L’été voit les possibilités d’hébergements militants se réduire et des familles se retrouvent à la rue. Sans-papier, demandeurs d’asile ou même naturalisés, ils sont les premières victimes des carences de l’état en matière de logement.
Mercredi 18 août 5h45 le soleil n’est pas encore levé alors que le campement des migrants sans-abris, situé dans le coin nord-est du Parc de la Villette dans le 19e arrondissement, est une véritable ruche. Les migrants et les membres d’Utopia 56, association d’aide aux migrants qui encadre depuis jeudi dernier une occupation pacifique dans un des 33 espaces verts du plus grand parc de Paris se prépare pour l’évacuation du campement prévue par la Préfecture de Police. Guidé par leur lampes et la lumière de leurs téléphones, ils se mettent à démanteler des tentes et rouler des plaids. Les banderoles aux slogans comme “Tentes plantées pour être hébergées”, “camper pour être visibles” et “Familles à la rue !!!” restents suspendues. Quelques minutes avant six heures, Florent 23 ans et Julie 26 ans, deux militants d’Utopia 56 qui paraissent être à la direction de l’initiative, rassemblent tout le monde pour une Assemblée générale.
“Dans quelques instants, la Préfecture va arriver avec l’organisation France Terre d’Asile (FTA) et des représentants de la mairie” expliquent-ils, d’abord en français, puis en anglais. Ensuite Sediqi Howaida, 21 ans et originaire d’Afghanistan traduit en allemande et Kalifa, 25 ans et originaire de Yémen en arabe et en somali. “Vous aurez le choix,” poursuivent-ils, “soit de monter dans les bus et accepter les solutions qu’ils vous offrent, c’est-à-dire une place dans une centre d’hébergement d’urgence pendant deux semaines. Sachez que si vous acceptez et vous décidez plus tard de partir avant la fin de ces deux semaines, la Préfecture ne va pas vous offrir d’autres options. Soit vous restez avec nous, et nous resterons avec vous pour reconstruire le campement ailleurs. Ce sont des choix individuelles et chaque personne devrait faire son choix individuellement. Est-ce que vous avez des questions ?”
Le silence qui s’en suit n’est rompu que par les chuchotements des familles qui discutent entre elles et les pleurs d’un bébé.
“Nous avons ici une quarantaine de familles, couples et femmes seules” m’avait expliqué Florent dimanche, quand je suis venu pour une première fois pour observer le camp avec une petite délégation des camarades de la section PCF du 19e. Julie m’a confirmé les chiffres : “Au total ils sont 216 personnes, dont une dizaine de femmes enceintes et 91 enfants, un peu plus d’un tiers desquels ont moins de trois ans.”
Peu après qu’elle m’a précisé ces chiffres, un homme et une femme portant un enfant de moins d’un an dans ses bras se sont approchés à la table parsemée des crayons et du papier pour les enfants.
“Ma famille veut s’inscrire pour avoir une tente” dit une fille si petite que je ne l’ai même pas vu s’approcher. Elle est la seule de sa famille à parler français et c’est elle qui a aidé ses parents jusqu’à présent dans leur démarches administratives. Leur arrivée signale un changement de plus dans les statistiques du camp : ils sont désormais 220 dont 93 enfants.
Majoritairement originaires d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie — des zones géographiques qui ont été depuis longtemps l’objet d’une exploitation impérialiste des ressources par les États-Unis et les pays occidentales européennes — ce groupe ne représente qu’un petit échantillon des centaines des migrants sans abris qui sollicitent l’association Utopia 56 chaque soir et dont la moitié sont des enfants.
“Notre association a créé un réseau solidaire d’hébergeurs citoyens” m’explique Florent. “Ce sont des personnes qui se disent d’accord d’héberger des femmes ou des familles, parfois dans une chambre supplémentaire s’ils en ont, pendant des courtes périodes. La solution idéale sera évidement des logements permanents, mais cette alternative est tout même mieux plutôt qu’elles dorment dans la rue. Le problème est, comme c’est l’été, que beaucoup de nos bénévoles sont en vacances et donc on a rencontré une pénurie de logements.”
Avec l’installation de ce campement dans un lieu apprécié des parisien·ne·s et des touristes, propriété du Ministère de la Culture, l’association voulait attirer l’attention de l’État sur la situation catastrophique de l’accueil des exilés. Cette action suit une première en début juillet, quand Utopia 56 a décidé de monter un campement à Porte d’Aubervilliers pour visibiliser leur situation auprès du grand public et des autorités responsables.
Vendredi, Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris chargée de la solidarité, des familles et de la petite enfance, est venue avec une délégation. “Elle nous a expliqué qu’il n’y avait que peu de choses qu’ils puissent faire” me raconte Florent, un ton amer. “Il nous a dit qu’il n’y avait pas les subventions, pas assez de places… enfin, toujours les mêmes excuses.”
Le statut irrégulière des femmes et familles dormant dans la rue représente l’un des obstacles principales à l’obtention des logements. Cependant la régularisation est loin d’être une panacée, comme en témoigne le cas de Hasina, 42 ans et naturalisée. Elle et ses deux enfants, neuf et six ans respectivement, recherchent un logement depuis presque dix mois, ayant fait une demande d’urgence auprès du Droit à l’hébergement opposable (DAHO) en novembre 2018. Toujours sans réponse. “Je demande juste un toit, de ne pas dormir à droite et à gauche, ce n’est pas une vie pour mes enfants” me dit-elle.
