Grève des scénaristes US : TV, streaming et écrans de fumée

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Grève des scénaristes US : TV, streaming et écrans de fumée

Le 2 mai dernier s’ouvrait une séquence historique : un mouvement de grève massif des scénaristes du cinéma et de la télévision, votée à l’unanimité par leur syndicat, la Writers’ Guild of America (W.G.A). Pour la première fois en près de 15 ans. 

Hier encore pourtant, la télévision offrait aux scénaristes américains des débouchés professionnels et des conditions de revenu suffisants pour espérer prétendre à un niveau de vie confortable.  

Ainsi, il y a à peine une décennie, à l’ère de Mad Men et Breaking Bad, la télévision se présentait encore comme un débouché rêvé.  

La grève des scénaristes lève le voile de l’illusion sur une profession en crise. Que reste-t-il aujourd’hui des lueurs vertes de cet ultime ersatz de rêve américain ? 

La télé US, un « médium d’écrivains » ?  

Selon Liz Flahive, scénariste de la série à succès Homeland, interrogée par le New Yorker, la télévision américaine des années 2010 apparaissait autrefois comme « un médium d’écrivains en pleine explosion créative », à contrepied du cinéma à gros budget. Selon le bimensuel américain, une telle conjoncture aurait permis aux scénaristes de jouir d’une certaine liberté créative, de se former et d’évoluer professionnellement, tout en jouissant d’un niveau de rémunération plutôt confortable. 

Dix ans plus tard, l’économie du streaming et l’intensification de la concurrence entre les plateformes de VOD ont achevé d’éroder ce modèle. 

À l’heure où les productions sérialisées battent des records de diffusion planétaires, les scénaristes peinent de plus en plus à vivre de leur travail, tandis que leurs contrats se font de plus en plus rares et limités dans le temps. 

Cette situation pousse même leur syndicat, la Writers’ Guild of America, à se doter d’un fonds de soutien et de solidarité, actif depuis quelques années déjà. 

Une grève historique 

Assiste-t-on donc à la fin d’une ère d’opportunités pour les auteurs scénaristes à Hollywood ?

Ce serait sans compter sur la force de mobilisation de l’organisation représentative des auteurs scénaristes, la Writers Guild of America. Fort de ses 11 000 membres, le syndicat a choisi d’aller au rapport de force avec les studios de production en votant la grève, avec 97,85 % des votes exprimés. 

La grève a pris effet le 2 mai, suite à l’échec des négociations et à l’expiration des accords avec l’AMPP (Alliance of Motion Picture and Television Producers), l’organisation patronale des producteurs de film et de télévision, représentante des studios, des chaînes de télé et des plateformes de streaming.

Objectif : obtenir des avancées dans les conditions de rémunération des auteurs scénaristes, et surtout, mettre un terme à une crise organisée par les studios de production, les plateformes de VOD et leurs actionnaires. 

À l’heure où les profits des plateformes de VOD atteignent des sommets jamais égalés dans l’histoire, l’enjeu est de faire évoluer les minima salariaux des scénaristes et les redevances sur la diffusion de leurs œuvres. 

Lors de sa dernière grève historique, en 2007-2008, la W.G.A était déjà parvenue à arracher des conquêtes pour la rémunération des auteurs, dont les fameux « droits résiduels » sur la diffusion des œuvres qui permettaient jusqu’à présent aux scénaristes de bénéficier d’un revenu stable. 

Aujourd’hui, il arrive que des scénaristes de séries à succès gagnent à peine plus 9 000 euros en droits résiduels, soit 10 000 dollars pour Aly Monroe, assistante de production puis chef scénariste (story editor) de Handmaid’s tale, interrogée par le New Yorker. 

Du sport sans règles  

Cette grève promet aussi de mettre en avant des exigences en matière de dotations de personnels et de préservation des collectifs de travail, les « Writers’ rooms » qui permettaient autrefois aux auteurs de s’échanger des idées en collaborant dans un environnement partagé. Permettant ainsi à de nombreux jeunes scénaristes de se former auprès d’anciens de la profession. 

À mesure que les profits explosent, les progressions de carrière ressemblent toujours davantage à un sport sans règles, entre stagnation au statut junior et propulsion fulgurante au statut convoité de « showrunner » (auteur-producteur ou directeur de série), souvent sans l’expérience requise. Les scénaristes déplorent à présent que leurs carrières se fassent au gré des aléas des désidératas des studios en matière de contenu. 

Pour boucler la boucle, les studios de production sacrifient à l’autel du tout distanciel, toujours à des fins d’économies d’investissements en personnel. De plus en plus de tournages ont lieu sans la présence des scénaristes « du rang ». Avec l’économie de la présence des auteurs « junior » sur les plateaux de tournage, il devient de plus en plus difficile pour les auteurs d’acquérir les compétences requises pour diriger une série. Si tant est qu’on les requière toujours. 

À l’ère du profit maximal, les studios de production « testent » leurs concepts en embauchant des collectifs réduits de scénaristes (les mini-rooms). Les scénaristes se retrouvent ainsi à devoir espérer toucher des droits de diffusion sur une production qui ne verra peut-être jamais le jour. Entre-temps, ils se retrouvent obligés de vivre sur des économies personnelles, réalisées sur un salaire de misère. D’un contrat à l’autre, les scénaristes se retrouvent également souvent à revoir leurs revendications salariales à la baisse. 

Tout cela concourt immanquablement à donner un sentiment de vacuité aux professionnels de la branche, autrefois la plus rémunératrice pour les auteurs de fiction. 

Autosabordage à l’ère des écrans multiples 

Comble de l’absurde : les studios se préparent à un véritable autosabordage, en théorisant le tournant vers la production de contenus de « second écran » (second screen content, en anglais). Des contenus de moindre qualité scénaristique, de production taylorienne, à visionner parallèlement à une autre activité d’écran, le plus souvent sur smartphone. 

Les budgets d’écriture se réduisent à peau de chagrin et les studios embauchent toujours moins, pour produire toujours plus. 

Disney, Netflix et consorts semblent pour le moment prêts à risquer des pertes infiniment supérieures aux coûts d’un accord éventuel avec la W.G.A. Selon les projections réalisées par le syndicat, le coût d’un tel accord ne représenterait que 0,091 % des 82,8 milliards de profits annuels de Disney, pour un coût total de 343 millions pour l’ensemble des compagnies. 

La W.G.A affûte ses armes. Un piquet de grève se tient depuis le 10 mai devant les bureaux de HBO et Amazon, à New York. Selon des informations de Radio France, sur les 11 500 syndiqués, 11 000 font grève. Cette mobilisation d’ampleur suscite des échos jusque dans les salles feutrées du Palais de la Croisette, alors que le Festival de Cannes bat son plein. 

Il faut dire qu’en trois mois ​​la précédente grève avait coûté plus de 2 milliards de dollars à l’industrie.

Pendant que des législateurs américains débattent du travail des enfants, les Américains voient leur espérance de vie reculer, semble-t-il, inexorablement. Avec un droit du travail et une protection sociale quasi inexistants, les grèves ne sont pourtant plus (du tout) un phénomène rare aux États-Unis. 

C’est ce que démontre la période récente, qui a vu surgir nombre de mobilisations, souvent réprimées, mais porteuses d’un salutaire vent de renouveau. 


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