Dimanche 20 juin avait lieu le premier tour des élections régionales et des élections départementales en France. Nous revenons sur ce scrutin important marqué à la fois par une très forte abstention et une mise en échec des sondeurs qui n’ont pas vu leurs estimations se concrétiser.
Une abstention record
Le premier point retenu par tous les commentateurs est l’abstention massive. En effet, à peine 1 électeur sur 3 s’est rendu aux urnes. Sur les plateaux de télévision, comme sur les réseaux sociaux, chacun y est allé de son petit commentaire et de son analyse personnelle : tantôt la faute des français inconscients des enjeux ou incapables de les saisir, tantôt, ce serait la faute de l’offre politique, pas assez variée, ou trop variée, des politiciens pas assez unis ou trop tambouillards avec des rassemblements ou divisions à géométrie variable.
Ce serait aussi la faute des médias, qui n’ont pas fait vivre le débat sur les enjeux des élections, ou la faute des médias qui ont trop relayé les sondages, laissant penser que tout était joué d’avance. Ce serait la faute de l’organisation du scrutin, mauvais timing, découpage électoral absurde, mauvaise gestion de la distribution du matériel de propagande, etc.
Bref, des analyses qui à droite et à gauche semblent davantage dire tout et son contraire sans que personne parvienne vraiment à saisir la recette exacte du cocktail de facteurs qui, sur tout le territoire, a conduit à ce que seule une minorité de l’électorat n’en vienne à se déplacer pour faire le choix d’un binôme aux départementales et d’une liste aux régionales.
La question qui demeure et que peu semblent poser reste donc : est-ce que l’électorat qui s’est déplacé est représentatif de celui qui ne s’est pas déplacé ?
Difficile de ne pas déplorer l’abstention, mais les scores sont là, et à part une minorité d’illuminés, personne ne peut sincèrement croire à un « parti de l’abstention » qui réunit les aspirations de 2 tiers de l’électorat.
Dans un pays comme la Belgique où le vote est obligatoire et où la situation économique et politique est relativement proche de celle de la France, il n’y a pas de vague du vote blanc ou d’un vote contestataire sur un seul parti qui remplace l’abstention. Lorsque l’électeur se rend aux urnes, contraint sous peine d’amende, il y fait un choix parmi l’offre la plupart du temps et n’a pas un comportement de rejet unilatéral de l’élection.
Tergiverser sur l’abstention pour se rassurer d’imaginer qu’elle invalide « le système » est aussi stérile que de totalement l’ignorer. Elle traduit bien un dégoût, un désintérêt ou un sentiment d’impuissance citoyenne et donc une crise de la démocratie et de l’expression dans celle-ci, mais en aucun cas une quelconque victoire d’un élan anti-système. Elle est même plutôt un échec de ce point de vue, car le vote est certainement pour la plupart des citoyens le niveau minimum d’implication dans la vie politique, et cela traduit donc plutôt une résignation majoritaire, qu’une combativité générale.
Ce qui est donc plus net, c’est que les électeurs qui se sont déplacés ont été ceux qui, par leur position sociale ou leur implication politique, ont été les plus déterminés et mobilisés.
L’échec inattendu du RN
Le RN était donné par les sondages en grand conquérant et premier dans de nombreuses régions, mais il n’en est rien. À l’exception de la région PACA où son alliance derrière le très bourgeois Thierry Mariani le place premier en ballotage défavorable, le RN échoue à faire les scores attendus partout où il était donné très haut dans les sondages.
Dans les Hauts-de-France, les scores sont inversés par rapport à 2015, c’est la droite de Xavier Bertrand qui rafle 15 % de plus et le RN presque 20 % de moins. Ce nouveau rapport de force permet à la gauche unie derrière la candidate EELV Karima Delli de se maintenir au second tour, malgré un score inférieur à celui attendu (et inférieur également au cumul de scores individuels des différents partis de son alliance en 2015), et d’éviter le scénario de disparition de la gauche au Conseil régional qui avait eu lieu en 2015.
Aux départementales, sur tout le territoire, le RN est même balayé. Dans un département comme le Pas-de-Calais où il était très attendu, la comparaison avec 2015 est claire : le RN recule et n’est plus premier que dans deux bastions à Hénin-Beaumont et à Bruay-la-Buissière, il est devancé dans tous les autres, y compris là où ses conseillers sont sortants, même si rien n’est joué, l’alliance Rose-Rouge fait de meilleurs scores au premier tour.
