La semaine dernière, mercredi 6 juin, s’ouvrait à Rennes le procès de Matthieu, étudiant présent à la manifestation « Ni Le Pen, ni Macron » du 27 avril dernier. Celle-ci était organisée à l’occasion de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle.
L’étudiant en question a été arrêté pendant la manifestation pour « violence sur agents dépositaires de l’ordre public », accusé de jet de pierre en direction de la police.
Outre une condamnation extrêmement lourde compte tenu de la réalité du dossier, le procès en question a fini par l’arrestation des témoins de la défense – une remise en cause des droits de la défense qui interroge la continuité de l’Etat de droit à Rennes, alors que le président projette de faire entrer l’état d’urgence dans le droit commun.
Dossier vide, lourde condamnation
Le dossier ne se base sur aucune preuve réelle, uniquement sur une vidéo ou l’on voit Matthieu ramasser quelque chose par terre. Les témoignages sont donc mis dos à dos, sans que celui de la défense ne soit jamais pris en considération.
Plusieurs témoins nient avoir vu l’étudiant lancer des pierres et affirment avoir vu les policiers en mettre dans ses poches pendant de son arrestation.
En effet, l’ensemble de l’argumentation du juge et du déroulé du procès ne s’est basé que sur le témoignage de la partie civile (deux policiers). C’est là que le procès devient particulièrement intéressant, de par l’inattention systématique portée aux témoignages de la défense, concernant une étudiante présente à la manifestation, et une cheffe d’entreprise qui avait assisté à la scène.
En effet, plusieurs témoins nient avoir vu l’étudiant lancer des pierres et affirment avoir vu les policiers en mettre dans ses poches pendant de son arrestation. L’étudiant se défend d’ailleurs en rappelant qu’il tenait une caméra dans la main gauche et une chaise pliante dans la main droite, rendant impossible les jets de pierre. Il explique s’être penché pour ramasser une coque de grenade lacrymogène tombée au sol. A aucun moment d’ailleurs le juge n’a demandé un relevé d’empreintes sur les pierres en questions, afin de vérifier le témoignage de la partie civile – ce qui est pourtant une pratique courante et très simple à mettre en œuvre.
Au moment du verdict, l’accusé est reconnu coupable, et condamné à six mois d’emprisonnement, dont trois avec sursis, ainsi qu’à une interdiction de manifestation de trois ans dans le département d’Ille-et-Vilaine. Il est également condamné à un versement de 550 euros à chacun des policiers pour « préjudice moral » – une pratique courante, favorisant la solidarité au sein de la police, ainsi que les dépôts de plainte réguliers de la part des forces de l’ordre dans ce genre de manifestation.
Arrestation des témoins : fait grave et rarissime
Suite au verdict, l’ambiance est extrêmement pesante dans le palais. Le juge accuse alors les deux témoins de faux témoignages. Celles-ci sont alors menottées en plein tribunal, et immédiatement conduites à l’étage pour être présentées au juge d’instruction.
« L’incompréhension est totale, aussi bien chez les avocats, l’auditoire, que chez les policiers (visiblement pas préparés à une telle situation), ou encore pour le procureur qui quitte le tribunal alors qu’il est chargé de la mise en examen des témoins devant un juge d’instruction rappelé en urgence à la cité judiciaire. Et pour cause : au-delà de l’absurdité de la situation (il n’a mené aucune enquête sérieuse pour justifier cette mise en examen), il appelle à infliger aux témoins une peine supérieure à celle de l’inculpé jugé pour des jets de projectile, qui sont passés complètement au second plan tout au long de l’audience. »
Défense collective de Rennes (08/06/2017)
Le juge n’avait eu de cesse de remettre en cause leurs témoignages au cours du procès, par des questionnements sur des détails de la scène, comme la taille des pierres, la couleur de la chaise, etc. L’une des témoins avait même fini par se justifier en haussant « j’ai juré ! » au juge, plus tôt dans le procès.
Elles seront finalement libérées dans la soirée, et placées plus tard comme témoins assistées pour vérifier de la véracité de leur propre témoignage. Accusées, elles risquent 5 ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amende pour faux témoignage. Leurs téléphones portables sont placés sous scellés « en attente d’éléments permettant d’établir leur culpabilité ». Au cours de la détention, même les policiers ne semblaient pas comprendre les raisons de leur présence et se voulaient rassurants.
Une stratégie de la peur
La stratégie ici mise en place par le juge semble clair, il s’agit d’éviter les témoignages dans les futures affaires de ce genre. En effet, l’accusation et l’arrestation de témoins assermentés en plein procès est un fait extrêmement grave, et inédit dans ce genre de procès, où rien ne permet explicitement de les remettre en cause et d’y déceler des incohérences.
Depuis quelque temps, et particulièrement à Rennes, les cas de brutalité de l’Etat et des solidarités entre la justice et la police semblent s’accroître – notamment depuis la mise en place de l’état d’urgence et les nombreux cas de répression accompagnant la contestation de la loi travail l’an dernier. Le juge en question ne se présente plus dans le milieu militant rennais et est déjà à l’origine de nombreuses condamnations abusives, notamment dans l’affaire Bagelstein, où de jeunes militants avaient écopé de prison ferme l’an dernier pour s’être opposés à une communication sexiste et homophobe de l’enseigne.
Sources : Témoignages de personnes présentes au procès et dans la manifestation, compléments et citation du communiqué de la Défense collective de Rennes publié au lendemain du procès.