L’image est persistante de commandes préparées par des restaurants, puis récupérées par des livreurs pour être ensuite apportées au client. Mais la restauration façon Uber est en train de chambouler ces règles, pas suffisamment rentables au goût de la multinationale américaine. Immersion dans la restauration à la sauce ultralibérale, rationalisée à souhait et à la douce saveur de modernité déshumanisée.
Limites des établissements traditionnels
Avec la généralisation des livraisons Uber Eats et de ses concurrents, les restaurants traditionnels ont vu se créer un phénomène d’accumulation de livreurs devant les établissements, ou même dedans. La cuisine n’ayant pas augmenté en taille, les commandes provoquent un ralentissement du service du restaurant. Dans les deux cas, une gêne est occasionnée pour les clients sur place, risquant d’affecter la rentabilité du restaurant.
Est donc apparue l’idée des dark kitchens, qui représentent une révolution dans l’industrie de la restauration. Conçu exclusivement pour la préparation de plats destinés à la livraison à domicile, et éliminant ainsi les coûts associés à l’accueil des clients sur place, leur modèle hyper rentable repose sur plusieurs éléments clés.
Les ingrédients amers d’une recette libérale
En utilisant des espaces compacts et en optimisant l’efficacité de la production, les Dark Kitchens parviennent à réduire considérablement les coûts fixes, notamment ceux liés au loyer et aux dépenses de personnel.
Les travailleurs, généralement des étrangers sans papiers et peu formés, peuvent travailler dans 9 m² dans des conditions d’hygiène déplorable. En conséquence, Uber peut réaliser des marges jusqu’à trois fois plus importantes que celles des restaurants traditionnels.
Grâce à leur capacité à employer du personnel non spécialisé et à gérer un roulement fréquent (le turnover est de deux à trois mois en moyenne), les Dark Kitchens minimisent les coûts de main-d’œuvre et restent flexibles pour s’adapter aux fluctuations de la demande.
Pour des entreprises comme Uber, qui ont investi dans ce modèle, les Dark Kitchens offrent une importante capacité à exploiter leur infrastructure existante de livraison et à répondre à la demande croissante des consommateurs pour des repas sur mesure, rapidement livrés à leur porte.
Les consommateurs n’étant généralement pas au fait des conditions de production, ils pensent que ce qu’ils consomment vient de restaurants habituels, et acceptent donc de payer un prix équivalent.
Ce système permet à Uber de maintenir et même d’augmenter le taux de profit, sur le dos des travailleurs évidemment.
Optimisation des relations, réduction des interactions
Dans les restaurants traditionnels, la prise de commande est une partie complète du métier en salle, qui disparaît avec le numérique. Que ce soit sur les bornes de fast-food, ou les applications de livraisons, le travail de prise de commande ne disparaît pas : il est effectué par le client, qui utilise un outil adapté.
Cette réduction des interactions entre êtres humains que permet le numérique s’intègre parfaitement dans la logique, Uber Eats qui illustre à merveille la tendance du capitalisme à annihiler, à rationaliser toute production et toute consommation dans un but de maximisation du profit. La situation de concurrence qui a caractérisé les premières années de la livraison de nourriture à domicile (et qui existe toujours dès qu’un marché apparaît) peut d’abord être profitable au consommateur, par une qualité et des prix abordables. Mais elle cache mal une exploitation très forte des travailleurs et un bénéfice pour les clients uniquement temporaire.
Dès qu’un monopole apparaît, du fait même des contradictions internes du capitalisme, tout bénéfice éventuel pour le consommateur disparaît, et le processus qui conduit le capitalisme à se débarrasser un maximum du facteur humain pour le substituer part du capital s’accélère, contribuant ainsi à la dégradation de la situation des travailleurs.
À présent en phase de devenir hégémonique sur leur marché, Uber Eats a commencé à concurrencer les restaurateurs traditionnels, en proposant des prix plus bas. Le monopole visé n’est plus celui de la distribution, mais de la production de nourriture elle-même.