Le 26 avril 1936 se déroule le premier tour des élections législatives en France dans un contexte de crise du capitalisme et de menace fasciste. Ces élections vont marquer l’histoire du pays et du mouvement ouvrier par la victoire du Front Populaire, initié par l’ensemble de forces de gauche. Alors que les débats vont bon train à l’approche du second tour de l’élection présidentielle, un peu d’histoire ne fait jamais de mal.
La lutte contre le fascisme comme préalable
Le Front populaire émerge dans une période très violente : celle de la crise économique qui explose en 1929. Des millions de chômeurs, des sociétés qui vivent encore le traumatisme de la première guerre mondiale. Les idéologies réactionnaires et fascistes sont au pouvoir (Italie, Allemagne, Hongrie) ou aux portes du pouvoir (Espagne, Portugal) dans de nombreux pays du Vieux continent.
En France, l’instabilité économique est également politique avec des gouvernements régulièrement changés au gré des rivalités de pouvoir. L’extrême-droite (réactionnaires et fascistes) s’organise ouvertement et la violence politique et sociale se fait de plus en plus forte. Des affrontements réguliers ont lieu dans les manifestations contre les licenciements.
Des groupuscules d’extrême-droite, qui recrutent beaucoup chez les anciens soldats de la guerre 14-18, s’en prennent aux socialistes et aux communistes dans des meetings avec une partie du patronat qui, non seulement est complaisante, mais soutient ces organisations.
Le 6 février 1934 va marquer un tournant : les ligues d’extrême-droite manifestent et veulent prendre d’assaut le Parlement. Cet événement va marquer les consciences de la réalité de la menace fasciste en France. Les organisations ouvrières vont infléchir leur démarche, elles qui étaient divisées malgré la menace antidémocratique.
L’unité d’action contre l’extrême droite
Le Front populaire est donc une réponse en même temps qu’une nouvelle stratégie, impulsée dans le mouvement ouvrier par les communistes. Ces derniers abandonnent la stratégie dite de “classe contre classe” qui cherchait à faire entendre une position pure pour attiser l’affrontement en période de crise et ne procéder à aucune alliance.
La stratégie du Front populaire procède d’une analyse partagée de nombreux communistes dans le monde pour faire face à la menace fasciste, afin de faire bloc et conquérir de nouveaux droits sociaux et démocratiques. Les communistes vont chercher l’union avec les socialistes voire même encore plus au centre avec un parti bourgeois, en l’occurrence le parti radical-socialiste. Il y aura d’abord un pacte d’unité d’action signé le 27 juillet 1934.
Les solidarités concrètes au cœur de la démarche
Au-delà des négociations entre directions de partis, c’est un processus qui va enclencher des actions pour faire valoir une unité face au fascisme et des propositions pour sortir de la crise. Il va rallier les syndicats (permettant d’ailleurs la réunification syndicale d’une CGT divisée depuis 15 ans en 1936), les intellectuels (réunis au sein du comité de vigilance des intellectuels antifascistes) et les associations (LDH).
Cette période est l’occasion pour les communistes de construire un ancrage populaire plus poussé avec davantage d’actions d’éducation populaire, par le sport notamment ou le développement des colonies de vacances pour les enfants, la solidarité active notamment à l’égard des chômeurs (soupes populaires, aides sociales).
Le rassemblement le plus large comme stratégie
Les communistes s’adressent également aux classes moyennes, aux travailleurs chrétiens se rapprochant ainsi des catholiques progressistes (action catholique ouvrière, jeunesse ouvrière chrétienne). Ils s’approprient également l’héritage de la Révolution française pour affirmer le caractère républicain du système politique.
Plus qu’une simple alliance électorale, c’est une démarche unitaire pour faire reculer le fascisme et obtenir de nouvelles conquêtes sociales. Ce programme sera élaboré à partir d’un comité national pour le rassemblement populaire en juillet 1935 : « Pain, Paix, Liberté » en sera le slogan.
C’est un programme de relance économique basé sur davantage de répartition des richesses mais aussi par de nouveaux droits pour les travailleurs. Il y a la volonté de contrôler davantage la Banque de France, alors quasi exclusivement privée (aux mains des 200 familles les plus fortunées de France), de créer un système d’aide aux chômeurs, de réduire le temps de travail et lancer une politique de grands travaux mais aussi la dissolution des ligues fascistes (dont un décret a été édité en janvier 1936).
Après la mobilisation dans les urnes, l’heure de la grève!
Élu au printemps 1936, le gouvernement dirigé par le socialiste Léon Blum est vite poussé par un mouvement de grève puissant et massif. Fin mai, des secteurs comme l’automobile, la métallurgie lancent le mouvement. Ils sont vite rejoints par des milliers d’autres : dans le milieu du spectacle, du commerce, la grève s’amplifie au point de devenir générale. Des millions de travailleurs vont occuper leurs lieux de travail (près de 10 000) de manière souvent festive pendant plusieurs jours. Les communistes, non présents au gouvernement, mais organisés au PCF et à la CGT vont être une force motrice de ces mobilisations.
C’est la question du travail qui va être centrale. En effet, alors que la crise a jeté des millions de personnes dans la misère, les plus riches continuent de s’engraisser. La mobilisation qui va mener le gouvernement à enclencher des négociations entre syndicats et patronat instaure les mesures suivantes :
Deux semaines de congés payés.
Réduction du temps de travail de 48 heures à 40 heures par semaine.
Augmentation des salaires : de 7 à 30% selon les secteurs et fin de la part variable du salaire.
Reconnaissance de nouveaux droits syndicaux dans les entreprises notamment la reconnaissance du délégué ouvrier, représentant ouvrier qui peut parler au nom d’un collectif de travailleurs.
Changements institutionnels au sein de la Banque de France avec présence de l’État.
Ce sont des avancées sociales inédites notamment parce qu’elles reconnaissent pour la première fois l’existence d’un temps de repos financé à partir des richesses produites. Elles montrent que le progrès social est une réalité dans un temps économiquement difficile.
Quel héritage du Front populaire ?
Il faut rappeler qu’il s’agit d’une mobilisation inédite, construite par une stratégie d’unité et de luttes avec le maximum de personnes, qui a porté ses fruits. Elle donne du crédit à l’idée d’alternative à un capitalisme en crise qui laisse des millions de personnes à l’abandon. Les ouvriers prennent conscience de leur force. Le PCF et la CGT vont devenir incontournables dans la période qui suit.
Les conquêtes du Front populaire vont être un pilier important du futur programme du CNR durant la Résistance et des avancées démocratiques et sociales (délégués d’ateliers, congés payés, nationalisations, statut public de la Banque de France) en 1945 et plus largement une référence permanente du mouvement ouvrier.