Le traitement cinématographique des faits réels : un changement de temporalité au cinéma

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Le traitement cinématographique des faits réels : un changement de temporalité au cinéma

Le cinéma, comme tout art, s’est toujours ancré dans son époque et l’actualité de celle-ci devient alors un outil et une toile de fond à la narration, sans en devenir l’objet. Mais le cinéma aime aussi adapter des faits réels à l’écran, parfois sans même attendre la fin des faits en question. On remarque alors que le traitement de ces faits réels est de plus en plus en court.

La fiction bouscule le temps judiciaire

Dernier exemple en date, le dernier film de François Ozon “Grâce à Dieu”. Récompensé de l’Ours d’argent au Festival de Berlin. Il met alors en scène le scandal de pédophilie dans l’Église au diocèse de Lyon, où le père Preynat est accusé d’avoir agressé et violé une centaine de garçons scouts et enfants de coeur, affaire étouffée par le cardinal Barbarin. Le film, tourné dans le plus grand des secrets, sort en salle alors même que le procès concernant cette affaire n’a pas encore de date prévue. Cette temporalité a même failli retarder sa sortie en salle. Le juge a toutefois considéré que la temporalité de la justice était trop longue pour être attendue !

Le 6 février 2019 est également sorti Une intime conviction d’Antoine Raimbault dans lequel il met en scène l’affaire Jacques et Suzanne Viguier. Ici, il ne s’agit pas de reproduire les faits comme ils se sont passés mais d’utiliser cette affaire au service de la fiction. Le personnage principal interprété par Marina Foïs est alors complètement fictif. En revanche, le film utilise une partie des vraies écoutes téléphoniques réalisées pendant l’enquête et c’est pourquoi Olivier Durandet, ancien amant de Suzanne Viguier a assigné en justice la production et la distribution du film. La décision du tribunal de grande instance de Paris a là aussi été de laisser sortir le film en salle.

En 2014, André Téchiné sortait L’Homme qu’on aimait trop, film sur l’affaire Maurice Agnelet et Agnès Leroux.  Alors qu’aucune preuve ne permettait de prouver la culpabilité de Maurice Agnelet du meurtre d’Agnès Leroux pendant 50 ans, le calendrier a fait que le film est sorti alors même que de nouvelles preuves ont permis de le condamner. Ici, la fiction prenait alors de l’avance sur la réalité en concluant le film par sa condamnation.

La mise en scène du présent

Ainsi, on voit que les faits divers et plus généralement le fait d’actualité  inspirent largement les cinéastes, mais surtout de plus en plus rapidement. Ils et elles s’emparent alors des sujets alors même que les affaires sont toujours en cours.

Même chose du côté des faits marquants de l’actualité dont le cinéma s’empare de plus en plus vite. En ce moment même, alors que la mobilisation des gilets jaunes n’est pas finie, François Ruffin (Merci Patron !) et Gilles Perret (La Sociale) ont sorti  un documentaire sur ce mouvement social. On peut alors s’interroger sur cette tendance à traiter aussi rapidement l’actualité au cinéma. Il ne s’agit alors pas de juger la qualité cinématographique de l’oeuvre, de savoir si elle est mauvaise ou non mais plutôt de se questionner sur la responsabilité du cinéaste.

De même, il ne faut pas attendre 2002 pour que la fiction s’empare des attentats du 11 septembre 2001 avec 11’09”01 film composé d’une série de courts-métrages de réalisateurs du monde entier qui livrent leur vision des attentats.

Début 2017, année de l’élection présidentielle en France sort le film Chez Nous de Lucas Belvaux qui témoigne de la montée de l’extrême-droite dans le Nord Pas de Calais. Il y montre alors un parti d’extrême-droite dont la dirigeante et les pratiques ressemblent, sans réellement le cacher, au Rassemblement National (encore FN au moment de la sortie du film). Des membres du FN s’étaient alors indignés de la sortie du film sans même l’avoir vu.

