin d’une lecture simpliste, la psychiatrie met la lumière sur toutes les souffrances, des esprits torturés des colonisés à ceux des colons qu’Aimé Césaire qualifiait à l’époque de premières victimes d’un “ensauvagement”. 

Barny parvient à humaniser les dynamiques de haine et de vengeance, les contradictions et les doutes de la lutte anticoloniale. La souffrance engendrée par le colonialisme ne s’arrête pas aux blessures physiques ou aux morts. 

Il en résulte un bel hommage à l’héritage de Fanon ainsi qu’à la lutte algérienne qui cristallise ici tous les enjeux de la décolonisation. Plus qu’un rappel historique, le film use avec soin de son genre en touchant aux enjeux les plus humains de cette période.

Un film controversé ? 

Présenté en décembre 2024 au festival du film de Marrakech, le film rencontre vite un succès d’estime. Les plus critiques pointent un ton parfois caricatural ou trop scolaire. La relégation au second plan du personnage de Josie Fanon joué par Déborah François est également pointée du doigt. 

Mais c’est bien dans la distribution que la controverse éclate. Soixante-dix salles seulement diffusent le film en première semaine. Une invisibilisation remarquée qui tranche avec le succès des avant-premières. 

La presse et certains membres de l’équipe technique dénonce les distributeurs comme MK2 pour l’absence du film dans leurs salles. L’exposition médiatique aide le film a trouver de nombreuses salles pour qu’il continue à être diffusé. 

Cependant, le rôle déterminant d’associations dans la promotion et la diffusion du film renforce le sentiment d’une invisibilisation pour son engagement et son origine géographique. 

L’association Cinewax, qui organise de nombreuses projections de Fanon en présence d’acteurs et du réalisateur, rappelle que moins d’1 % des films diffusés au cinéma en France viennent du continent Africain et des Caraïbes.


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