Mettre fin à l’immense boucherie impérialiste qu’a été la Première Guerre mondiale n’est pas la moindre des réalisations des révolutionnaires de 1917. À l’heure où toute initiative diplomatique pour la Paix en Europe est systématiquement condamnée par l’UE et l’OTAN comme un ralliement aux intérêts russes, l’expérience de 1917 nous donne à voir ce que peut être une véritable diplomatie pacifiste.
Mettre la Paix à l’ordre du jour
Au lendemain du renversement du gouvernement provisoire, le Congrès des Soviets adopte un décret sur la Paix. Ce premier acte législatif marque l’ambition du régime de type nouveau qui émerge en 1917, qui sait ce qu’il doit à l’ambition pacifiste des masses dans son accession au pouvoir.
Pour qui suit la politique étrangère française et européenne actuelle, le simple fait de mettre la question de la Paix à l’ordre du jour d’une Assemblée, fut-elle bourgeoise, relève déjà d’un changement majeur de braquet. Il est, en effet, gravé dans le marbre de la Constitution de la Vᵉ que les Affaires étrangères sont un domaine réservé du président de la République ; ce qui est certes une meilleure solution que de graver dans le marbre des traités européens qu’elles soient du domaine réservé du Président des États-Unis ; mais relève d’un retard démocratique flagrant quand, il y a 107 ans, les Soviets décrétaient abolir “la diplomatie secrète” avec “la ferme intention de mener les pourparlers en pleine franchise, devant le peuple entier”.
Le nouveau régime proposait au monde entier une méthode pour aboutir à la paix. Un armistice d’au moins trois mois devait permettre la “convocation d’assemblées investies des pleins pouvoirs, formées des représentants désignés par les peuples de tous les pays, en vue d’une ratification définitive des conditions de paix.”
Distinguer intérêt national et intérêt de la bourgeoisie nationale
Le rôle joué par les révolutionnaires de 1917 dans la construction de la Paix repose sur cette distinction fondamentale. La diplomatie des soviets va se montrer à la fois extrêmement attentive aux intérêts nationaux, en proposant une paix sans annexion et en mettant en avant le rôle des peuples eux-mêmes dans la définition des frontières ; et va briser l’illusion entretenue par les gouvernements précédents entre intérêt national et intérêt de la bourgeoisie nationale en annulant les traités qui visaient “à l’obtention de profits et de privilèges par les propriétaires fonciers et les capitalistes russes, au maintien ou à l’accroissement des annexions des Grands-russes”.
La question de la Paix en Europe reste inséparable de la résolution de cette illusion. Une voie diplomatique vers la Paix pourra-t-elle se passer de laisser la parole aux peuples quant à la délimitation de la frontière ? Sortira-t-on de la guerre sans faire renoncer aux capitalistes européens, singulièrement allemand, aux ressources stratégiques ukrainiennes, qui étaient d’ailleurs déjà l’un des enjeux fondamentaux de la guerre il y a un siècle ? N’y a-t-il pas, derrière l’intégration de l’Ukraine dans l’UE, l’héritage de la reconnaissance par les empires centraux de 1917 du gouvernement sécessionniste de Kiev que les capitalistes allemands et austro-hongrois estimaient à leur botte ?
Réalisme léniniste ou phraséologie révolutionnaire
Malgré les efforts des bolcheviks pour faire mobiliser soldats et ouvriers allemands en faveur de la Paix, la mobilisation tant espérée du prolétariat allemand tarde à venir. Pendant ce temps, le gouvernement du Reich vient à la table des négociations avec des revendications d’annexions très larges, comprenant notamment l’ensemble des pays baltes.
Alors que Lénine souhaite signer une paix immédiate avec les empires centraux pour mener en priorité la guerre civile et asseoir la révolution, l’aile gauche du parti bolchevik croit encore à la guerre révolutionnaire. Sachant que la prise du pouvoir repose sur les aspirations à la paix, et face à la supériorité militaire allemande sur le champ de bataille, Lénine dénonce la “phraséologie révolutionnaire”. Avec une faible majorité dans le comité central, la Russie et les empires centraux signent le traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918. Nationalistes russes et socialistes-révolutionnaires dénoncent le ralliement du gouvernement aux intérêts de l’étranger.
Pourtant, c’est bien ce “réalisme léniniste” contre les inflexibilités idéologiques de l’opposition de gauche, qui permettra à la révolution de triompher, au nouveau régime de se stabiliser et qui aboutira à la reprise d’une grande partie des territoires concédés en mars 1918 au cours de la guerre civile, bénéficiant d’une mobilisation du prolétariat allemand qui, contrairement à ce que pensait l’opposition de gauche, n’était pas téléguidable.
Aujourd’hui, comme il y a un siècle, les pacifistes conséquents doivent concilier la dénonciation claire de l’impérialisme et des intérêts des grands monopoles comme véritable origine de la guerre et lecture réaliste du rapport des forces en présence en s’appuyant toujours sur le véritable moteur de l’histoire, la mobilisation des masses.