Dalandi, 26 ans, originaire de Nigeria est enceinte de neuf mois et pourrait accoucher d’un jour à l’autre. Elle est accompagnée par son époux, Steven, 32 ans de Ghana et leur fils Godwin qui a 3 ans. Leur famille cherche depuis leur arrivée en France en juin, après d’être passée par la Libye et l’Italie. “On cherche juste la paix” m’explique Dalandi. “Nous voulons un toit pour nos enfants, nous voulons les inscrire à l’école et qu’ils apprennent le français.”
La présence de Steven accorde à la famille un certain niveau de sécurité que beaucoup n’ont pas, plus d’un tiers des femmes sur le campement sont seules ou avec des petits enfants. A titre d’exemple une femme seule, âgée de 20 ans qui ne souhaite pas que j’utilise son prénom me raconte: “J’ai peur. Je suis rapide, je peux spriter s’il faut, mais je suis une fille et je suis seule. Je dois parfois dormir dehors et j’ai peur des mecs qui me harcèlent ou pire.”
Entoumba, 20 ans et accompagnée par ses trois enfants, me raconte une autre histoire illustrant brutalement les dangers de la vie dans la rue : “Une nuit, alors que je dors avec mes enfants près de la station Rosa Parks [RER E] un homme a coupé ma tente avec un couteau. Il nous n’as pas fait de mal mais il a volé un sac avec nos documents et nos téléphones. Quand même il aurait pu nous tuer.”
Déjà en 2015, un rapport du Comité de suivi de la loi Dalo sonne l’alarme quant à la hausse des sans-abris en France. Xavier Emmanuelli, président du comité, ne mâche ses mots quant au lien entre cette hausse et les politiques de libéralisation menée par des administrations successives : “La crise persistante de l’hébergement est la conséquence directe de l’augmentation de la pauvreté, de la précarité et du chômage, frappant durement les plus fragiles.”
Selon un enquête mené par l’INSEE, le taux de sans-domiciliation a explosé, augmentant par 84 % entre 2001 et 2012, et ce malgré le fait qu’un SDF sur trois a un emploi. Et pour couronner le tout, l’Atelier parisien d’urbanisme estime que 15% de tous les logements à Paris sont vide, avec plus d’un quart de logements vides dans les premiers quatre arrondissements parisiennes, soit 205 000 logements inoccupés dans la capitale.
Pour combattre cette situation une poignée des solutions ont été proposé. Le 4 juillet 2017, le Conseil de Paris a voté une proposition du groupe communiste de d’une multiplication par quatre des taxes sur les résidences secondaires et les logements vacants dans la capitale. “Pour une surtaxe moyenne actuellement de 600 euros, cela reviendrait à payer 2 500 euros”, a précisé l’élu PCF Jacques Baudrier à FranceInfo. “Ce montant inciterait vraiment les propriétaires à louer ou vendre leur logement et ainsi libérer des milliers de logements.”
En septembre de l’année dernière, Patrice Bessac, le maire PCF de Montreuil (Seine-Saint-Denis), avait essayé une approche encore plus directe, en réquisitionnant les locaux vide de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, propriété de l’État, pour reloger les résidents d’un foyer de travailleurs migrants. Cette dernière, suivait la signature d’un arrêté “d’extrême urgence pour risque grave de sécurité” afin de rendre le foyer Bara, situé dans la rue du même nom, officiellement inhabitable et était autant une réponse au non-logement qu’au mal-logement, un autre problème qui touche les migrant·e·s et personnes en situation irrégulière.
Aujourd’hui, l’estimation du nombre de sans-abri à Paris est de 5 000, chiffre qualifié de «pas solide» par les associations. Selon des chiffres que me donne Amandine Martin, cheffe du Service régional de communication interministériel qui est présente lors de l’évacuation du campement de la Villette, entre 900 et 1 300 de ce 5 000 sont des migrants sans papiers, selon des estimations de nombre de tentes comptées.
La Préfecture, la mairie et FTA arrivent qu’à partir de 7h20, précédés par une cortège de policiers en tenue antiémeute qui encerclent le campement. Malgré ce moment de tension, l’évacuation se déroule dans le calme. Les représentants de la mairie et de FTA se preséntent aux militant.es d’Utopia 56 qui reviennent souriants des négociations. L’offre est mieux qu’attendu : en plus d’une accueil inconditionnel pour tous les personnes sur le campement, y compris ceux en situation irrégulière, les pouvoirs publics proposent de prolonger la promesse d’hébergement de deux semaines à un mois. Deux femmes sans papiers enceintes de neuf mois vont être immédiatement admis à l’hôpital. C’est une petite victoire pour Utopia 56.
Avant de monter dans les bus les familles embrassent les militant.es d’Utopia 56 et les nouvelles amitiés formés pendant leur résidence dans le camp. Les yeux rouges des larmes, Hanae Malovic, 25 ans et responsable des familles pour l’association me confesse que la volonté de l’association de reconstruire rapidement le campement ailleurs à sans doute mise la pression sur le mairie et la préfecture. “On est content de leur offre mais, d’ici à deux jours nous allons appeler tous les familles pour savoir où elles sont exactement” me dit-elle. “Nous allons continuer de lutter pour que ces personnes obtiennent un statut et que leurs dossiers soient traités.”