Le cinéma  brouille la ligne entre fiction et réalité

Pour reprendre le premier exemple, Grâce à Dieu de François Ozon est un film nécessaire dans son traitement de libération de la parole sur la pédocriminalité dans l’Eglise. Dans la mesure où le film ne prend pas d’avance sur la justice, la responsabilité du cinéaste réside surtout dans son traitement de la parole ce qu’il réussit très bien.

En revanche, dans le cas d’Une intime conviction, un autre problème se pose. Celui du mélange de la fiction et de la réalité. Ce dernier implique alors que le spectateur ou la spectatrice soit bien renseigné·e sur le sujet de l’oeuvre pour ne pas faire d’amalgame entre les deux. Cette confusion peut alors créer une déformation de la réalité, et c’est là que la responsabilité du ou de la cinéaste entre en jeu. Il faut alors veiller à ce que le spectateur saisisse bien la frontière entre le réel et le fictif. Le mélange entre information et fiction n’est pas sans créer une certaine confusion sur les faits alors que la diffusion de fausses nouvelles gagne en importance. C’est également la délivrance d’une image faussée du fonctionnement judiciaire, dont la théâtralisation excessive et souvent fondée sur le modèle anglo-saxon conduit à une incompréhension du fonctionnement réel de la justice.

Pourtant, un film, dans sa qualité d’oeuvre d’art est avant tout un regard sur une histoire, d’un point de vue légal il n’est pas tenu de respecter exactement le déroulement des faits, sauf si la question de droits d’auteurs se pose dans le cadre d’une adaptation. Le contrat de confiance qui se créait entre cinéastes et spectateurs est purement abstrait. Le réalisateur n’est en aucun cas tenu de rendre compte de la réalité et il est de sa responsabilité propre (mais aussi de celle de la production) de respecter ou non ce qu’il s’est réellement passé.

Les faits réels, pas toujours gage de qualité cinématographique

A ses débuts, le cinéma reposait beaucoup sur l’adaptation de nouvelles, romans, tragédies et pièces de théâtre. La question du traitement de l’actualité se posait alors moins dans l’oeuvre de fiction. Toutefois les séances de cinéma s’ouvraient par des brèves d’actualités, dans une sorte de journal télévisé avant l’heure. La problématique de l’actualité ne se posait pas moins dans le fait d’aller au cinéma que dans le cinéma en tant qu’art.

Par ailleurs, on observe depuis une vingtaine d’années une accélération du traitement cinématographique des faits d’actualité, notamment dans le cadre d’affaires judiciaires. Cette volonté de traitement du fait divers ne relève pas d’une démarche documentaire. L’enjeu n’étant pas tant d’expliquer des instructions souvent très complexes ou d’éventuels débats juridiques mais de retranscrire un point de vue sur un fait marquant. La fiction permet alors de se libérer du temps judiciaire et de sa réalité, de théâtraliser de façon plus moderne la justice et de la dépasser quand cela semble nécessaire. Ce détachement de la réalité permet d’aller plus vite que la justice mais n’est pas sans risque.

A l’inverse ce n’est pas toujours un gain pour la fiction. Les films ainsi faits tombent souvent dans une certaine paresse artistique entraînant des lourdeurs, le Procès du Siècle en est un bon exemple. L’accentuation puéril du caractère méchant du protagoniste vire à un affrontement manichéen dépassant l’enjeu judiciaire. On échappe rarement à la scène du doute, celle de la séance de travail nocturne de l’avocat, celle de l’exemplarité du juge totalement impartial, etc. Le film sur faits réels devient rapidement sa propre caricature dont l’intérêt réside dans la mention “basée sur une histoire vraie”. La volonté d’entretenir un suspens sur une conclusion connue est également l’écueil dans lequel trop de ces films tombent brouillant parfois totalement un traitement qui aurait pu être intéressant à l’instar de Walkyrie dont la fin relève d’une connaissance basique de l’Histoire.


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