A l’occasion du centenaire du Mouvement Jeunes Communistes de France, Avant-Garde a rencontré Alban Liechti, soldat du refus.
Avant d’être un soldat du refus, que faisiez-vous ?
J’ai eu la chance de naître dans une famille de 9 enfants, j’étais l’aîné des garçons et cela me donnait une responsabilité importante car je devais donner l’exemple. Mais surtout, j’ai eu des parents exceptionnels : nous avons été élevés dans des valeurs de paix, de liberté et d’amitié entre les peuples. Mes parents avaient agi dans la résistance contre l’occupant nazi, ce qui a marqué mon enfance.
En 1956, lorsque j’ai pris la décision de refuser de porter les armes, j’étais un jeune de 20 ans qui avait toute sa vie devant lui. Je venais de rencontrer Yolande, qui deviendra plus tard mon épouse, et je pensais encore à ce moment que nous pourrions rester ensemble, ce qui me rendait heureux.
Je n’aspirais pas à être le premier soldat à refuser de participer à la guerre d’Algérie. Je n’avais jamais non plus pensé à être le premier, et je n’ai pas souhaité être le seul à m’engager dans cette action quand même assez exceptionnelle à l’époque.
Qu’est-ce qui vous pousse à prendre la décision de refuser la guerre ?
Ce choix n’est pas apparu de nulle part. A l’époque, j’étais membre du Mouvement de la Paix, de l’UJRF [ndlr : Union de la jeunesse Républicaine de France, nom du Mouvement des Jeunes Communistes de France entre 1945 et 1956] et du Parti Communiste Français.
J’ai participé à la bataille pour la libération d’Henri Martin et de Raymonde Dien. J’ai participé à de nombreuses manifestations contre les guerres impérialistes des années 50. En 1952, j’ai participé à la manifestation contre la venue du général Ridgway en France, nous protestions contre l’implication américaine dans la guerre de Corée, à cette occasion j’ai été blessé à la main par un coup de baïonnette.
Etant donné mon engagement, je ne voulais pas à mon tour participer à l’oppression du peuple algérien dans laquelle je reconnaissais l’oppression que nous avions nous-mêmes vécue lors de l’occupation de notre pays par l’armée allemande. Je ne voulais pas qu’on puisse me confondre avec des soldats qui torturaient, humiliaient et tuaient. Il m’était intolérable de combattre un peuple dont les aspirations à la liberté et à l’indépendance me semblaient justes, je ne pouvais supporter que l’on s’en prenne à des populations civiles, à des femmes et des enfants.
Au même moment, les révoltes des rappelés sont des protestations massives, est-ce que l’opinion bascule au même moment ? Vos revendications sont-elles populaires ou vont-elles prendre du temps avant de convaincre ?
Les manifestations de rappelés étaient importantes, mais insuffisantes pour faire basculer l’opinion publique et changer les choses. Les soldats qui ont refusé de combattre étaient peu connus et les refus ont pris du temps à se multiplier. J’ai recensé 46 soldats qui ont fait le même choix que moi. La plupart ont eu la même démarche : ils ont adressé une lettre au président de la République pour exprimer leur refus de participer à la guerre.
Et du côté Algérien, quel est le sentiment général ?
Il m’est difficile de parler de l’opinion des Algériens sur les soldats du refus. Au moment des faits, la plupart d’entre eux ne nous connaissaient pas du tout. Je n’avais pas accès à beaucoup d’informations sur ce qu’il se passait parmi la population.
En revanche, avec les algériens que j’ai côtoyés en prison, nous discutions et lorsque j’expliquai ma démarche, ils la comprenaient et comprenaient qu’il existait des français qui soutenaient sincèrement leur lutte. Dans ces moments, nous devenions des « frères de combat », comme nous nous appelions entre nous.
Les jeunes communistes, et d’autres partis et associations, particulièrement le Secours Populaire, vont organiser la solidarité autour de vous et de vos camarades, quel impact vont avoir ces campagnes ?
Au début, mon initiative était individuelle, bien que j’en aie parlé à ma famille, à Yolande et à mes amis et camarades du Parti. Je savais que, le moment venu, je serais soutenu.
Les campagnes de solidarité autour de nous ont été très importantes à partir de 1957 où le Parti Communiste prend la décision de mener la campagne en faveur de la libération des « soldats du refus ».
Ces campagnes nous ont vraiment aidé à mieux tolérer nos privations de libertés. Malgré la prison, nous savions que nous n’étions pas seuls. Elles ont montré que le refus de participer à cette guerre devenait important et nécessaire.
Le fait d’être devenu le symbole d’une jeunesse qui refuse la guerre va-t-il amplifier la répression à votre égard ?
Pour les autorités, j’étais vu comme le meneur d’un mouvement de désobéissance auquel il fallait mettre un terme. Cela a bien entendu participé à amplifier la répression à mon égard. En 1957, j’ai été transféré plusieurs fois dans différentes prisons. Au centre pénitentiaire de Berrouaghia, les violences sur les prisonniers étaient régulières. A Carcassonne, à l’inverse, j’étais isolé de tous.
Cependant, comme j’avais adressé mon refus directement au président de la République, mon sort dépendait directement de lui et les militaires étaient obligés de prendre en considération le caractère politique de ma condamnation. Malgré leurs réticences, ils devaient le respecter. Il en allait de même pour les autres soldats du refus.
Après ma première condamnation, j’ai pu me marier avec Yolande en 1958 avant de refuser à nouveau de porter les armes et d’être à nouveau condamné à 2 ans de prison. Mes demandes de sorties exceptionnelles ont été systématiquement refusées, elles m’ont empêché de voir mon épouse et d’être présent à la naissance de mon fils Vincent en 1959. Après ma libération le 14 mars 1961, j’ai été affecté systématiquement au poste d’éclaireur, la position la plus dangereuse, en guise de répression. Malgré tout, je n’ai pas changé d’attitude, je portais bien une arme mais je refusais qu’elle soit chargée.
Aujourd’hui, que retenez-vous de cet engagement aux jeunes communistes et particulièrement de l’engagement pacifiste ?
J’ai poursuivi toute ma vie la lutte contre toutes les guerres et les armements. Je sais avec quelle conviction les communistes français se sont toujours mobilisés pour la liberté, la paix et l’amitié entre les peuples. Je n’ai jamais abandonné de croire à la perspective d’un monde d’égalité et de paix. Malgré toutes les souffrances, malgré les guerres, les possibilités d’amitié demeurent toujours, surtout quand nous savons d’abord prouver la nôtre.
Mais cette lutte n’est pas terminée, elle est encore très actuelle et elle est toujours aussi nécessaire à l’Humanité, c’est pourquoi il faut la poursuivre et que de nouvelles générations s’impliquent à leur manière comme nous avons su le faire à la nôtre en notre temps.