Au RN, les chefs déboussolés qui n’ont majoritairement fait campagne qu’en surfant sur les sondages et en occupant un espace disproportionné dans les médias complaisants n’ont pu qu’accuser les électeurs pour expliquer ce recul, les appelants au « sursaut » ou au « réveil » dans le classique des pires rhétoriques dépolitisantes et autoritaires.
Triomphe de la droite, mais échec des candidats LREM
Beaucoup plus attendus, les échecs du parti de la majorité présidentielle ont été cinglants, LREM est perdant partout et incapable de se maintenir au second tour dans des régions clé comme les Hauts-de-France où leur campagne a pourtant été hautement médiatisée avec pas moins de 5 ministres impliqués pour un résultat sous les 10 % et une impossibilité de se maintenir au second tour à la clé.
Peu de raison de se réjouir en revanche, c’est la droite qui a le plus fortement bénéficié de ce discrédit. À l’échelle du pays, elle réalise le score le plus haut avec presque 30 % de l’électorat national et devrait pouvoir gagner dans la majorité des régions et des départements où elle est sortante. Il n’y a qu’en Île-de-France et en Pays de la Loire où elle est encore véritablement menacée.
Résistance salutaire à gauche
L’autre surprise, c’est la résistance des sortants de gauche et certaines dynamiques de gauche dans le pays, notamment aux départementales (il n’est pas rare que là où la droite triomphe à l’échelle régionale, localement, dans leur canton, les électeurs aient fait un autre choix plus à gauche). Dans les régions où la gauche est sortante, elle repart en tête, parfois très largement, même lorsqu’elle était donnée largement perdante : en Bretagne, en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie, en Centre-Val-de-Loire et en Bourgogne-Franche-Comté la gauche arrive en tête, avec probablement des victoires à la clé.
Mais c’est bien la gauche issue des classiques alliances PS-PCF qui fait les meilleurs scores lorsqu’elle est sortante, la FI ne crée aucune surprise, s’écrasant dans les régions de Nouvelle Aquitaine et d’Occitanie avec des scores d’environ 5 % très inférieurs aux espoirs. En fait, la seule région dans laquelle la liste soutenue par la FI arrive en tête de la gauche, c’est la région des pays de la Loire où elle a soutenu le candidat Matthieu Orphelin, c’est-à-dire celle où elle a soutenu un député ex-LREM qui a voté les budgets austéritaires des gouvernements Macron-Philippe…
À noter également, les scores très honorables de Lutte Ouvrière, qui couleur rouge et faucille et marteau sur le bulletin de vote, bien que très minoritaire, avait présenté des listes dans toutes les régions et obtient des scores honorables de + de 3 % dans les Hauts-de-France et en Normandie et plus de 230 000 électeurs au niveau national soit une augmentation d’environ 60 000 électeurs par rapport aux européennes de 2019 où l’abstention avait pourtant été moindre dans le pays.
Les alliances PCF-LFI sans autres composantes de gauche fortes n’ont de leur côté pas été aussi payantes au niveau régional : en Normandie, le candidat du PCF Sébastien Jumel même s’il progresse par rapport à 2015, ça ne lui permet pas de se maintenir au second tour et permet au PS arrivé en tête de lui refuser la fusion en dépit de tout bon sens et de tout respect. En région Auvergne-Rhône-Alpe, la candidate PCF soutenue par la FI progresse légèrement. En Ile-de-France, le PCF derrière la candidate de la FI Clémentine Autain progresse d’environ 3 à 4 % par rapport à l’alliance Front de Gauche de 2015 et atteint 10,5 %, soit le moins bon score des 3 listes de gauche et écologiste. En cas de défaite face à Pécresse, le PCF, déjà présent dans l’opposition régionale, devrait stagner en nombre d’élus, et presque doubler en cas de victoire de la gauche unie derrière le candidat EELV Julien Bayou au second tour.
Au niveau des départements, la gauche devrait se maintenir là où elle est sortante et certains départements peuvent être conquis. Le seul département dirigé par un communiste, le Val-de-Marne, est néanmoins toujours en grand danger de bascule, bien que, contrairement aux attentes, rien ne soit encore joué et que la présidence à gauche peut être maintenue. Les divisions à gauche ont pollué la campagne à Vitry et les communistes vont perdre quelques cantons du département. La bataille à Champigny sera largement déterminante.