En février 2017, un habitant du 18e arrondissement de Paris proposait « la démolition totale de la basilique du Sacré Coeur » sur la plateforme de budget participatif de la Ville de Paris. La proposition suscite débat en rappelant l’histoire du monument, érigé en 1923 pour célébrer l’écrasement de la Commune de Paris de 1871. Le projet totalisait alors le plus grand nombre de mentions “J’aime” parmi les 2 448 projets soumis. A peine trois ans plus tard, le bâtiment appartenant à l’archidiocèse de Paris est en voie d’être classé monument historique sur décision du préfet d’Ile-de-France, avec le soutien de la Ville de Paris et l’accord de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot.
L’association “Les amies et amis de la Commune de Paris 1871” a publié une pétition pour demander l’abandon du projet. Face aux tentatives de faire mentir l’histoire, la pétition précise que “la basilique dite du « Vœu national » avait pour objectif avéré d’expier la « déchéance morale » provoquée par les révolutions égrenées depuis 1789”.
Négation de l’histoire
Par son histoire, la basilique reflète un « ordre moral » conservateur, rétrograde et profondément religieux dont le pouvoir s’étend suite à l’écrasement de la Commune. La construction du bâtiment s’inscrit également dans le cadre de ce qui a été appelé la « recharge sacrale », programme engagé en réaction à la désacralisation des pratiques cultuelles opérée par la Révolution Française.
Aujourd’hui, le gouvernement semble pourtant tenter un numéro d’équilibriste pour estomper, par le discours, le lien consubstantiel unissant l’histoire du bâtiment au déchaînement abject de violence que fut l’écrasement de la Commune. Pour Roselyne Bachelot, ce lien mémoriel pourtant indéniable, relève d’une « mauvaise lecture de l’histoire ». Pour la Ville, le classement de la basilique au monuments historiques se justifierait du point de vue du « geste architectural », selon les propos de l’adjointe chargée du patrimoine de la Ville de Paris rapportés par le magazine Marianne. Pour le journal le Monde, le lien historique entre la Commune de Paris et la basilique du Sacré-coeur relève tout bonnement de la croyance ! Le bâtiment ayant « longtemps été associé à la Commune de Paris », la « croyance publique » (autant dire l’ignorance) aurait retardé son classement aux monuments historique qui allait pourtant de soi. Cette affirmation s’appuie sur un seul argument, à savoir que la décision d’édifier la basilique aurait été prise dès 1870. On voit mal comment ceci empêcherait la Basilique d’être dotée de la portée idéologique et symbolique explicite qui est sienne depuis les lendemains de l’écrasement de la Commune de Paris. C’est dire la faiblesse de l’argumentaire du grand quotidien national.
Quelle justice pour les victimes ?
Au-dessus du choeur de la basilique, partie de la nef où se trouve le maître-autel, le visiteur peut lire une inscription latine : « Gallia poenitens » (La France repentante), gravée dans la pierre. Il est entendu par là que la France aurait eu à expier l’expérience révolutionnaire et démocratique extraordinaire que fut la Commune de Paris et qui marqua non seulement la France, mais le monde entier. Sa brève durée (35 jours) n’enlève rien aux avancées sociales qu’elle a léguées à l’histoire : création d’un véritable code du travail, séparation de l’Eglise et de l’Etat, instruction gratuite et accessible à toutes et tous…
Il est curieux par ailleurs de se rappeler aujourd’hui qu’une résolution adoptée par l’Assemblée nationale en 2016 avait pour objet de rendre justice aux victimes de la répression sanglante de la Commune de Paris de 1871 ! Ceci ne cadre à l’évidence d’aucune façon avec la volonté actuelle de classer la Basilique du Sacré-coeur aux Monuments historiques, lui conférant ainsi un statut « d’intérêt général » sur fond de rejet ministériel de toute approche critique de l’histoire. L’insulte faite à la mémoire des victimes de la répression de la Commune culmine véritablement dans l’abject lorsqu’on lit que le site du Sacré-Coeur sera « associé au 150e anniversaire des événements de la Commune, commémoré en mars 2021 » selon “Le Monde”. “Fin 2020, la réponse est donnée : ce sont les massacreurs que l’on veut mettre en valeur ; c’est toujours l’anti-Commune que l’on entend commémorer” conclut la pétition lancée par Les amies et amis de la Commune.
L’attractivité touristique
Le fait que la basilique soit le « deuxième lieu le plus visité de la capitale, après la cathédrale Notre-Dame », devant le Louvre et la Tour Eiffel, est sans doute pour quelque chose dans la volonté des pouvoirs publics de classer le bâtiment. Les quelques dix millions de visiteurs et de pèlerins représentent sans doute aux yeux du gouvernement une manne économique dont il convient d’entretenir la flamme. De plus, le gouvernement actuel semble se montrer particulièrement réceptif à l’argument de l’attractivité touristique comme en témoigne l’importante enveloppe allouée au patrimoine dans le dernier budget de la Culture. Grâce à son inscription aux monuments historiques, l’archidiocèse de Paris, gestionnaire du bâtiment, pourra « bénéficier de subventions de l’Etat en cas de travaux de restauration (jusqu’à 30 % du montant pour les immeubles inscrits, 50 % pour les immeubles classés) », de quoi assurer un cadre propice au tourisme.
Dans un texte de jeunesse, « Aux Enfants Rouges », Louis Aragon écrivait en 1932 :
« Pour faire oublier la Commune,
Le Sacré-Coeur a vu le jour.
Un beau soir, il aura son tour,
Ce gâteau blanc comme la lune! »
C’est bien tout ce qu’on lui souhaite.