Il y a 80 ans, les résistants communistes mouraient pour la France et la Révolution dans une lutte à mort avec le fascisme, que penser aujourd’hui des symboles nationaux ?
Lorsque le 24 septembre 1941, en répression de l’assassinat par le Colonel Fabien d’un officier nazi, le syndicaliste cheminot et député communiste Jean Catelas est conduit à l’échafaud par ses bourreaux, avec deux camarades, ils entonnent à pleine voix la Marseillaise. Jean sera le premier dirigeant national du Parti Communiste Français à être exécuté par l’envahisseur fasciste, on rapporte qu’il s’écrira avant que la lame ne s’abatte « Vive la France ! ».
On peut se demander pourquoi le choix de la Marseillaise et non pas d’abord de l’Internationale ? Pourquoi ce chant – qui était celui d’une République qui avait interdit le PCF en 1939 et envoyé nombre de ses députés en prison – et pas un autre plus ouvrier ?
La France née dans la Révolution
Le rapport des communistes à la Patrie peut être interrogé au regard de l’Histoire, car si Marx affirmait que « les prolétaires n’ont pas de patrie » dans le Manifeste du Parti Communiste, c’est surtout au cours d’une démonstration qui entend montrer qu’ils en sont privés par la bourgeoisie qui s’approprie la Patrie et la Nation pour faire sien les intérêts nationaux, intérêts qui deviennent dès lors étrangers au prolétaire et la Nation avec lui.
D’autant plus que l’Histoire française est assez complexe à appréhender pour les communistes, car la Nation française, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, est née dans la Révolution.
Révolution qui, à nos yeux, reste inachevée mais dont nous revendiquons toujours qu’elle allait dans le sens du progrès et de l’émancipation universelle. « Cet air de liberté au-delà des frontières, aux peuples étrangers qui donnaient le vertige » résumait ainsi Jean Ferrat comment la Révolution Française inspira tant de révolutions nationales et dont les symboles traversèrent le monde et inspirèrent entre autres, l’émergence des drapeaux nationaux modernes sur le modèle du tricolore français et de nombreux hymnes, y compris dans les pays socialistes.
L’émergence du drapeau rouge
Les choses se bousculent lors du « siècle des Révolutions » avec l’émergence en France des courants socialistes utopistes puis matérialistes qui revendiquent de pousser la Révolution plus loin encore et qui se dotent de nouveaux symboles, dont le drapeau rouge.
Ainsi, le 25 février 1848, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, devant une foule de révolutionnaires décidés à transformer radicalement la France et abattre définitivement la monarchie et repenser la République plus encore qu’en 1793, Lamartine porte une voix de défense des symboles de la Révolution Française et de son drapeau tricolore :
« Je repousserai jusqu’à la mort ce drapeau de sang […] car le drapeau rouge que vous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars […] le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. »
Lamartine
Le discours est certainement très beau et parvient à convaincre en 1848 : à quelques voix près, le drapeau rouge échoue à devenir le drapeau national français et le tricolore s’impose à nouveau.
Mais force est de constater qu’ironiquement, l’Histoire a donné tort à Lamartine tant le drapeau rouge fut celui de toutes les grandes révolutions du siècle à venir. Il fut spontanément brandi par les révolutionnaires de tous les continents et il a flotté sur un tiers des pays du monde durant presque un siècle tandis que le drapeau tricolore, lui, se dévoyait dans l’impérialisme et son cortège de crimes coloniaux.
Un héritage en question
Mais que faire de ce patrimoine patriotique, né dans la Révolution et les Lumières contre la tyrannie monarchiste et dévoyé plus tard dans l’impérialisme ? Le rejeter ? Le condamner ? L’oublier ? Ou s’en revendiquer ? Totalement ? Partiellement ? Avec nuances ou distance ?
Le mouvement ouvrier français a beaucoup oscillé sur ces positions, après la Commune de Paris et la Révolution d’Octobre, le drapeau rouge devient sans nul doute le drapeau des révolutionnaires, mais tous les symboles ne changent pas tous ni tous au même rythme.
La Marseillaise reste un hymne révolutionnaire chanté dans le monde, elle sera même l’air sur lequel on chante l’Internationale pour les premières fois, elle sera aussi l’inspiration du chant qui deviendra le premier hymne de l’Union Soviétique sous la forme de la « Marseillaise des travailleurs », qui fut chanté en Russie en 1905,
« tous les ouvriers des usines de notre quartier, conformément à la décision du soviet, après avoir travaillé huit heures, ont quitté les ateliers et sont partis en cortège par les rues avec des drapeaux rouges, au chant de la Marseillaise »
rapporte ainsi Léon Trotsky dans son ouvrage sobrement nommé 1905.
C’est aussi les premières notes qui sont jouées lorsque Lénine arrive triomphalement en Russie le 3 avril 1917. Mais l’influence de la Révolution Française ne s’arrête pas à la Russie, que ce soit les révolutions nationalistes d’Amérique latine, de la Turquie kemaliste, de la Chine nationaliste et plus tard de nombreuses nations d’Afrique, nombreux sont les pays à s’inspirer de la Révolution Française et à s’approprier, chacun à leur manière, ses leçons, s’arrêtant à la forme République bourgeoise le plus souvent, poussant plus loin vers le socialisme d’autres fois.
