“Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. ” Ces mots tirés de la conclusion du Manifeste du parti communiste, paru il y a 176 ans, le 21 février 1848, résonnent encore aujourd’hui.
Le Manifeste se présente comme une synthèse de la dialectique matérialiste et de la lutte des classes conceptualisée comme moteur de l’Histoire. Il est rédigé par Marx et Engels dans une Europe en progrès industriels constants, à l’adresse des masses ouvrières naissantes ; c’est aussi l’année du “Printemps des peuples” et de la Révolution de février qui renversa définitivement la monarchie en France.
Revenons sur les apports idéologiques de ce texte. Comprenons pourquoi il a bouleversé le monde, de Paris à Pékin, en passant par Moscou et La Havane.
Conscientiser les masses en plein “Printemps des peuples”
1848 est une année charnière dans ce XIXe siècle, et plus largement pour l’Histoire européenne. Celle-ci voit l’abolition définitive de la monarchie en France suite à la “Révolution de février”, la proclamation de la IIe République, la mise en place du scrutin universel masculin et l’abolition de l’esclavage. C’est aussi le soulèvement ouvrier maté dans le sang à Paris au cours des “Journées de juin”.
En Europe, cette année 1848 est le théâtre des Révolutions au sein des provinces de la Confédération germanique, du soulèvement bourgeois en Autriche conduisant à la chute de Metternich, des insurrections nationalistes en Hongrie, en Grèce, en Roumanie, en Pologne…
Les masses ouvrières nouvelles font leur entrée, par les armes, dans la chose politique. Le monde change complètement de face. C’est le point de départ du développement, partout en Europe, de la figure de l’État-nation, libéral et démocratique.
C’est dans ce contexte que Karl Marx et Friedrich Engels publient à Londres, le 21 février, l’une de leurs œuvres majeures. Bien plus accessible que d’autres de leurs travaux, le Manifeste du parti communiste se donne pour objectif de synthétiser les apports de leur pensée, dans le but de conscientiser la classe ouvrière naissante et de l’organiser derrière un Parti communiste fort.
“Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde : il s’agit maintenant de le transformer” écrivait déjà Marx dans ses Thèses sur Feuerbach en 1845. Le Manifeste veut influencer le réel et s’adresse directement à l’ensemble de la classe travailleuse mondiale dans le but de l’amener à la politique.
Il est dès lors impossible de lire le Manifeste sans comprendre que Marx et Engels y dressent la perspective d’une révolution victorieuse d’un prolétariat conscient et organisé, en capacité de renverser les rapports de production bourgeois. Perspective qui n’aboutira que près d’une soixantaine d’années plus tard, en Russie.
Karl Marx et Friedrich Engels : deux jeunes théoriciens du socialisme scientifique
Marx et Engels sont deux jeunes Prussiens, proches de cercles de “jeunes hégéliens”, ou hégéliens de gauche, c’est-à-dire qu’ils s’appuient sur les apports de la philosophie d’Hegel (notamment concernant la dialectique) tout en y dressant des perspectives progressistes, souvent libérales.
Face à la censure qui prend pour cible ses écrits dans le journal d’opposition “la Gazette rhénane” et à la répression politique à laquelle il est confronté, Marx est contraint de fuir la Prusse à l’automne 1843. C’est le début pour lui d’une vie d’errance, au cours de laquelle il passe de ville européenne en ville européenne, fuyant toujours les sanctions de pouvoirs encore très autocratiques.
C’est à Paris en septembre 1844 que Karl Marx rencontre Friedrich Engels. Ce premier contact entre les deux hommes marque le début d’une longue amitié qui dura jusqu’à la mort de Marx en 1883, mais surtout d’une véritable connexion intellectuelle qui bouleversa les sociétés tant leur contribution à la philosophie politique, à l’histoire, à l’économie et à la sociologie fut essentielle jusqu’à aujourd’hui. Engels, lui-même fils d’un industriel du textile, finança l’édition des œuvres de Marx tout au long de sa vie.
Face à l’Europe de la salarisation
Face à une Europe en pleine voie d’industrialisation, impliquant la salarisation croissante de travailleurs se regroupant dans les centres urbains, Marx et Engels théorisent la lutte des classes, dépeignant deux groupes sociaux aux intérêts contradictoires. Dans le but de dépasser cette dite contradiction, les deux Prussiens pensent un socialisme scientifique, fondé sur l’existence matérielle, la réalité objective, par opposition à un socialisme dit “utopique” alors majoritaire derrière Fourier, Cabet, Proudhon ou Bakounine.
En 1847, Marx et Engels fondent à Londres la Ligue des communistes qui sera aux avant-gardes de la propagation de ce socialisme scientifique et de l’analyse du système capitaliste développée par les deux hommes.
En 1848, les deux théoriciens ont 29 et 28 ans, alors que l’Europe s’embrase, Engels prendra par la suite part à de multiples soulèvements populaires au sein de la Confédération germanique, comme à Elberfeld et à Bade. C’est cette année-là qu’ils entament l’écriture du Manifeste.