Deux livres à lire cette année

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Deux livres à lire cette année

La nouvelle année s’ouvre avec son lot de bonnes résolutions. La lecture trône sans doute en haut de nombreuses listes ; l’occasion est donnée de se lancer dans deux livres publiés récemment.

Communisme, un chemin pour l’avenir d’Éric Le Lann (Éditions Manifeste, 13€00) et Loin, très loin de Jean-Luc Mélenchon, du Pape à Domenico Losurdo – penseur du communisme de Valère Staraselski (L’harmattan, 17€00).

Le Lann met les choses au clair 

Dans Communisme, un chemin pour l’avenir, Éric Le Lann revient sur « le sens du XXe siècle ». Entendez « l’histoire » d’un siècle traversé par les turpitudes du colonialisme et de la guerre, mais aussi par le communisme. « Dès lors que l’on prend en compte le cheminement réel du XXe siècle, explique-t-il, on voit autrement le rôle du mouvement communiste. »

C’est ce « cheminement réel » qui lui permet de « revisiter la théorie à la lumière de l’histoire ». Tout y passe ! Qu’en est-il de la lutte des classes ? ; y’a-t-il « une lutte des classes ou des luttes de classes ? » ; l’antiracisme, la question féministe, les peuples en lutte pour conquérir leur pleine souveraineté, la « liberté »… En définitive, comment articuler les enjeux d’aujourd’hui avec une boussole marxiste ?

Mieux, il se lance dans une explication parfaitement détaillée du rôle que pourraient jouer les communistes dans les décennies à venir, en prenant l’angle écologique.

Mais il rappelle d’abord, au travers d’exemples concrets, ce qu’ont été les expériences socialistes du siècle passé et leurs réalisations. Il décrit le contexte historique dans lequel elles se sont forgées.

Avant la révolution de 1917, le monde est entièrement « ordonné selon une hiérarchie nationale et en proie à l’idéologie raciale, la majorité des humains est dans la survie ». Génocide au Congo dans la « férocité de l’exploitation pour récolter du caoutchouc », « extermination par la faim et la soif des Hereros en Namibie », génocide des Amérindiens marqué par une « décision officielle prise par le président des États-Unis en 1830, imposant leur déportation au-delà du Mississipi » ; les exemples ne manquent pas et, durant tout le XIXe siècle, les chantres du libéralisme célèbrent la « race conquérante, la noble race européenne » selon les mots d’Ernest Renan.

En 1900, ces mêmes puissances lancent une « expédition punitive sauvage » pour étouffer la révolte des Boxers, en Chine. C’est lors de cet « épisode » que Guillaume II, empereur allemand, déclare : « Puisse par votre œuvre s’affirmer le nom « allemand » pour des millénaires en Chine afin qu’aucun Chinois, aux yeux bridés ou non, ne puisse regarder un Allemand en face. »

Ce partage du monde mène à l’un des conflits les plus meurtriers jusqu’alors. C’est après 13 millions de morts et 21 millions de blessés que « le mot ‘communiste’ surgit comme étendard pour tous ceux qui refusent l’ordre qui a conduit à cette hécatombe ». Pour s’opposer à cette « fuite de l’histoire », c’est Domenico Losurdo qui nous éclaire, repris cette fois dans le livre de Valère Staraselski : « Les pages terribles du communisme sont incompréhensibles si on les détache des pages terribles de l’histoire qui les précède ou même contemporaines ».  

Comment faire l’histoire du XXe siècle en occultant cet état du monde ? Comment comprendre que l’URSS ait été un rempart pour tous ces peuples, toutes ces nations ? C’est finalement les questions auxquelles tente de répondre l’auteur.

Mais il va plus loin, évoquant le rôle central de l’expérience soviétique dans les conquêtes au sein même des puissances occidentales. C’est particulièrement le cas au sortir de la Seconde Guerre mondiale, où chacun savait la place gigantesque qu’avait eue l’URSS dans la victoire contre l’Allemagne hitlérienne. Les « classes dominantes étaient sur la défensive au plan idéologique et politique ».

Qui a lu ce livre ne peut plus occulter le rôle immense qu’ont joué, et qu’auront à jouer les communistes. Il en veut pour preuve les progrès de la Chine dans son effort de décarbonation et dans sa lutte contre le réchauffement climatique, des efforts réalisés tout en sortant de l’extrême pauvreté des millions de personnes.

Pour saisir la manière dont Le Lann articule « l’héritage communiste » et « son avenir », il faut s’empresser d’aller lire Communisme, un chemin pour l’avenir. En tout cas, là est le point commun avec le livre de Valère Staraselski.

Staraselski pense pour reconstruire

De nombreuses réflexions arrivent au fil des pages sur l’État, la religion et la nation. Cet ouvrage est une longue chronique constituée d’articles écrits par l’auteur ces dernières années, publiés dans différents médias. Il suffit de picorer ici et là, au rythme des billets.

Pour l’auteur, les choses sont claires. Il faut reconstruire la France. Il prévient dès les premières lignes que « L’effacement progressif de la nation menace aujourd’hui la démocratie ». C’est le message qu’il veut faire passer depuis toujours, et particulièrement depuis le référendum volé de 2005. Et pour cause. Vingt ans plus tard, la fébrile démocratie parlementaire n’est plus associée aux décisions sur les questions diplomatiques ou sur la défense nationale.

Mais reconstruire ne veut pas dire détruire. Pour l’écrivain, le vieux mot d’ordre des communistes français appelant à « continuer la France » a toujours du sens. D’ailleurs, il se plaît à faire des allers-retours entre le passé, le présent, « l’actuel » et l’avenir. Dès les premières pages, on peut lire avec plaisir sa réponse à Laurànt Deutsch qui, dans son livre « Métronome », accusait Robespierre des pires horreurs ; reprenant le vieux discours sur les problèmes « psychologiques du révolutionnaire ».

« Peut-être aviez-vous, ce jour-là, abusé du bourbon ? » demande Staraselski à l’acteur, avant de démonter méthodiquement un argumentaire épuisé par le temps sur Robespierre.

Quelques pages plus loin, il revient sur l’idée qu’il se fait de l’action communiste. Il dénonce d’emblée cette « gauche » qui est « piégée par l’idéologie libertaire [et] qui ouvre grand la voie au Marché tout-puissant ». Puisqu’il est question du marché, comme Éric Le Lann, il remet le sujet sur la table, « à la lumière de l’histoire ». Pour Staraselski, « Il s’agit moins d’éliminer le Marché que de le remettre à sa place ». En bon marxiste, il s’attache à voir les choses à partir du « mouvement de l’histoire ». Pas de place à l’utopie chez lui, l’essentiel est d’aller vers le mieux. Il s’appuie, cette fois, sur Aragon qui écrivait en 1959 que « Rien n’est dangereux comme l’utopie, elle endort les gens, et quand la réalité les réveille, ils sont comme des somnambules au bord d’un toit, ils en tombent ».

Cette question du temps est un autre point commun entre les deux livres. Lorsque Éric Le Lann se souvient des mots d’Aragon dans Aurélien : « Qui a le goût de l’absolu renonce par là même à tout bonheur », Staraselski se paie le culot de citer Louis XVI pour qui « C’est l’impatience de gagner qui fait perdre ». Chacun à leur manière, ils rappellent que les communistes se battent pour des droits effectifs et ne s’arrêtent pas aux mots d’ordre. De quoi rassurer les plus fatalistes : la bataille est longue, faite de retours en arrière et de bonds en avant, traversée de contradictions, mais au bout, c’est l’humanité qui est tirée vers le haut.


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