À l’heure où l’État déploie la 8ᵉ Brigade de CRS et instaure un couvre-feu en Martinique, l’île semble entrer dans une crise sociale et économique dure.
Encore et toujours, la question de la vie chère rythme le mécontentement sur cette île de 360 000 habitants. Il faut dire que du Lamentin à Basse-Pointe, les Martiniquais sont quotidiennement soumis à des prix sans commune mesure avec la France métropolitaine : un simple pack de bouteilles d’eau coutera entre 5 et 10 € contre entre 2 et 3 € pour la Métropole, un paquet de couches pourra facilement avoisiner les 25 € contre 18 €. Plus globalement, les prix alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés que dans l’Hexagone…
Un cadre budgétaire européen à 5 804 km
Quand on sait que 27 % des ménages martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14,4 % en Métropole, il est évident que cette différence de prix impacte d’autant plus une population martiniquaise qui doit déjà subir les sous-investissements chroniques de ses infrastructures publiques.
Pourtant, ce problème ne date pas d’hier : lorsque l’on regarde les grands mouvements sociaux ayant frappé la Martinique, on ne peut qu’être marqué par la récurrence des revendications portant sur une inflation excessive. Derrière cette vie chère structurante en Martinique, on trouve en réalité les conséquences directes de l’intégration forcée de l’île à l’économie européenne et de la domination d’une bourgeoisie coloniale.
Intégrée à l’espace européen de longue date, la Martinique est considérée dès le Traité de Rome de 1957 comme une « région ultrapériphérique » des institutions européennes. L’Île connaît ainsi le même processus d’intégration économique et commerciale que le reste des territoires français, et cela, malgré une distance de 5 804 km. Parallèlement, la Martinique est extrêmement dépendante des importations, avec une balance commerciale dont le déficit n’a cessé d’augmenter d’année en année (la Martinique passe ainsi d’un solde d’échange de -2205 millions d’euros en 2015 à -3 004 millions d’euros en 2023.), ainsi que la Métropole et l’Union européenne pour partenaires privilégiés.
Des monopoles qui font leur loi
Si ces importations viennent augmenter les prix du fait de coûts de transports importants, elles ne sont pas pour autant le facteur central à des prix excessivement hauts.
En effet, la structure économique de la Martinique est marquée par la prévalence d’importants monopoles, souvent contrôlés par la bourgeoisie locale issue des descendants des premiers colons esclavagistes. Des groupes comme le Groupe Bernard Hayot (première fortune de l’Île), Safo, ou encore CréO, détiennent la majorité des grandes entreprises présentes en Martinique, tout particulièrement dans le secteur de la distribution. Ces sociétés, à la gestion souvent opaque, imposent des prix toujours plus élevés aux consommateurs martiniquais, avec une tendance à facturer chaque étape dans la production, l’acheminement et la distribution des produits présents sur le marché martiniquais.
Invoquant généralement « l’octroi de mer », une taxe ancienne datant de la période coloniale, pour justifier la différence de prix entre la Métropole et la Martinique, les grands monopoles martiniquais agissent également avec la complicité de l’État français. Il faut dire que la bourgeoisie martiniquaise a toujours été perçue par la Métropole comme un relais sur lequel s’appuyer : des grands remboursements liés à l’abolition de l’esclavage de 1848 aux subventions ayant ponctué la seconde moitié du XXe siècle, celle-ci a su profiter d’une aide constante de l’État français qui aura appuyé sa domination économique sur l’île.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir la brutalité avec laquelle l’État répond au mouvement social que connaît actuellement la Martinique : si la majorité des syndicats et partis progressistes martiniquais sont mobilisés aux côtés de la population pour faire entendre le problème de la vie chère, il s’agit désormais d’une confrontation directe avec les intérêts des principaux relais de Paris à Fort-de-France.