Mais lors de la Révolution d’Octobre, la Marseillaise originale était devenue le chant de la mort sur le front français de cette même année 1917 où les soldats français, prolétaires et paysans majoritairement, ainsi que ceux issus des colonies sont, au nom de la patrie, envoyés aux charniers par centaines de milliers dans les no man’s land de l’Est français. Ainsi, lorsque les mutineries du chemin des dames éclatent en mai 1917, c’est d’autres chants que l’on entonne, moins patriotiques et plus pacifistes comme celui de Craonne ou l’Internationale parfois aussi…
Patriotisme et antifascisme
Après la guerre et dans la naissance du PCF en 1920, un temps le choix est fait de porter le Rouge et l’Internationale seuls, car les symboles patriotiques sont trop associés à la guerre et à l’Union Sacrée qui l’a défendue. Même les chants de Montéhus, l’un des chansonniers socialistes les plus populaires d’avant-guerre et ami de Lénine, sont écartés ou un peu transformés, ainsi le « Nous sommes la Jeune France » de la Jeune Garde devient « Nous sommes la Jeune Garde » sacrifiant la rime à l’universalisme.
C’est au cours des années 30 que les premiers changements interviennent au sein du Parti Communiste Français. Le PCF change d’approche pour mieux s’implanter et se veut devenir un « parti de masse », plus populaire, (au détriment d’un certain avant-gardisme) et commence un travail qui est au plus proche des masses ouvrières et de ce qui les réunit, intégrant aussi le sentiment national dans une perspective qui reste entièrement communiste, en voulant réaffirmer la continuité qui existe entre les Révolutions françaises de 1789, de 1830 et de 1848 et celles de 1871, de 1917 ainsi que la grande révolution communiste qui doit advenir et que le PCF appelle de ses vœux.
Le but est de créer un patriotisme prolétarien, en permettant à ces « sans-patries » que sont les prolétaires selon la formule de Marx, de s’approprier l’Histoire du pays.
Avec la montée des fascistes mussoliniens et hitlériens en Europe et l’émergence du Front Populaire qui unit la gauche en France, il semble possible pour le PCF d’assumer pleinement un patriotisme sincère, populaire et ouvrier, d’une part parce que le Parti partage le pouvoir d’État et qu’il est donc légitime à représenter la Nation, d’autre part car c’est le fascisme qui apparaît dès lors comme antipatriotique et étranger à la France.
C’est également rendu possible car l’extrême droite française du moment est en bonne partie influencée par les courants monarchistes ou bonapartistes et refuse largement les symboles révolutionnaires républicains qu’elle juge décadents, grossiers ou simplement antireligieux. C’est cette appropriation du patriotisme qui sera développée par les communistes français durant la Résistance face aux nazis où la défense de la cause nationale s’accorde d’autant plus facilement avec le combat idéologique antifasciste dans ces circonstances.
Ainsi, pendant que le patronat français se compromet dans la collaboration avec ses nouveaux partenaires, les résistants communistes s’approprient pleinement la Marseillaise, le drapeau tricolore ou encore la commémoration pacifiste du 11 novembre qui deviendra en 1940 l’objet de l’un des premiers grands actes résistants de la Jeunesse communiste française. Après-guerre, le PCF veut être le Parti qui incarne la France dans un duel mémoriel avec les gaullistes, qui finira, hélas, par être perdu.
La Marseillaise, suivie de l’Internationale
Il faut dire que c’est aussi dans la période qui suit immédiatement que le phénomène de la décolonisation entre à l’œuvre et où de nombreux pays sous domination française veulent à leur tour mener leur libération nationale (comme l’Algérie) et socialiste (comme le Vietnam). Les communistes ne pouvaient dès lors plus aussi facilement brandir le même drapeau que l’impérialisme, sinon ils couraient le risque d’être confondus avec les armées qui oppriment les légitimes aspirations à la liberté des peuples du monde.
Depuis, des ambiguïtés sur le rapport des français à leur patriotisme subsistent, elles dépassent d’ailleurs largement le cadre du PCF, en témoigne les discours de droite qui déplorent régulièrement le manque de patriotisme des français et se sentent obligé de le forcer, comme avec des propositions de loi pour imposer le tricolore dans les salles de classes, ou autres mesures sans intérêt du même genre qui animent le débat médiatique de temps en temps.
Elles témoignent aussi d’un décalage entre la droite réactionnaire qui a tout de suite vu dans les gilets jaunes un mouvement réactionnaire allié à sa cause car ils portaient le tricolore et chantaient la Marseillaise, mais dans les faits, ils se voyaient souvent plus en nouveaux révolutionnaires contre de nouveaux monarques qu’en chauvins purement réactionnaires et poujadistes.
S’il est illusoire d’imaginer que nous arracherons et récupérerons à notre compte tout ce qui forme les symboles patriotiques français à la droite réactionnaire aujourd’hui, il est aussi lâche de tout leur abandonner et de s’en séparer totalement comme s’ils étaient déjà impopulaire et dépassé dans le prolétariat moderne qui ne leur est, en réalité, pas aussi hostile qu’on a bien voulu le dire parfois.
Il faut surement veiller à ne pas ablater trop vite notre lien à la Patrie, ses origines et ses symboles – d’autant plus que nous avons hautement participé à la construire telle qu’elle est dans les conquêtes du CNR et de Mai 68 pour ne citer que ces deux évènements là – non pas pour flatter les égos du nationalisme et l’impérialisme, mais en ne les laissant pas totalement abandonnés à la réaction.
Nous avons cette forme de devoir historique de garder un pied dans le passé centenaire du PCF et presque bicentenaire du mouvement ouvrier, seule condition pour avancer de l’autre selon la formule léniniste « un pas devant les masses, pas deux ».
Pour nous, il faut le penser ainsi : la Marseillaise n’a de sens que suivie de l’Internationale comme la Révolution bourgeoise nationale n’a de sens que par ce qu’elle a permis et permet encore d’avancer vers la Révolution communiste internationale.